Au cours de la dernière décennie, on a enfin pris la mesure du désastre écologique causé par les plastiques en milieu marin ; diverses médiatisations dont des photos choc ont fini par faire prendre conscience au grand public de l’ampleur du problème et de ses nombreuses conséquences sur la biodiversité. Parmi celles-ci figurent les animaux empêtrés dans des objets plastiques (ou métalliques aussi) dont les filets de pêche. On a aussi enfin compris qu’une bonne part de cette gigantesque pollution planétaire provenait de la terre et rejoignait la mer via les écoulements naturels. Pour autant, la version terrestre de ce problème reste très largement ignorée voire minorée à part pour les nuisances visuelles et esthétiques qui ne touchent guère que … les hommes ! Les zones agricoles et urbaines, aux environnements très modifiés et très imprégnés des activités humaines, hébergent ainsi une grande quantité de matériaux artificiels abandonnés dont des plastiques divers et variés. Or, on sait que nombre d’oiseaux tendent à utiliser certains de ces matériaux pour bâtir leurs nids ; nous avons déjà évoqué dans une chronique l’exemple frappant des fous de Bassan sur le littoral. Quelle est l’étendue de cet usage secondaire surtout quelles en sont les conséquences pour l’avifaune ? 

Espèce test 

On dispose en fait de peu de données sur ce comportement et encore moins sur son impact en termes de mortalité éventuelle. Une étude anglaise sur des nids de balbuzard pêcheur situés dans des paysages à dominante agricole a montré que 5% de leurs aires contenaient des matériaux plastiques de type ficelles ou cordages synthétiques entremêlés avec les branchages. En Chine, une étude sur un bulbul (passereau) a montré que plus le degré d’urbanisation des zones occupées par cette espèce augmentait, plus on trouvait de matériaux artificiels dans leurs nids. Mais, là encore, les études n’ont pas recherché d’éventuelles conséquences. 

La difficulté avec ce problème c’est ce qu’il passe très souvent hors de la vue ; les observations ponctuelles, pouvant paraître anecdotiques, ne sont pas le plus souvent rapportées même dans le cadre des programmes de sciences participatives.  Pour en avoir le cœur net, une équipe nord-américaine a entrepris une étude détaillée sur une espèce locale qui niche aussi bien en zone urbaine qu’en zone agricole : la corneille d’Amérique, une espèce jumelle de notre corneille noire, ce qui rend les résultats parfaitement transposables. 54 nids ont été suivis, les uns en zone urbaine et les autres en zone agricole ; après l’envol des jeunes, ils ont été démontés et analysés quant à leur contenu. 

La ficelle plastique est partout désormais !

Edifiant ! 

85% des nids étudiés contenaient des matériaux artificiels d’une taille supérieure à 10cm. 77% de ces matériaux sont des ficelles ou cordages synthétiques dont les ficelles agricoles utilisées massivement en milieu agricole. Pour le reste, ont été trouvés 10% de bandes plastiques, 5% de câbles électriques et 5% de rubans divers. 

La longueur moyenne de ces débris trouvés tournait autour de 30cm mais avec des « records » à plus de 2m et une liste à la Prévert qui n’a rien de poétique : rubans, bandages de gaze, ficelles synthétiques de toutes sortes, sangles en tissu, sacs déchirés, filets déchirés, lignes de pêche, fils électriques, ficelles de ballons, … 

Les zones agricoles semblent encore plus touchées que les zones urbaines à deux niveaux : d’une part seuls 3 nids sur 36 en zones agricoles ne contenaient aucun de ces matériaux contre 5 sur 18 en ville ; d’autre part, la longueur totale des matériaux par nid est significativement plus élevée en zone agricole avec une moyenne de 3,6m versus 1,6m en zone urbaine. 

Photos extraites de l’article cité en Bibliographie

Quant à l’impact de cet usage immodéré des plastiques par la corneille, il est loin d’être négligeable : 11 des 195 jeunes observés dans ces nids étaient plus ou moins empêtrés dans ces plastiques allongés dont les ficelles. 9 d’entre eux étaient encore dans le nid en vie mais incapables de s’envoler et affectés par diverses blessures dont des orteils malformés ; 2 autres ont été retrouvés morts au pied de l’arbre empêtrés dans leur carcan plastique. Plus la longueur totale de matériaux artificiels était élevée dans un nid donné, plus il y a avait de chance d’y trouver des jeunes empêtrés : à chaque mètre supplémentaire, la probabilité augmentait de plus de 7 fois. 

Général ? 

Films plastiques utilisés pour le semis des maïs : les fabricants affirment qu’à la récolte tout est dégradé (il serait oxo-dégradable !???) ; mais en cas de vent, une partie doit se déchirer et être emportée et récupérée par un oiseau !

En Amérique du nord, on connaît de nombreux exemples anecdotiques de nids d’oiseaux incorporant des matériaux artificiels tout comme en Europe d’ailleurs et cela touche des espèces très variées dans toutes sortes de milieux. On sait chez nous par exemple que certains rapaces comme les milans récupèrent très souvent des objets artificiels pour les intégrer dans leur aire. Il semblerait que le goût des oiseaux pour de tels matériaux soit induit par leur ressemblance avec des matériaux naturels par ailleurs recherchés comme des tiges souples, des herbes, des lanières d’écorce, … On retrouve le même problème en milieu marin avec les tortues marines qui prennent les sacs plastiques pour des méduses.

Libre -service en plein air !

Localement, en cas de pénurie de matériaux naturels dans des zones hautement artificialisées, ce recours à des matériaux artificiels peut même être un avantage ponctuel, permettant malgré tout la construction correcte d’un nid. Mais est-ce que cela compense les effets négatifs observés ici ? Il faudrait pouvoir généraliser ces résultats à d’autres espèces et sur des territoires plus étendus pour avoir une idée de l’ampleur des impacts négatifs. Mais d’ores et déjà, cette étude semble bien indiquer qu’il y a un réel problème et que l’invasion progressive des milieux terrestres par les plastiques de toutes sortes va conduire à l’amplification de cette forme de mortalité. L’exemple des ficelles plastiques est révélateur : désormais, il devient impossible de trouver des ficelles non synthétiques et, à la campagne, on en trouve partout parfois en masses considérables, abandonnées en pleine nature. 

Et pourtant, il existe bien des filières de recyclage et des agriculteurs responsables qui récoltent leurs déchets.

Bibliographie

Plastic and the Nest Entanglement of Urban and Agricultural Crows. Townsend AK, Barker CM (2014) ; PLoS ONE 9(1).