Drôle de charme !
Cette chronique est dédiée à la biodiversité de la commune où je réside, Saint-Myon en Limagne auvergnate. Vous pouvez retrouver toutes les chroniques sur la nature à Saint-Myon en cliquant ici.
Quand on descend dans le bois des Bans depuis le communal de Val rose, on arrive à une esplanade avant de trouver le sentier escarpé qui descend à la passerelle sur la Morge. Là se dresse un arbre à la forme très étrange qui mérite quelques instants d’attention. Cette silhouette tortueuse et « cassée » deux fois à angle droit interpelle ! Avec un peu d’imagination, on peut reconstituer ce qui lui est, peut-être, arrivé il y a déjà un certain temps car il semble bien avoir une bonne quarantaine d’années au moins.
En partant du sol, on voit un premier coude à angle droit d’où part une branche bien droite couverte de lierre ; cette branche retrace la silhouette originelle classique ; là, très jeune il a du subir une mutilation quelconque (qui ? quoi ? Mystère !) qui l’a amputé de son bourgeon terminal. Qu’importe : la jeune tige a réveillé un bourgeon endormi sous l’écorce qui a engendré une nouvelle tige mais qui a poussé en biais. Puis des années plus tard, il a pu se passer deux choses : soit un nouvel incident qui a cassé cette tige oblique, soit de manière naturelle un bourgeon qui s’est réveillé et a émis une tige verticale qui a fini par prendre le dessus. D’où ce nouveau coude à angle droit avec les traces de la suite de l’ancienne tige décomposée. En prenant de l’âge sous l’effet du poids, il a du en plus s’abaisser presque à l’horizontale.
Cet arbre mérite un profond respect (comme tous les autres d’ailleurs !) devant tant d’obstination à survivre et à maintenir un port digne ! Il illustre leur capacité à se « régénérer » sans cesse (ce qu’on appelle des réitérations en jargon botanique) et la dominance de la croissance verticale qui finit toujours par reprendre le dessus : capacité essentielle si l’arbre veut accéder à la lumière indispensable pour se nourrir. Essayez d’imaginer en vous mettant dans sa « peau » les tensions qu’une telle forme doit imposer ; d’ailleurs n’a t’il pas l’air de souffrir sur la photo ci-dessus ?
Un tel arbre, s’il est communal, mériterait une protection absolue et avec bien d’autres pourrait faire l’objet d’un circuit original : le circuit des arbres d’exception ! En tout cas, il ne manque pas de charme : çà tombe bien, c’est un charme reconnaissable à son tronc « musclé » à l’écorce grise et lisse.
Si vous voulez en savoir plus sur le processus des réitérations chez les arbres, vous pouvez lire la chronique « Même jeté à terre il peut se redresser » dans la partie scientifique de zoom-nature.
Suite à la parution de cette chronique, un saint-myonnais de souche, François Michel, m’a appelé pour m’expliquer en détail ce qui était arrivé à ce fameux arbre. Dans les années 1970, des travaux ont été réalisés pour élargir le chemin qui descend depuis Val Rose ; un bulldozer utilisé à cette occasion a cassé cet arbre et l’a couché l’enfonçant plus ou moins dans de la terre meuble accumulée ; l’extrémité « explosée » avec l’écorce en partie décollée, a réussi à repartir profitant sans doute de la terre protectrice et humide autour. Ainsi s’expliquent son premier coude (il a été renversé) et le second (il est reparti de cette extrémité cassée). Merci pour ce témoignage : il n’y a pas beaucoup d’arbres « tordus » pour lesquels on peut aussi précisément reconstituer leur histoire !
G Guillot. Zoom-nature.