AVERTISSEMENT : Cette chronique est dédiée au public enseignant et traite de pédagogie. Cependant, elle peut intéresser aussi les non-enseignants soucieux de dialoguer par exemple avec des enfants à propos de l’évolution.

Voilà une étape-clé dans l’enseignement de l’évolution, une étape délicate que redoutent souvent les enseignants soucieux de ne pas l’imposer, à juste titre, comme « vérité scientifique » sans la justifier : passer du partage de caractères à la notion de parenté évolutive. En nous appuyant sur les suggestions de G. Lecointre (voir bibliographie), nous proposons ici une démarche d’approche qui n’est pas une activité mais une démarche intellectuelle possible que chaque enseignant pourra s’approprier et placer dans sa progression. Logiquement, elle se situe dans le cycle 3 au moment où l’on découvre la notion de parentés qui va conduire à proposer une classification selon les parentés.

Une question déclenchante

G. Lecointre (2) propose un exemple tout simple et directement accessible à des enfants : Les chats et les chiens possèdent une truffe et des poils. Pourquoi partagent-ils ces deux caractères ?

Noter l’emploi du pluriel pour bien signifier qu’on parle des chiens et des chats en général et non pas de tel et tel individu ; ainsi, on introduit implicitement l’idée d’espèces. Le pourquoi est très important car on recherche une cause possible ; nous avons devant nous les « effets » de cette cause cherchée : la truffe et les poils partagés. Le choix de prendre deux espèces relativement proches (et connues de tous) n’est pas anodin car, sinon, la résistance à l’idée d’ancêtre commun sera trop forte et plus difficile à appréhender. On se place ici dans le cas où on abordera l’unité du monde vivant (l’ascendance commune de tous les êtres vivants avec la partage du caractère « cellule ») que dans un second temps, justement pour élargir cette première approche.

Quelles réponses peuvent être formulées et comment les réfuter ou les valider ?

Le nouveau contrat

« Le chat et le chien possèdent tous les deux ces caractères car c’est le plan du Créateur ou c’est Dieu qui les a créés ainsi » ou « parce que c’est comme çà » ou « parce que ce sont des êtres de la nature ».

Depuis la fin du 18ème/début du 19ème, la science s’est affranchie de la croyance pour un projet de connaissance universelle ; le cahier des charges de ce nouveau contrat s’appuie sur quatre piliers (1) :

le scepticisme initial sur les faits : nous nous posons des questions et nous faisons des expériences ; rien n’est écrit par avance

le réalisme : les êtres autour de nous existent en tant que tels et ne sont pas des idées

la rationalité : adopter une démarche scientifique suppose de respecter la logique d’une part et la parcimonie d’autre part, c’est-à-dire de choisir parmi les solutions celles qui sont les plus économes en hypothèses. Attention : la logique concerne le raisonnement, la démonstration et pas les êtres sur lesquels on travaille qui « auraient une essence particulière a priori » (démarche essentialiste).

Exemple : si je dis « c’est logique que le chat et le chien se ressemblent car ce sont des carnivores », il n’y a en fait aucune logique au sens scientifique car je ne démontre rien ; je fais un raisonnement circulaire. Par contre, si je dis : « le chien et le chat partagent tel et tel caractère : il est alors logique de considérer qu’ils peuvent avoir hérité ces caractères d’un ancêtre commun ».

– le matérialisme méthodologique : on ne travaille pas sur des concepts immatériels (esprits, idées, essences, aura, …) mais sur des êtres réels matériels.

Donc, le recours à Dieu et la Création comme cause possible relève de la croyance et n’entre pas dans le champ de la science où nous nous appuyons sur des faits matériels observables. Quant à dire « c’est comme çà », on entre en conflit la premier pilier : se poser des questions ; répondre « c’est comme çà » revient à dire : il n’y a pas de question. On peut redouter d’aborder ainsi la question religieuse indirectement ; la réponse n’est pas ici de condamner la religion ni de dénier la croyance mais simplement de poser le cadre scientifique dans lequel on travaille.

