Columba livia

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Le biset des villes est probablement l’oiseau le plus associé à l’Homme en s’adaptant à la vie urbaine sur tous les continents. Mal aimé, vilipendé pour ses nuisances, considéré comme « gris et sale » et associé aux déchets, accusé de poser des problèmes de santé, traité de « rats avec des ailes » aux U.S.A., on l’ignore le plus souvent ; on ne fait même plus attention à lui ou alors pour le chasser. Et pourtant bien peu de gens connaissent l’histoire et les origines de cette espèce. Qui remarque que son plumage ne manque pas de détails très esthétiques ? Qui prend le temps de suivre ces roucoulades et ses parades ? Qui connaît l’espèce sauvage dont il descend et son milieu de vie ? Qui sait depuis combien de temps il vit auprès des Hommes ? Qui réalise qu’il s’agit en fait d’une espèce complètement « sauvage » au sens où elle est complètement indépendante au niveau de sa reproduction ? Qui se rend compte qu’il sert des proies à des rapaces qui commencent à investir les villes ? Alors, pour rétablir le pigeon des villes à sa vraie place d’espèce urbaine à part entière, digne d’intérêt, nous vous invitons à redécouvrir ses racines et son histoire en espérant changer votre regard si jamais vous l’aviez un peu oublié !

Une vielle histoire

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Arbre de parentés retraçant l’histoire « des » bisets.(d’après 3)

L’histoire du pigeon des villes se confond à ses origines avec celle du pigeon domestique élevé et maintenu en captivité par l’homme. La domestication s’est faite à partir d’une espèce sauvage, le pigeon biset, celui que les Anglais nomment rock dove, le pigeon de rocher (voir paragraphes suivants), il y a sans doute près de 10 000 ans (3) et ce à plusieurs reprises dans le bassin méditerranéen, au Proche-Orient ou dans le sud-ouest asiatique. Ces oiseaux domestiqués, élevés, ont subi la sélection artificielle humaine mais une partie d’entre eux se sont échappés et ont retrouvé une vie indépendante tout en restant non loin de l’Homme : ils sont devenus des pigeons férals ou marrons, deux adjectifs utilisés pour qualifier des animaux domestiques retournés à l’état sauvage. Nous préférons les appeler les pigeons des villes même s’ils peuvent vivre dans des villages en pleine campagne. Là aussi, ce retour à la vie sauvage a du se faire à plusieurs reprises. En tout cas, cela signifie que le pigeon des villes a une longue histoire indépendante derrière lui et que ce n’est pas, comme le croit une majorité de citadins, un néo-arrivé tout récent ! Les seuls qui pourraient recevoir à la rigueur ce qualificatif sont les pigeons des villes américaines : eux aussi sont dérivés de pigeons domestiques apportés par les premiers colons anglais dans les années 1600-1610, et dont une partie s’est échappée et naturalisée : leur indépendance ne date donc « que » de quatre siècles. Autrement dit, depuis ces milliers d’années, le pigeon des villes a subi de son côté la pression de la sélection naturelle (tout en vivant dans un environnement fortement humanisé) ce qui explique, au moins en partie, que contrairement à son ancêtre domestiqué, il ait conservé une certaine homogénéité de plumage et ressemble en fait fortement à son ancêtre sauvage.

Le pigeon des rochers

Alors qui est-il cet ancêtre sauvage, le pigeon biset ? Il habite toutes sortes de sites naturels rocheux : falaises maritimes abruptes (souvent au milieu des colonies d’oiseaux de mer) ; entrées de grottes ; puits profonds ; pentes rocheuses abruptes ; canyons. Son aire de répartition est très vaste et couvre une partie de l’Europe : les façades maritimes atlantiques de l’Ecosse et d’Irlande et en Bretagne ; le bassin méditerranéen en suivant les zones rocheuses et les côtes. On le retrouve par ailleurs dans la moitié de l’Afrique au nord du sahel jusqu’au cœur du Sahara, dans la péninsule arabique et le sbords de la Mer Rouge, au Proche et Moyen-Orient et de là autour de la Caspienne jusqu’en Asie centrale et en Inde. Là, il vit en colonies plus ou moins nombreuses pouvant compter jusqu’à mille oiseaux ; son nid consiste en une simple coupe garnie de quelques tiges, feuilles ou algues.

Le pigeon des villes qui est son descendant direct a donc retrouvé dans les bâtiments et monuments des villes cet univers minéral rocheux qui est celui de ses origines. Il n’est pas là par hasard mais parce qu’il était en quelque sorte pré-adapté à cet environnement de falaises verticales !

Un beau pigeon

Pour se convaincre de ces origines, il suffit de mettre en face d’images de pigeons des villes le portrait complet du pigeon biset sauvage (1) (qui, soit dit au passage, est très difficile à observer et à approcher au moins dans les falaises maritimes !) pour se rendre compte de la proximité saisissante des deux.

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La teinte générale tire sur le gris bleuté, plus foncé sur la tête et le croupion et plus pâle sur les couvertures alaires. L’aile fermée porte deux barres noires bien visibles et la queue se termine par une bande noire ; la base de la queue porte un peu de blanc. Le bas du dos clair se démarque nettement du croupion gris. Le trait le plus marquant et que l’on retrouve chez d’autres pigeons concerne le cou et le haut de la poitrine teintés de pourpre et d’une iridescence verte du plus bel effet. L’œil possède un iris jaune orange à rouge orange tandis que le tour se signale par de la peau nue gris bleu. Le bec sombre possède une partie molle blanche à sa base (la cire). Enfin, les pattes sont rouges. Les deux sexes sont très proches (en dehors des comportements dont le chant) mais le mâle porte une iridescence plus nette sur les côtés du cou.

On trouve effectivement de nombreuses déviations par rapport à ce portrait type chez les pigeons des villes mais globalement c’est quand même ce plumage originel qui domine. La taille est légèrement supérieure à la forme sauvage. En dépit de cette forte ressemblance, les deux formes ont largement divergé génétiquement mais sans pour autant devenir des espèces séparées et susceptibles de s’hybrider et d’avoir des descendants fertiles. Ceci pose d’ailleurs un sérieux problème pour l’avenir du pigeon biset sauvage dont les populations en contact avec des pigeons des villes (et ceci devient de plus en plus courant !), par le processus d’hybridation, perdent ou diluent une partie des gènes importants pour leur survie dans leur milieu naturel (introgression). On pense même qu’au moins en Europe occidentale, il n’existe plus de populations pures de pigeon biset, même si en apparence elles n’ont pas changé.

 

Préhistorique !

Les premiers contacts entre l’homme et le pigeon biset datent de bien avant la domestication. Des fouilles archéologiques conduites dans la grotte de Gorham, sur le site de Gibraltar (2) montrent en effet que les hommes de Neandertal (et des Cro-Magnon plus tard) ont chassé activement ces pigeons. Nous avons vu que le pigeon biset nichait volontiers dans des falaises mais aussi dans des entrées de grottes … fréquentées par les mêmes hommes de Neandertal lors de la dernière période glaciaire où ils avaient trouvé refuge sur les côtes. Ainsi, les deux espèces se sont retrouvées en contact étroit. Les ossements retrouvés montrent que cette exploitation des pigeons s’est déroulée pendant près de 40 000 ans, la plus ancienne preuve remontant à près de 67 000 ans. La collecte n’était visiblement pas secondaire compte tenu du nombre d’ossements trouvés : il s’agissait clairement d’une exploitation continue et systématique ; au moins onze campements successifs de Neandertal l’ont pratiqué. On peut penser que les oiseaux étaient capturés quand ils couvaient notamment la nuit. Sur le même site (et sur d’autres sites en France ou en Italie) on a mis en évidence la capture d’autres oiseaux tels que des corvidés (crave nicheur dans les falaises) et des rapaces diurnes de grande taille nichant aussi pour la plupart dans de tels sites (aigle royal, vautour fauve).

