Hypochaeris radicata

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La porcelle est le prototype de la plante-compagne chère à P. Lieuthaghi : elle accompagne l’homme partout y compris au long des chemins

Sous l’appellation assez floue de nature ordinaire, on range toute la biodiversité plus ou moins directement liée aux activités humaines dont elle est le support ; c’est la nature qu’on côtoie tous les jours, qui nous est familière même si on n’est pas naturaliste, et qui se compose essentiellement d’espèces communes. Elle se décline sous la forme de divers habitats bien connus allant des mares, des ruisseaux, aux prairies, bocages, chemins, jardins, espaces verts, friches, …. et par des milliers d’espèces végétales et animales. Parmi elles figure une plante ultra-commune, la porcelle enracinée. On serait tenter de penser qu’une plante très commune, banale comme on dit un peu péjorativement, n’a pas grand intérêt au niveau de sa biologie et que si elle est commune, c’est qu’elle s’adapte à tout. La réalité est bien plus complexe et plus subtile comme toujours dès lors qu’on s’intéresse aux êtres vivants dans leur milieu. Partons donc à la découverte de cette plante familière qui gagne à être mieux connue !

Bourrue

La porcelle enracinée est souvent confondue avec d’autres espèces ressemblantes toutes aussi communes, telles que le pissenlit. Effectivement, elle appartient à la même famille des Composées ou Astéracées et au sous-groupe des composées à fleurs en languettes (ligulées) et toutes jaunes comme le pissenlit. Il vaut mieux se porter sur les caractères végétatifs pour l’identifier.

De 20 à 60cm de haut (jusqu’à un mètre parfois), la porcelle possède une rosette basale de feuilles vert franc, fermement plaquées au sol, au point de faire jaunir l’herbe en dessous. Les feuilles d’une quinzaine de centimètres de long en moyenne (mais très variables), elliptiques arrondies, à bords dentés ou découpés donnant des segments toujours arrondis, un peu épaisses et typiquement couvertes de poils raides portés sur des tubercules. C’est le yeux fermés qu’on la reconnaît le mieux au toucher : elle gratte un peu d’où son surnom berrichon de bourrue, d’oreille de chat en anglais ou de morre de moton en occitan (museau de mouton râpeux).

De cette rosette montent à la belle saison des tiges un peu ramifiées, pratiquement nues (sauf de courtes écailles vers le haut), finement striées, un peu bleutées ; elles portent les groupes de fleurs ou capitules de 2 à 3 cm de diamètre sous tendus par une collerette de bractées sur plusieurs rangs.

Les fleurs en languettes nombreuses sont jaune soutenu dessus et verdâtres ou grisâtres dessous. Reste la racine pivotante longue et blanche, épaisse et ramifiée sans suc laiteux à la cassure (d’où l’épithète radicata et l’adjectif enracinée).

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Racine charnue et puissante de la porcelle

Le nom de porcelle dérive de son surnom de salade de porc car elle peut se consommer en salade à condition d’avoir le palais pas trop sensible ; sa piètre qualité lui a donc valu ce qualificatif dévalorisant « de porc ». Désormais, vous ne pourrez plus la confondre y compris quand elle est au stade rosette car elle est visible toute l’année vu que c’est une plante vivace.

Ubiquiste

La porcelle fréquente une gamme très étendue de milieux herbacés essentiellement ceux créés ou gérés par l’homme : prés pâturés ou fauchés, friches, dunes fixées, cultures, jachères, accotements, talus, … avec une prédilection pour les pelouses des parcs ou jardins et les gazons urbains où elle peut être très abondante. Elle recherche des sols frais mais bien drainés, plutôt tassés avec une préférence pour les sables et les argiles ; elle fuit plus ou moins le calcaire. Elle a un tempérament nettement rudéral ou nitrophile, i.e. elle recherche des sols enrichis par les activités humaines (engrais, déchets, …).

On la trouve dans presque toute l’Europe (en progression vers le nord et le centre) jusqu’en Asie occidentale et en Afrique du nord. Elle a été introduite et s’est abondamment naturalisée dans de nombreux pays au cours du dernier siècle : Australie (où elle est très nettement invasive et indésirable), Japon (en expansion continue), Nouvelle-Zélande, Amérique du sud et notamment dans le sud du Brésil où elle est devenue très commune. Elle pose des problèmes dans les pâturages où elle provoque un empoisonnement des chevaux sous al forme de désordres nerveux connus sous le nom de stringhalt : l’animal plie brusquement sa ou ses deux pattes arrière alors qu’il marche !

Fragmentée

Devant une telle vitalité, on pourrait se dire que cette plante prospère partout sans aucun problème. Mais attention, ce qui se passe en dehors de son aire n’est pas significatif et relève de situations bien particulières (comme pour toutes les plantes invasives) : absence de prédateurs sur les graines ; structure différente des communautés végétales ; sols et climat différents … Pour comprendre son écologie, il faut se centrer sur ce qui se passe dans son aire originelle (tout au moins récente) comme en Europe occidentale.

La porcelle paye en quelque sorte actuellement une des clés de son succès : s’installer dans les milieux créés par l’homme et ses activités, milieux de plus en plus étendus et où la compétition est souvent moindre compte tenu des conditions très particulières qui y règnent. Mais depuis décennies, ces milieux ordinaires qu’elle fréquente (voir ci-dessus) se trouvent à leur tour éliminés et transformés par des activités qui ne laissent que très peu de place à la biodiversité : agriculture intensive axée sur l’usage de pesticides, urbanisation, bétonisation, … Ainsi, progressivement mais sûrement, dans nombre de régions, la porcelle se retrouve de plus en plus confinée dans des milieux isolés, souvent réduits : un bout d’accotement régulièrement fauché, un bord de chemin pas trop traité, une friche isolée, .. Des îlots au milieu d’un océan hostile ! C’est ce qu’on appelle la fragmentation des habitats bien connue et étudiée par exemple avec les forêts tropicales mais publiée ou négligée en ce qui concerne nos environnements ordinaires de plus en plus transformés à grande échelle. Même en ville où elle prospère, elle ne peut s’installer que dans des espaces isolés les uns des autres et séparés par des murailles de bâtiments : une pelouse pas trop manucurée par ci, un espace vert par là, une friche industrielle temporaire, … Alors comment réussit-elle, malgré tout et au moins pour l’instant à se maintenir en dépit de cette fragmentation galopante ?

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Dans ses habitats, elle peut être très présente comme ici, sur un plateau granitique en Auvergne où elle domine cette prairie pâturée

Plastique

Un des traits frappants de cette plante, c’est sa variabilité en taille pouvant être tout aussi bien opulente que rabougrie. Pour mesurer cette variabilité, les scientifiques recourent à des indices un peu sophistiqués comme la surface des feuilles par apport à la masse de la plante : cet index varie entre 1,7 et 46mm2/gr. dans une population et entre 7 et 239 dans une autre ! Les valeurs extrêmes se trouvent atteintes quand la plante se trouve en situation ombragée : les feuilles s’agrandissent alors considérablement. De même, la taille de la rosette peut varier entre 2 et … 59cm ! Pour autant, il n’y a pas de support génétique derrière ces variations qui ne se transmettent pas à la descendance : ces variations n’apparaissent que pendant le développement de la plante : on parle donc de plasticité.

Quand elle est attaquée par des herbivores tels que les escargots, elle réagit rapidement en produisant plus de feuilles ; quand la densité de ces plantes est assez faible, la consommation des feuilles par les escargots induit une forte variabilité de la taille : certaines plantes voient leur taille réduite mais les individus les plus grands changent peu. Là encore, il s’agit de transformations plastiques pendant la vie de la plante et son développement.

Cette plasticité explique sans doute pour une part la vaste répartition de cette espèce et sa capacité à peupler les milieux perturbés par l’homme.

Résistante

La porcelle persiste grâce à sa puissante racine mais aussi à sa capacité de régénérer à partir de bourgeons situés au sommet de la souche. Ainsi, quand elle est broutée, aussi bien par des escargots que par des par des lapins ou des moutons, elle refabrique très vite de nouvelles feuilles et/ou tiges. En fait, sur le terrain, on a souvent du mal à délimiter les pieds les uns des autres et pour cause : plusieurs rosettes appartiennent à une même racine, formant une mini-colonie clonale. Cette ramification végétative permet à la plante de subsister même si la rosette mère initiale meurt ou si elle subit une fauche répétée. De plus, ces rosettes latérales peuvent elles aussi fleurir et participer à la production de graines. Pour autant, la porcelle ne pratique pas une multiplication végétative débridée comme peut le faire par exemple le chiendent.

Mais il y a un talon d’Achille dans son développement : la rosette initiale produit des tiges qui fleurissent dès sa seconde année ; cette mise à fleur inhibe la production de nouvelles feuilles dans la rosette si bien que la rosette « fleurie » meurt en fin de saison ; simultanément, cela active des bourgeons axillaires à la base de la souche qui peuvent produire des rosettes latérales mais en nombre limité et selon les ressources du milieu et la compétition (en cas de densités fortes). Tant et si bien que la porcelle, bien qu’étant une vivace d’allure robuste, n’a qu’une faible longévité. Les étés très secs causent une forte mortalité même si elle résiste plus longtemps que nombre d’autres plantes comme en témoignent les pelouses grillées en été parsemées des rosettes vertes de porcelles ! Pour que l’espèce se maintienne dans un milieu donné, elle doit sans cesse se renouveler par voie de graines germées puisque la multiplication végétative ne compense pas les pertes.

Imprévoyante

Or, la germination des graines se trouve relativement inhibée par le manque de lumière si celle-ci est interceptée par un couvert herbacé dense ; pour germer, il doit y avoir des micro-clairières dans son environnement. Ainsi le taux de germination atteint 62% des graines dans un gazon ras tondu contre 29% dans un gazon haut. C’est pourquoi sur les accotements non régulièrement fauchés, la porcelle tend à disparaître progressivement non pas étouffée mais incapable de se réinstaller au fur et à mesure que les pieds meurent. C’est aussi pour cela qu’en milieu urbain ou dans les jardins, elle prospère dans les pelouses un peu piétinées (mais pas trop non plus) où des vides se forment.

Un autre talon d’Achille concerne les graines : elles germent massivement (si elles le peuvent !) en début d’automne car elles n’ont pas de dormance (forme d’hibernation). De ce fait, il ne se forme pas dans le sol une banque de graines dormantes susceptibles de germer plus tard si jamais un mini espace nu se libère ; dans ce cas, elle ne pourra se réinstaller que par l’arrivée de nouvelles graines fraîches en automne ! Ceci pose clairement le problème de la dispersion des graines que nous aborderons dans une autre chronique

Sexuée

Qui dit graines dit reproduction sexuée, autrement dit pour des fleurs pollinisation et fécondation des ovules par le pollen. La porcelle a tous les caractères d’une plante entomophile visitée par des insectes pollinisateurs : à ce titre, d’ailleurs, elle constitue une plante ressource essentielle pour nombre d’insectes dont les abeilles solitaires, un autre pan de la biodiversité ordinaire (voir la chronique sur celles-ci), ou des petits coléoptères de type chrysomèles ou méligèthes ou des syrphes (mouches). La disposition des fleurs en capitules larges et ouverts (comme les autres composées), facilite l’accès aux fleurs pour des insectes généralistes.

 

Toutes les expérimentations menées sur les fleurs de porcelle montrent clairement qu’il s’agit d’une espèce auto-incompatible : une fleur sur laquelle est déposé du pollen provenant d’une fleur du même pied ne sera pas fécondée, le pollen ne germant pas sur le stigmate. La présence de congénères compatibles (donc pas trop apparentés) dans son milieu reste donc capitale. Dans ces conditions, la porcelle se montre prolifique : une rosette peut produire jusqu’à vingt tiges florales portant chacune un ou plusieurs capitules ; la production de graines moyenne par rosette est estimée à 300 à 6000 graines !

Selfie

Cependant, cette autoincompabilité n’est pas absolue ; expérimentalement, on arrive à obtenir des graines à partir de capitules autofécondés chez quelques plantes. Dans ce cas, les graines sont peu nombreuses (avortement d’une majorité d’ovules) mais comme elles disposent alors de plus de ressources, elle sont plus grosses et donnent ensuite naissance à des plantes avec une floraison plus importante. On sait qu’une graine plus grosse a plus de réserves et mobilise ainsi plus de ressources pour élaborer la rosette initiale puis les tiges. En plus, ces graines portent une aigrette plumeuse très réduite ce qui modifie leur dispersion par le vent (voir l’autre chronique sur la dispersion).

En milieu naturel, il semble que selon les populations, le taux de recours à l’autofécondation varie et que notamment dans les populations introduites il soit plus important ; ainsi, la porcelle connaitrait peut être une évolution relative vers plus de « selfie » au moins dans les environnements nouveaux ce qui lui assurerait un avantage : l’art de contourner un troisième talon d’Achille !

Tout compte fait, la porcelle n’est peut-être pas aussi « ordinaire » que cela, tout au moins loin d’être banale !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Competition, herbivory and plant size variability: Hypochaeris radicata grazed by snails (Helix aspersa). J. Weiner. Functionnal Ecology 1993 ; 7, 47-53
  2. Density Dependent Simulation of the Population Dynamics of a Perennial Grassland Species, Hypochaeris radicata. Hans de Kroon; Anton Plaisier; Jan van Groenendael. Oikos, Vol. 50, No. 1. (Sep., 1987), pp. 3-12.
  3. Flexible life history responses to flower and rosette bud removal in three perennial herbs. Nienke Hartemink, Eelke Jongejans and Hans de Kroon. Oikos (2004) 105:159-167
  4. Influence of selfing and maternal effects on life-cycle traits and dispersal ability in the herb Hypochaeris radicata (Asteraceae). F. XAVIER PICÓ, N. JOOP OUBORG and JAN VAN GROENENDAEL. Botanical Journal of the Linnean Society, 2004, 146, 163–170.
  5. Regional gene flow and population structure of the wind-dispersed plant species Hypochaeris radicata (Asteraceae) in an agricultural landscape. C. MIX, P. F. P. ARENS, R. RENGELINK,M. J. M. SMULDERS, J. M. VAN GROENENDAEL and N. J. OUBORG. Molecular Ecology (2006) 15, 1749–1758
  6. Intraspecific Trait Variation Driven by Plasticity and Ontogeny in Hypochaeris radicata. Rachel M. Mitchell, Jonathan D. Bakker. PLoS ONE 9(10): e109870.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la porcelle enracinée
Page(s) : 242-243 Guide des plantes des villes et villages
Retrouvez la porcelle enracinée
Page(s) : 116 Le guide de la nature en ville