Les écueils circulaires

« Ils partagent ces deux caractères car ils vivent dans le même milieu ».

C’est à cause du milieu qu’ils auraient ces deux caractères. Or, on peut objecter que le suricate vit dans les déserts chauds d’Afrique et il a une truffe et des poils ; l’ours polaire vit dans l’Arctique et il a une truffe et des poils. Le fait de partager le même milieu n’explique donc pas le partage de ces deux caractères.

« Ils ont tous les deux une truffe car çà leur sert à respirer et des poils car çà leur sert à avoir chaud. »

C’est ce qu’on appelle le raisonnement téléologique, la justification par la fonction ; c’est l’idée qu’il y a un but, une finalité. Autrement dit, le raisonnement est : vu qu’ils respirent tous les deux, c’est normal qu’ils aient une truffe et vu qu’ils ont besoin d’avoir chaud, c’est normal qu’ils aient des poils. Or, si je prends l’exemple du pigeon, je constate qu’il respire avec son bec et que ses plumes lui tiennent chaud. Les fonctions n’expliquent pas pourquoi ces deux caractères sont partagés chez le chien et le chat.

Partage et héritage

« Ils partagent ces caractères parce qu’ils se reproduisent ensemble ».

Or, chacun sait que les chats ne peuvent pas se reproduire avec des chiens. Pourtant s’ils partagent ces deux caractères, c’est qu’ils ont du l’hériter de leurs parents, de leurs ancêtres. Alors, peut être que dans un passé lointain, ils ont fait des petits ensemble et que çà s’est transmis ?

« Ils partagent ces deux caractères car ils ont eu des ancêtres communs qui avaient une truffe et des poils »

On emploie le passé puisqu’on sait qu’ils ne se reproduisent plus actuellement ensemble. C’est ce qu’on appelle l’ascendance commune (les ascendants sont les parents dont on descend). Le mot ascendance est intéressant car il porte l’idée de remonter le temps, de travailler à rebours à la manière d’une enquête policière. Pour une des premières fois, on oriente le temps dans le sens passé/présent/futur et pour trouver la cause il faut repartir en arrière.

Quels ancêtres communs ?

Un raisonnement logique doit permettre d’avancer. Si c’étaient des chiens, ils se sont forcément transformés à un moment sur le chemin ou le trajet généalogique qui a conduit vers les chats ; si c’étaient des chats, de même, ils se sont transformés sur le trajet qui conduit vers les chiens. Si c’étaient ni des chiens ni des chats (tout en ayant déjà une truffe et des poils), ils se sont transformés sur les deux chemins qui conduisent l’un vers les chats et l’autre vers les chiens.Noter l’importance de l’utilisation du mot transformé, indispensable si on veut arriver à une explication logique et parcimonieuse.

La représentation par un arbre simple peut alors être proposée. On présente l’arbre « nu » et on décide ensemble de ce que l’on va ajouter dessus.

evopart-arbrenu

On pose donc l’hypothèse que les chats et les chiens ont hérité au cours du temps de certains caractères tels que la truffe et les poils à partir d’ancêtres communs lointains qui se sont transformés. Chats et chiens dérivent d’un ancêtre commun.

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Utiliser des arbres

Dans les programmes de sciences du cycle 3 (le niveau 6ème pour le collège), il est stipulé qu’il ne faut pas utiliser la représentation en arbre. Or, de nombreuses publications en Sciences de l’Education à propos de l’enseignement de l’évolution, en majorité anglo-saxonnes ou américaines (3), soulignent l’extrême importance d’utiliser des arbres comme mode de représentation pour comprendre l’évolution et faciliter sa compréhension et son acceptation. Ces études montrent que seuls les arbres permettent notamment d’accéder au niveau de la macroévolution (l’évolution « au-dessus des espèces ») qui justement présente le plus de difficultés à être comprise et acceptée ; ce sont des outils très puissants à la fois pour représenter, interpréter, poser des hypothèses et aussi faire des inférences. Les anglo-saxons parlent de « tree-thinking » (qu’on peut traduire par pensée arborescente) pour désigner cet usage.

Alors pourquoi de telles réticences chez nous ? La principale raison relève sans doute d’une « peur » de manque de maturité intellectuelle des enfants de CM2/6ème. Or, plusieurs études (4) montrent que des enfants de 7 à 11 ans réussissent à interpréter à peu près correctement des arbres de parentés comportant cinq espèces à condition d’une préparation d’un quart d’heure en utilisant des faux arbres à base de créatures imaginaires. Aussi, nous préconisons donc d’employer dès la 6ème des arbres en aidant les élèves à les construire ; on gagne ainsi un temps précieux pour la suite de la scolarité car les élèves ont eu le temps d’assimiler en partie ce mode de représentation.

Introduire la nature de la science

Le mot hypothèse introduit lors de la conception de l’arbre (voir ci-dessus) est capital pour bien faire comprendre la nature de la science. Le fait que ce soit une hypothèse est une force et non une faiblesse comme inconsciemment on tend à le penser. Il est important d’insister et d’en montrer toute la puissance : en effet, une hypothèse, on peut la vérifier, la tester, la confronter avec d’autres exemples : tant qu’on ne rencontrera pas d’obstacle qui la réfute, elle sera valide. Si on se contente de dire « c’est la nature », on n’avance pas et on ne peut rien vérifier du tout. Par exemple, si cette hypothèse est juste, alors le suricate et l’ours polaire doivent eux aussi partager un ancêtre commun avec le chien et le chat puisqu’ils ont aussi une truffe et des poils.

Mais alors comment expliquer que par exemple les chimpanzés ont des poils mais un nez à la place de la truffe ?

Ils partagent les poils avec les chiens et les chats ce qui signifie qu’ils ont du avoir un ancêtre commun avec des poils mais il doit être encore plus lointain : il leur a légué des poils et le nez est apparu sur un autre trajet qui a conduit vers le chimpanzé.

Désormais, au lieu de mettre au pluriel chiens, chats, chimpanzés, on va convenir que le singulier représente leur espèce (l’ensemble des individus) sans expliciter cette notion pour l’instant. On peut le représenter ainsi sous forme d’arbre. La temporalité apparaît aussi avec un ancêtre commun plus ancien que l’autre.

evopart-chimp

A ce stade, on va pouvoir appliquer la règle de 3 des arbres : l’espèce chat et l’espèce chien partagent un ancêtre commun plus récent qu’avec l’espèce chimpanzé ; ces deux espèces sont plus apparentées entre elles qu’avec la troisième. Ces trois espèces sont parentes entre elles mais avec des degrés d’apparentement différents.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Guide critique de l’évolution chapitre 2 p. 23-25 ; sous la direction de G. Lecointre. Ed. Belin. 2009
  2. Notion : filiation (p. 175-223) G. Lecointre dans Les mondes darwiniens sous la direction de T.Heans, P. Huneman, G. Lecointre et M.Silberstein. Ed. Syllepse. 2009
  3. EVOLUTION CHALLENGES. Integrating research and practice in teaching and learning about evolution. K.S Rosengren et al. Oxford University Press. 2012.
  4. Can children read trees? Shaaron Ainsworth, University of Nottingham. Understanding the Tree of Life Harvard Conference (August, 2009)

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez l'évolution
Page(s) : Guide critique de l’évolution
Retrouvez l'enseignement de l'évolution
Page(s) : Comprendre et enseigner. La classification du vivant.
Retrouvez la truffe et le nez !
Page(s) : 485 Classification phylogénétique du vivant Tome 1 – 4ème édition revue et complétée