Les chercheurs font l’hypothèse que l’abondance de cette ressource naturelle (les pigeons bisets nichent en colonies nombreuses) soit en partie à l’origine de la symbolique de fertilité associée au pigeon domestique. Cela a peut être aussi contribué plus tard à entreprendre la domestication de cette espèce qui était déjà familière à l’homme.

Le passé et l’avenir de l’Homme

En fait, le pigeon des villes est un compagnon de l’homme et de sa sédentarisation progressive avec le développement de l’agriculture dans la région méditerranéenne et du Croissant Fertile ainsi qu’en Inde. C’est là que la domestication a du se réaliser, les pigeons sauvages venant sans doute glaner dans les cultures à proximité de leurs colonies. On ne sait pas évidemment pas où et quand ont eu lieu les divers évènements répétés de retour à la vie sauvage. On peut juste imaginer ce qui a pu se passer : les pigeons se nourrissant au sol de graines, les échappés ont du naturellement rester près des hommes et exploiter les déchets de l’agriculture naissante. Lors du glissement progressif des hommes vers des habitats construits, les pigeons férals ont suivi et ont ainsi accompagné l’homme dans son expansion planétaire. Le pigeon des villes est donc bien un vieux compagnon fidèle de l’humanité. On peut donc dire que l’homme et le pigeon (aussi bien sous sa forme domestique que férale) sont entrés dans un processus de coévolution : l’un tirant des avantages de l’autre et vice versa (4).

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La parade du biset des villes : un spectacle à ne pas manquer, un lien esthétique fort avec la nature ordinaire

Au cours du dernier siècle, pour diverses raisons (qui seront évoquées dans une autre chronique), le pacte coévolutif s’est en quelque sorte rompu et le biset des villes est progressivement devenu un paria indésirable et considéré comme un dégénéré domestique, ce qu’il n’est pas du tout. Et pourtant, au cœur des grandes villes, il reste un témoin bien vivant de ce qu’est la nature, oui la nature, et il pourrait bien devenir un outil précieux pour reconnecter les citadins avec cette nature qu’on leur demande à cor et à cri de protéger, de conserver et dont ils ne connaissent plus beaucoup le sens. C’est le paradoxe du pigeon que nous avons évoqué et détaillé dans une autre chronique.

J’espère que cette chronique aura changé votre regard sur cet oiseau méprisé : savoir que les ancêtres de ce vulgaire pigeon qui bat le pavé et picore des miettes de pain ont côtoyé nos très proches cousins, les hommes de Neandertal, voilà de quoi apporter une belle lumière dans vos yeux. Et n’oubliez aps d’admirer la belle iridescence du cou des mâles en train de parader et pensez à la mer ou aux falaises d’où ils viennent !

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BIBLIOGRAPHIE

  1. Site HBW alive : http://www.hbw.com/species/rock-dove-columba-livia
  2. The earliest pigeon fanciers. Ruth Blasco, Clive Finlayson, Jordi Rosell, Antonio Sanchez Marco, Stewart Finlayson, Geraldine Finlayson, Juan Jose ́ Negro, Francisco Giles Pacheco & Joaquın Rodrıguez Vidal. SCIENTIFIC REPORTS | 4 : 5971 ; 2014
  3. European Populations of the RockDove Columba livia and Genotypic Extinction. RICHARD F JOHNSTON, DOUGLAS SIEGEL-CAUSEY. THE American Midland Naturalist. Vol. 120 July,1988 No. 1
  4. On inter-species co-evolution and the impact of human self-perception on conceptions of nature. Skandrani Z.   Frontiers of biogeography 6.3, 2014

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le pigeon biset
Page(s) : 290 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez le pigeon biset
Page(s) : 244 Le guide de la nature en ville