Palmae

Qui, parmi les végétaux verts, possède les plus grandes feuilles capables de se tenir toutes seules (des feuilles non flottantes sur l’eau) ? Le record absolu, qui ne semble toujours pas avoir été battu, est celui d’un palmier d’Afrique noire avec des feuilles gigantesques ! En fait, pour qui connaît les plantes à fleurs, rien de surprenant que le recordman dans cette catégorie appartienne à la famille des palmiers car elle est célèbre, entre autres originalités, pour le gigantisme général de ses feuilles chez un grand nombre des 2500 espèces qu’elle renferme. Les feuilles des palmiers, les palmes en langage populaire, se démarquent nettement de celles des autres plantes à fleurs par leur structure, leur mise en place et leur fonctionnement.

Allée de palmiers chanvres de Chine ; à gauche, deux cordylines qui sont aussi des Monocotylédones ressemblant à des palmiers !

Monocotylédone 

Pour comprendre vraiment la structure des palmes des palmiers, il faut d’abord s’interroger sur qui sont les palmiers eux mêmes, i.e. de qui sont ils les plus proches parents, de manière à s’appuyer sur des points de comparaison tant leurs feuilles sont particulières. La famille des palmiers (Arécacées), la seule de l’ordre des Arécales, s’insère dans l’ensemble des Monocotylédones, un groupe conséquent avec plus de 75 000 espèces. On peut énumérer quelques unes des caractéristiques générales majeures de ce vaste groupe : ce sont majoritairement des plantes herbacées avec une racine pivotante  qui ne possèdent pas de tissus secondaires (ceux qui donnent le bois) ; leurs feuilles ne sont pas différenciées en limbe et pétiole et ont des nervures parallèles ; leurs fleurs ont une symétrie de type 3 ; l’embryon a un seul cotylédon (d’où le nom du groupe … mais ce caractère se retrouve ponctuellement hors de ce groupe). D’emblée émerge un problème de taille : plusieurs de ces caractères ne se retrouvent pas chez les palmiers qui sont comme des arbres, ont des feuilles bien différenciées en limbe et pétiole et pas de racine pivotante ! Ceci indique clairement leur extrême originalité ; pour autant, leur place au sein des Monocotylédones ne fait néanmoins pas de doute car, par ailleurs, ils partagent d’autres caractères communs dont des marqueurs génétiques. 

Au sein des monocotylédones, si on se cantonne aux seules familles qui nous sont familières, les palmiers se situent dans un sous-groupe avec parmi leurs proches parents des familles telles que celles des « herbes » (Poacées ou Graminées), les joncs (Joncacées), les misères (Commélinacées), les bananiers (Musacées), les massettes (Typhacées), les ananas (Broméliacées) ou les gingembres (Zingibéracées). Or, dans toutes ces familles (et les autres non citées), les feuilles sont entières, au plus légèrement indentées sur les bords, loin, très loin des feuilles apparemment composées si typiques des palmiers ! 

Galerie de palmes 

Une feuille de palmier chanvre avec son pétiole

Partons de l’observation directe des feuilles telles qu’elles se présentent à nous. Toutes possèdent trois parties bien différenciées : le limbe, la partie plane verte ; le pétiole, la « queue » de la feuille, bien marqué rattaché à la tige par une gaine ; elles s’y insèrent de manière alternée, selon une spirale ou se regroupent en bouquet terminal au sommet de la tige. De très rares espèces de petite taille (dans le genre Chamaedorea notamment)  possèdent des feuilles entières ou curieusement échancrées au sommet. L’écrasante majorité des espèces arbore des feuilles nettement composées, formées de folioles distinctes, disposées selon trois grands modes différents. 

