Epipactis helleborine

L’épipactis hélléborine est une orchidée répandue en expansion aux fleurs peu voyantes et qui pourtant recourt à la pollinisation par des insectes. Dans une autre chronique, nous avons vu qu’elle émettait des substances volatiles très spéciales qui attiraient les guêpes sociales du genre Vespula : ces substances imitent les produits émis par des plantes attaquées par des chenilles et qui attirent les prédateurs de ces dernières dont les guêpes. En récompense à cette imposture (faire croire qu’il y a des proies disponibles), elle offre un abondant nectar facile d’accès dans une coupe large à la base du nectar. Quel est le rôle de ce nectar dans l’attraction envers les pollinisateurs et n’attire t’elle que les guêpes ? Des chercheurs polonais ont suivi pendant près de cinq ans huit populations différentes de cette orchidée dans le sud-ouest de la Pologne et analysé la composition chimique du nectar produit.

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Fleur d’épipactis hélléborine en gros plan : on notera la coloration discrète, l’aspect peu voyant et la coupe sombre (pleine de nectar brillant) à la base du labelle rose.

Visiteurs et pollinisateurs

La difficulté avec une plante aux fleurs assez généralistes a priori est de faire la part entre insectes qui visitent les fleurs mais sans forcément participer à la pollinisation selon leur comportement et leur taille et ceux qui effectivement transportent les masses de pollen (pollinies) d’une fleur à l’autre. Ainsi, on observe des pucerons sur les inflorescences mais ils ne visitent pas du tout les fleurs occupés à sucer la sève ; par contre, ils attirent des fourmis qui récoltent le miellat émis par les pucerons : celles-ci vont par la même occasion lécher du nectar riche en sucres mais vu leur petite taille elles ne touchent pas le pollen et ne pollinisent donc pas. D’autres insectes comme des guêpes parasitoïdes s’intéressent aussi aux pucerons pour y injecter leurs œufs et profitent des fleurs et de leur nectar mais là encore leur taille minuscule les rend inopérants.

Pour ce qui est des pollinisateurs effectifs (observés réellement avec des pollinies collées sur eux) ou potentiels (de par leur taille et comportement), l’étude met en évidence une certaine diversité à relier sans doute avec celle des habitats peuplés par cette orchidée : elle colonise aussi bien les sous-bois (feuillus ou résineux ou mixtes) que les lisières, les marais tourbeux et depuis quelques décennies des milieux périurbains très perturbés comme des friches ou des parcs. Outre les guêpes sociales déjà citées et régulières (voir l’autre chronique sur leurs visites), on note la régularité des syrphes (dont Episyrphus balteatus), ces mouches colorées qui lèchent le nectar et, de manière plus inattendue, une kyrielle de coléoptères (voir les exemples en photos) avec en tête les coccinelles dont la classique coccinelle à sept points ; cette dernière visite même les pieds non porteurs de pucerons ce qui montre bien qu’elle vient pour les fleurs.

Un triple cocktail

L’analyse chimique du nectar, outre les sucres et acides aminés habituels, met en évidence plus de cent substances que l’on peut répartir en trois catégories :

– des substances odorantes attractives très classiques et répandues chez de nombreuses autres orchidées : de l’eugénol (un des composants de l’essence de clou de girofle) et ses dérivés et de la vanilline

– de nombreux aldéhydes et des alcools dont de l’éthanol responsables d’un effet d’ivresse sur les visiteurs

– enfin, encore plus surprenant, des traces de dérivés morphiniques (dont l’oxycodone, analgésique puissant dérivé de la thébaïne) et des dérivés indoliques, responsables d’un effet narcotique qui rend les visiteurs « ramollis » !

Voyons plus en détail ces deux derniers effets étonnants !

Par ici le bon nectar !

Les substances odorantes donnent aux fleurs ce parfum vanillé assez particulier. On se rappellera à cette occasion que la vanille est elle aussi une orchidée ! Notons qu’on retrouve ce parfum en plus marqué chez une autre espèce proche qui attire de nombreux insectes (dont des abeilles et des bourdons), l’épipactis rouge noirâtre (E. atrorubens).

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Epipactis rouge noirâtre au parfum très vanillé

L’effet attractif du nectar ne remet pas en question l’attraction par les substances volatiles de feuilles vertes (voir l’autre chronique) : le premier s’adresse à un public plus large alors que le second ne concerne que les guêpes sociales prédatrices. Cette polyvalence augmente la capacité d’être pollinisée dans les milieux les plus variés ce qui doit expliquer en partie le succès de cette espèce en expansion.

Viens boire un petit coup !

Cet effet d’ivresse s’observe surtout au moment du départ de la plante visitée : la trajectoire des insectes devient quelque peu hésitante et zigzagante ! La présence d’alcools et cet effet sont connus depuis longtemps et on attribuait leur origine à une fermentation liée à la présence de microorganismes (dont des Candida) ; les auteurs de cette étude remarquent que ce processus serait en fait peu probable car ils ont trouvé par ailleurs des composés anti-microbiens (syringol, furfural) ; ils suggèrent une transformation directe des composés présents (action enzymatique), notamment par temps chaud.

Quant à la fonction éventuelle de cet effet secondaire, on pourrait supposer qu’il atténue le discernement des visiteurs, ce qui les inciterait peut être à revisiter les inflorescences les plus proches ? Ou peut-être que cet effet se combine avec l’effet narcotique que nous allons aborder ; autrement dit, alcools et drogues feraient bon ménage chez l’épipactis !

Un coup de mou !

L’effet narcotique s’observe surtout sur les espèces de petite taille comme les coccinelles qui connaissent un net ralentissement de leur activité allant jusqu’à une immobilisation prolongée. Pour les insectes « plus grands » comme abeilles et bourdons, l’effet reste moins marqué et se confond avec l’effet d’ivresse mentionné ci-dessus. On devine aisément l’intérêt de cet effet : l’insecte drogué et un peu ivre va rester plus longtemps sur la fleur ce qui augmente d’autant les chances de pollinisation.

Décidément, l’épipactis reste un adepte de la tromperie sous toutes ses formes !

BIBLIOGRAPHIE

  1. WHY DO POLLINATORS BECOME “SLUGGISH”? NECTAR CHEMICAL CONSTITUENTS FROM EPIPACTIS HELLEBORINE (L.) CRANTZ (ORCHIDACEAE). A. JAKUBSKA– D. PRZĄDO– M. STEININGER – J. ANIOŁ-KWIATKOWSKA – M. KADEJ. APPLIED ECOLOGY AND ENVIRONMENTAL RESEARCH 3(2): 29-38.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez l'épipactis hélléborine
Page(s) : 94-95 Guide des Fleurs des Fôrets
Retrouvez l'épipactis hélléborine
Page(s) : 382 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages