Pinus pinaster

Face à la mer

J’aurais dû grandir

Face contre terre

J’aurais pu mourir

Je me relève

Je prends mon dernier rêve

Les paroles de la superbe chanson de Calogero s’appliquent presque mot pour mot à ces pins maritimes tortueux, difformes et couchés dans le sable des arrière-dunes, que l’on rencontre notamment sur la côte vendéenne en peuplements parfois importants. Leur acharnement à persister, à quand même réussir à grandir et à se reproduire dans des conditions éminemment stressantes, forcent le respect ; quant à leurs formes extraordinaires qu’on n’oserait même pas inventer elles inspirent l’émerveillement : se déplacer au milieu de ces « brousses » de géants couchés, comme agonisants et se tordant de douleur, est une expérience unique dont on se ne se lasse pas : un spectacle dantesque qui vaut plus que le détour. Cela fait plus de vingt ans que je me rends plusieurs fois par an passer quelques semaines en Vendée, et à chaque fois je ne manque pas de leur rendre visite et à chaque fois, je craque et l’appareil photo crépite tant chaque individu semble unique ; ainsi, ai je accumulé au fil du temps une galerie de photos conséquente de ces « Faux de Vendée » (par analogie avec les Faux de Verzy)! Ils méritaient largement une chronique même si j’ai eu toutes les peines du monde à réunir un minimum de documentation scientifique étoffée tant ils semblent peu intéresser les forestiers pourtant prodigues en centaines de publications sur cette espèce de pin mais sur le versant production de bois par des arbres bien droits !

Pin de Bordeaux

Haute futaie de pins maritimes en arrière des dunes vendéennes

Pour bien comprendre l’étendue de la transformation de ces pins tortueux, il faut avoir en tête l’image « normale » des pins maritimes poussant dans des conditions « normales » sur une grande partie du littoral atlantique. Deux grands caractères permettent de distinguer facilement le pin maritime des autres résineux côtiers (dont le pin parasol ou pin pignon) : ses aiguilles groupées par deux, relativement fortes et épaisses et très longues (de 10 à 25cm) d’un vert foncé et un peu piquantes au toucher ; ses cônes très gros (10 à 18cm de long), brun roux luisant et portés sur un court pédoncule, contenant des graines noires avec une longue aile transparente.

Ce grand arbre, quand il pousse normalement donc, dépasse souvent les vingt à trente mètres de haut et porte un houppier assez clair et étalé sur un long tronc souvent un peu tordu mais quand même proche de la verticale. Son écorce rougeâtre se détache en plaquettes séparées par des crevasses profondes. Cette description concerne en fait la race dite du pin de Bordeaux qui a été largement plantée sur tout le littoral atlantique pour fixer les dunes dont la forêt résineuse des Landes. Cette race dérive en fait du pin maritime originel issu de la côte atlantique au sud de la gironde et de la Méditerranée (dit pin mésogéen) au tronc plus droit et au houppier plus compact et avec une écorce plus sombre.

Le pin maritime domine donc dans les immenses pinèdes du littoral atlantique sous forme de futaies au sous-bois plus ou moins touffu compte tenu de la lumière qui arrive au sol. Il se régénère désormais tout seul après les coupes depuis son introduction généralisée il y a près de deux siècles et se comporte donc comme une espèce autochtone qui domine les paysages de son empreinte.

Zone de combat

Frange forestière de pins maritimes et de chênes verts formant une brousse de protection devant la futaie en arrière-plan, juste en arrière de la haute dune, en bas du revers (forêt de Longeville sur Mer)

Les pins maritimes couchés et tortueux de la côte vendéenne ne se trouvent que dans une bande de quelques centaines de mètres au plus suivant le trait de côte. C’est ce qu’on appelle les « dunes-barrières » de la Vendée (1), un ensemble de systèmes dunaires ancrés sur des affleurements calcaires (visibles dans les petites falaises de la côte) et formant une barrière naturelle entre la plage et l’arrière pays vendéen dominé par des marais : ce sont les dunes de Longeville-sur-Mer entre Jard-sur-Mer et la Tranche-sur-Mer (celles que je connais le mieux) devant le Marais Poitevin, les dunes d’Olonne entre les Sables d’Olonne et Brétignolles-sur-Mer devant les marais d’Olonne et les dunes des Pays de Monts, les plus au nord, devant le Marais Breton. Grâce à ces ensembles forestiers dunaires, la côte vendéenne a, ici, échappé au bétonnage et à l’urbanisation généralisés qu’elle subit ailleurs et offre des kilomètres de littoral de plages et de dunes sans constructions d’une grande beauté !

Des pinèdes « dressées » peuvent s’installer directement sur la côte à la faveur de secteurs très abrités des vents ; noter quand même ici la présence au premier plan de quelques pins couchés

Dans cet ensemble géographique, les pins couchés se rencontrent principalement au niveau du revers interne de la haute dune, cette pente orientée vers l’intérieur des terres, tournant le dos aux dunes imposantes en bourrelet surélevé. Adossées à la futaie de pins maritimes (souvent mêlée de chênes verts) aux troncs bien dressés et « normaux », les voici ces fameuses « brousses » de pins tortueux : un ensemble discontinu, inextricable, très dense ou au contraire troué de clairières, formant comme un rempart devant la forêt et qu’on désigne sous les terme officiels de frange littorale forestière ou forêt de protection. En partant du côté dune, on ne trouve pratiquement que des pins complètement couchés, sinueux comme des anacondas, torturés ; puis, en quelques mètres vers l’intérieur, on commence à trouver des troncs un peu redressés mais sacrément difformes pour passer à des troncs dressés aux cimes tortueuses et enfin des troncs de plus en plus droits.

On en trouve aussi mais en micro-massifs ou en individus isolés dans les creux au cœur du bourrelet sommital de la dune (souvent en compagnie de chênes verts eux aussi bien transformés) ou en franges plus étroites sur les rebords de falaises calcaires non occupées par des dunes, avec des peuplements denses de chênes verts couchés.

Franc-tireur installé en avant de la frange sur le bourrelet dunaire à la faveur d’un creux protecteur. La Terrière ; forêt de Longeville-sur-Mer

Face au vent

Les pins maritimes (vert sombre) sont souvent accompagnés des chênes verts dans ce combat contre l’adversité des éléments

Ces formes si surprenantes et quasi-irréelles pour de tels arbres résultent de l’action combinée de plusieurs éléments dont le principal est le vent : c’est pourquoi on désigne ces transformations dues au vent par le terme d’anémomorphoses. Elles traduisent la capacité de nombre d’essences d’arbres à modifier leur port ou silhouette en fonction des éléments naturels qui s’imposent à eux, une forme d’adaptation extrême nommée plasticité phénotypique. Ce dernier adjectif indique qu’il s’agit de transformations n’affectant pas le génome et donc non transmissibles aux générations suivantes.

Entre la Mine et Ragounite : Jard-sur-Mer

Sur cette frange littorale, la violence et la fréquence des vents imposent une forte mortalité aux jeunes pousses et aux bourgeons exposés soit par cassure, soit à cause du dessèchement induit. Tout ce qui dépasse finit donc rapidement par être anéanti ce qui revient à une taille naturelle permanente, comme sur des topiaires. Seules les pousses les plus basses, au plus près du sol et donc plutôt à l’abri du vent, réussissent à se développer mais très lentement, comme sur des bonsaïs. La cassure ou la destruction du bourgeon terminal des jeunes plants, dès qu’ils commencent à poindre un peu haut, conduit à la mise en service des pousses latérales qui vont à leur tour subir le même sort un peu plus tard : ainsi se sculptent lentement ces silhouettes improbables, faites d’angles droits, de cercles ou de retours en arrière et dont le tronc reste au plus près du sol quand il ne s’y ancre pas si le sable se déplace !

Face au sel et au sable

Squelettes de pins couchés : une mine pour les insectes xylophages !

La face de l’arbre tournée vers la forêt se trouve de facto un peu abritée par celle qui affronte de face les fureurs du vent : ainsi se dessine une forte asymétrie avec le feuillage développé et dense en arrière.

Une étude conduite en Normandie (2) sur les anémomorphoses de divers arbres feuillus montre que tous les vents ne sont pas aussi « efficaces » pour tailler ainsi les arbres. Cela a surtout lieu avec les vents du début du printemps et en début d’après-midi, les deux périodes où l’activité des jeunes pousses en croissance est maximale ; elles sont alors particulièrement fragiles. De telles conditions correspondent aux brises de mer typiques des journées claires et assez calmes du printemps. On peut sans doute transposer ces résultats au cas des pins maritimes aux pousses printanières très voyantes même si leur feuillage persistant doit les rendre vulnérables aussi même en hiver.

Toujours vivant dans son horizontalité !

Mais le vent n’est pas le seul acteur car il transporte avec lui deux autres éléments naturels tout aussi agressifs : du sable et du sel. Les grains de sable soufflés par les rafales agissent comme de l’émeri naturel et abrasent les jeunes tissus en croissance (voir la chronique sur les végétaux des dunes). Les gouttelettes d’eau chargées de sel (embruns) qui se détachent des vagues et se trouvent emportées par le vent peuvent aussi atteindre cette ligne de végétation même en arrière de la dune notamment lors des tempêtes et à marée haute : leur dépôt sur le feuillage peut ainsi occasionner des brûlures.

Le Rocher ; forêt de Longeville-sur-Mer

Leçon de choses

Ces arbres ainsi transformés offrent au curieux de nature une superbe occasion d’observer de très près leur houppier autrement inaccessible vu qu’il se trouve à hauteur des yeux : ainsi peut-on suivre en détail les modalités de la reproduction avec les cônes. En effet, ces arbres, pour stressés qu’ils soient, réussissent à se reproduire et même de manière abondante ! Ainsi au printemps, on peut admirer les bouquets de cônes mâles producteurs de l’abondant pollen qui se répand sous forme de pluie jaune : il suffit de secouer une branche pour s’en convaincre !

Aux côtés des longues pousses végétatives, on observe des pousses terminées par de petits cônes rougeâtres, les cônes femelles qui vont capter le pollen. Comme ces cônes mettent deux à trois ans avant de mûrir, entre temps la croissance se poursuit si bien que l’on obtient une superposition d’étages avec, en partant du haut, des cônes de plus en plus vieux : petits cônes rouge de l’année, cônes verts d’un an, cônes bruns de deux ans encore fermés, cônes mûrs plus foncés de trois ans et plus commençant à entrouvrir leurs écailles et à libérer leurs graines. Comme ces cônes persistent très longtemps sur l’arbre avant de tomber et que, dans ce cas, les entre-nœuds des pousses restent très courts, on arrive à un empilement de générations successives !

Ce qui frappe le plus, c’est l’abondance des cônes produits comme si l’arbre cherchait à assurer à tout prix sa descendance en se sachant condamné par avance à une mort prématuré. Car, évidemment, il ne fait pas bon vieillir dans de telles conditions aux limites de l’extrême : les branches mortes abondent ainsi que les squelettes de pins morts.

Questions

Les Conches ; forêt de Longeville-sur-Mer

Pour rédiger cette chronique sur ces arbres pourtant étonnants et répandus, je n’ai pu m’appuyer que sur des bribes recueillies de ci de là : je n’ai pu trouver aucune étude détaillée sur la biologie de ces héros de la dune. Il se peut donc que certaines de mes remarques ci-dessus soient en fait entachées d’approximations voire même d’erreurs ! Et j’ai en réserve une liste de questions qui s’accumulent au fil des ans et de mes visites. Quel est l’âge des plus anciens de ces pins couchés ? Comment çà se passe au tout début avec les jeunes plants ? Les germinations sont-elles rares dans cet environnement ? Ces arbres ont-ils été plantés il y a longtemps ou sont-ils tous spontanés ? Leurs graines ont-elles les mêmes capacités germinatives que celles issus d’arbres dressés ? Cette frange littorale est-elle actuellement en régression avec la stabilisation des dunes ou en progression avec l’érosion touristique ? Quel est l’impact du piétinement touristique autour de ces arbres ? Hébergent-ils une biodiversité différente (des espèces d’insectes associés différents) ?

Curieusement, je trouve ces arbres très peu valorisés touristiquement (mais c’est peut être mieux ainsi pour eux !) : on les mentionne à l’occasion dans des livrets d’accompagnement de circuits de promenade en deux ou trois lignes. Je n’ai jamais pu trouver de panneau didactique qui leur soit consacré alors qu’on en trouve plein sur les dunes elles mêmes ou sur la forêt et la production de bois. Peut être trouve t’on qu’ils sont laids et qu’ils font honte ? Moi, en tout cas, je les adore et je les trouve très beaux et remarquables, bien plus que leurs confrères de la futaie monotone !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Guide des sylvicultures. Forêts littorales atlantiques dunaires. T. Sardin. O.N. F.
  2. LES ANEMOMORPHOSES VEGETALES : QUELLE SIGNIFICATION GEOCLIMATIQUE REELLE ? Olivier CANTAT, Edwige SAVOURET et Laurent BRUNET. Climatologie, vol. 6, 2009

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le pin maritime
Page(s) : 50-51 Guide des fruits sauvages : Fruits secs