Les feuilles dites palmatilobées ou palmées présentent des folioles disposées en éventail rattachées au sommet du pétiole ; on les trouve notamment chez deux espèces horticoles souvent plantées en ville : le palmier nain (Chamaerops humilis) ou le palmier chanvre ou palmier de Chine (Trachycarpus fortunei), bien connu pour sa rusticité au froid. Chez ce dernier, ces feuilles lui ont valu le nom populaire anglais de windmill, moulin à vent ! Le mot palme lui-même vient de cette forme par analogie avec la paume et les doigts de la main (latin palma).

Les feuilles pennées ont un axe central, comme une grosse nervure (le rachis), sur lequel s’insèrent deux rangées de folioles de part et d’autre ; ce sont les palmes du palmier dattier (Phoenix dactylifera) ou celles du tristement célèbre palmier à huile (Elaeis guineensis). Il existe une variante rare plus complexe où les folioles sont elles-mêmes divisées : des feuilles dites bipennées comme  chez le palmier céleri ou palmier queue-de-poisson (Caryota mitis).

Enfin, on trouve un troisième type, intermédiaire entre les deux précédents : les feuilles dites costapalmées. Les folioles se fixent sur un rachis très court (costa) tout en se déployant en éventail comme chez le palmier de Floride (Sabal palmetto).

Feuille pennée

Cependant deux détails intrigants attirent l’attention. Dans la majorité des feuilles palmées, les folioles apparaissent sous forme nettement pliée en gouttière avec une forme de V en coupe transversale (qualifiées de indupliquées) ; dans les feuilles pennées, elles sont au contraire plus ou moins pliées en V renversé (rédupliquées). Chez certaines espèces ou sur certains individus, les folioles ne sont pas séparées jusqu’à leur base avec une « paume » commune à la base. Curieux, non ?

Secret de fabrication 

Feuille de palmier chanvre en cours de découpage naturel selon les plis

Pour percer le secret des palmes, il faut ouvrir un bourgeon foliaire avec une feuille en formation : et là, surprise, le limbe de la jeune feuille apparaît entier mais complètement plissé. La croissance différentielle se fait sur le limbe selon ces nombreux plis . Ensuite, se met en place un second processus tout aussi surprenant : le long des plis, des cellules programmées pour une autodestruction (apoptose) meurent ce qui induit une déchirure le long du pli et sépare les folioles les unes des autres. On peut observer parfois les traces de ces cellules mortes sur les bords des folioles (qu’il faudrait appeler d’ailleurs plutôt des segments)  sous forme de lanières fines appelées lorae. Si la déchirure ne va pas jusqu’au bout, c’est ainsi qu’on obtient des feuilles dont les folioles sont réunies à leur base. Donc, les feuilles des palmiers sont toutes entières à l’état embryonnaire et s’auto-découpent au moment de l’éclosion du bourgeon ! On parle donc de feuilles pseudo-composées qu’elles soient palmées ou pennées ou costapalmées. Ainsi, les palmiers ne sont pas « si différents » que çà de leur proches parents d’autant que les nervures des folioles sont bien longitudinales et parallèles. A noter qu’une autre tentative évolutive semi aboutie s’observe dans une des familles proches des palmiers : celle des Musacées, les bananiers ; ceux-ci ont aussi des feuilles géantes mais entières qui tendent à se dilacérer le long des nervures latérales (tout en restant en vie) lors des coups de vent. 

Feuille de bananier découpée par le vent

Pour mieux comprendre la subtilité de ce processus, il faut le comparer à celui qui donne naissance à une vraie feuille composée chez de nombreuses plantes non monocotylédones comme par exemple les feuilles imparipennées du robinier faux-acacia. Là, dans le bourgeon, l’embryon de feuille (primordium foliaire) connaît une croissance différentielle  mais seulement en des points distants les uns des autres sur le bord ce qui engendre à chaque fois une foliole indépendante. 

Base plissée d’une feuille palmée

Ces plicatures autorisent la fabrication de feuilles géantes qui réussissent ainsi à « tenir dans le bourgeon » au stade embryonnaire ; elles permettent aussi de doubler presque la surface totale de la feuille et d’offrir une meilleure capacité de photosynthèse avec les facettes orientées dans les deux directions (en V). Ceci compense l’absence de branches supérieures (le tronc ne se ramifie pas ou très rarement) qui porteraient des feuilles vers la lumière sur les côtés et vers le haut. La persistance des pliures sur les folioles confère de plus une certaine résistance mécanique aux forces qui tendent à les plier.  

Folioles de feuille pennée

Gaines et pétioles 

Non seulement les palmiers dérogent à la règle générale des Monocotylédones en ayant des feuilles pétiolées, mais en plus ils ont développé des pétioles d’une remarquable robustesse : mêmes les machettes ont du mal à entamer les pétioles des grands palmiers !  On comprend facilement que pour porter des feuilles au limbe géant, il faille un support à la hauteur ! Mais, les pétioles servent aussi chez eux à écarter les feuilles des troncs ou à les redresser vers la lumière, toujours pour compenser l’absence de branches. Une analyse fine de la structure du pétiole du palmier chanvre a montré que la répartition des faisceaux vasculaires (groupes de vaisseaux conducteurs de sève) varie au long de ce pétiole avec une concentration plus forte vers la face supérieure : ceci améliore la résistance aux torsions, adaptation permettant de résister aux coups de vent qui brassent sérieusement ces grandes feuilles. De nombreuses fibres diversement orientées et très denses complètent efficacement cette charpente très rigide. Souvent, des épines viennent protéger ces pétioles des attaques des herbivores pour les espèces basses. Chez la majorité des espèces à feuilles palmées ou costapalmées, au point de jonction du pétiole avec le début du limbe, on trouve une sorte de clapet caractéristique, la hastula. Il joue peut-être un rôle protecteur de la base du limbe au stade initial de développement ? 

Le pétiole se rattache à la tige par une base élargie : une gaine ou embrasse, tout aussi élaborée et spécialisée que le pétiole pour maintenir cette structure « géante ». Même si les feuilles ont une longue durée de vie, elles finissent par mourir et sécher : leur sort ultime varie selon les espèces. Elles peuvent se détacher rapidement et nettement par séparation du pétiole de la gaine, laissant donc la base de la gaine qui peut alors persister très longtemps comme une sorte d’écaille dressée ; elle finit souvent par se fendre en deux sous l’effet de la croissance de la tige. La chute de ces palmes représente un réel danger pour qui se trouve sous le palmier vu leur poids : dans de nombreux pays, on voit des panneaux avertissant de ce risque ! Chez d’autres espèces, les feuilles mortes s’affaissent mais restent accrochées par leur gaine ; elles retombent et forment une sorte de manchon sous la couronne terminale, une « jupe » comme disent les horticulteurs ; a t’elle une fonction secondaire ? La désagrégation des gaines fibreuses donne souvent naissance à un tissu fibreux faisant penser à de la toile de jute très visible par exemple sur la palmier chanvre ; elle joue sans doute un rôle d’isolant thermique et de protection vis-à-vis des attaques de prédateurs. 

La présence de ces gaines élargies et le regroupement fréquent des palmes en couronne terminale conduit, en milieu naturel, au piégeage permanent de débris végétaux qui s’accrochent entre les gaines et la tige ; ainsi, diverses plantes épiphytes peuvent coloniser ces « jardins suspendus ». F. Hallé, l’homme qui a sans doute le mieux compris la vraie nature des arbres, rapporte dans son ouvrage passionnant « Plaidoyer pour l’arbre » une pratique paysanne au Bengladesh avec les palmiers dattiers : chaque printemps on place à la base des feuilles des mottes de terre sur les jeunes palmiers en croissance ; les palmiers ainsi traités voient leur croissance et leur production multipliées par deux ! Les paysans expliquent cet effet par l’écartement des palmes induit ce qui procurerait aux palmes une meilleure insolation ; mais un agronome local suggère que les gaines des feuilles seraient capables d’absorber les nutriments entraînés par les pluies depuis les mottes de terre. Aucune observation anatomique ou physiologique ne permet de confirmer cette hypothèse néanmoins intéressante : à suivre ! 

Palmiers avec leurs « jupes » de feuilles mortes persistantes

Record du monde 

En introduction, nous avons évoqué le record mondial de taille de feuille détenu par un palmier. Ce record a été justement établi par Francis Hallé qui relate dans son ouvrage l’histoire incroyable de cette aventure ! En 1968, il parcourt une forêt primaire de la République du Congo, non loin de Brazzaville, la capitale, en compagnie d’un guide africain. Il découvre une espèce de palmier qui lui est inconnu : visiblement il s’agit d’une espèce du genre Raphia mais, contrairement aux autres espèces adeptes des milieux marécageux, celle-ci pousse sur des pentes bien drainées et n’a pas de véritable tronc ; en fait, ses feuilles peu nombreuses (en moyenne sept par pied) émergent du sol ; certains portent une inflorescence terminale à 3m de hauteur, témoin néanmoins de l’existence d’un tronc court. Mais le trait le plus frappant de ce « nouveau » palmier pour l’auteur, c’est le  gigantisme de ses feuilles dressées à la verticale et dont lui et son guide n’arrivent pas à voir l’extrémité noyée au milieu de la canopée ! Ils décident alors d’en couper une pour la mesurer : la tâche s’avère plus que fastidieuse car le rachis de cette feuille est d’une incroyable dureté ; il faudra plus d’un quart d’heure d’acharnement à la machette pour réussir à en couper une au ras du sol. Et là, énorme surprise : la feuille tombe au sol dans un fracas semblable à celui d’un petit arbre qu’on abat, entraînant dans sa chute des lianes. La prise de mesures va confirmer leur impression : 22m de long ; un pétiole de 7m de long et de 50cm de circonférence ! Ils prélèvent des folioles, des fleurs et des fruits pour faire identifier ce Raphia ; on notera au passage une des difficultés dans l’étude scientifique des palmiers : l’impossibilité pratique de mettre leurs feuilles … en herbier !!!

L’espèce est identifiée comme étant le raphia royal de Beccari (Raphia regalis), déjà décrit d’après des échantillons partiels mais sans préciser les caractères de terrain.  F. Hallé décide alors de retourner sur le site avec du matériel pour déterrer un pied ; après une demi journée de dur labeur, l’arbre sort de terre et stupeur, il se déplie comme un parasol, les feuilles enterrées à leur base n’étant plus comprimées ! La feuille entière, depuis sa base réelle, mesure 22,11 mètres pour une largeur de 4,90m et doit peser sans doute au moins 100 kilos ! 

Attention, cet exemple ne doit pas laisser croire que tous les palmiers donnent dans le gigantisme ; certes, dans la lignée des palmiers, on note une tendance à l’apparition de formes grandes mais il y a aussi des évolutions à l’extrême inverse comme une espèce du genre Dypsisde Madagascar dont les feuilles mesurent … 10cm de long ! Tout ceci en dit long sur l’extrême diversification de cette famille mais ceci ne concerne pas que les feuilles : nous verrons dans d’autres chroniques qu’on retrouve les mêmes extravagances avec les tiges ou les fleurs et les fruits. 

BIBLIOGRAPHIE 

PLAIDOYER POUR L’ARBRE. F. Hallé. Ed. Actes Sud. 2005

PLANT FORM. A.D. Bell. Ed. Timber Press. 2008

Botanique systématique.Judd et al. Ed De Boeck. 

The uniqueness of palms. P. BARRY TOMLINSON FLS. Botanical Journal of the Linnean Society, 2006, 151, 5–14 

Section properties of palm petioles, Part 2: The relationship of petiole histology with the torsional rigidity of the palm, Trachycarpus fortuneiA.G.Windsor-Collins et al.

Le buisson du vivant ; LAETOLI PRODUCTION : https://www.laetoli-production.fr/fr/works/10