Colchicum autumnale

Fin août dans l’Aubrac : un pré fleuri de colchiques

Filis ante patrem, « le fils avant le père », tel était le surnom moyenâgeux du colchique d’automne car les herboristes de l’époque pensaient que cette plante fabriquait ses fruits et graines avant ses fleurs. Cette croyance provient du cycle de vie particulier du colchique : il fleurit en automne mais sans feuille ni tige, disparaît en hiver et ne produit ces dernières qu’au printemps suivant en même temps que les fruits issus de la fécondation des fleurs de l’année précédente (plante dite hystéranthe) avant de re-disparaître à nouveau pendant tout l’été au moins en surface. Cette chronique va explorer les originalités du développement annuel des différents organes de cette plante singulière à plus d’un titre, et tout particulièrement les organes souterrains.

Corme

Le colchique, plante vivace, fait partie des plantes dites géophytes dont les parties aériennes disparaissent entièrement une partie de l’année mais qui persistent grâce à un organe souterrain chargé de réserves. En l’occurrence, il s’agit non pas d’un bulbe comme on l’entend souvent dire à tort, mais un corme en forme de poire allongée, de la taille d’une châtaigne. Il correspond à une tige épaisse, formée de plusieurs entre-nœuds très serrés et hypertrophiés (chargés de réserves nutritives) et protégée par des feuilles écailleuses ou fibreuses. Il grandit par le haut et porte, à certaines périodes, des racines adventives en dessous. Au sommet, on observe des traces concentriques qui trahissent l’emplacement des feuilles après leur disparition.

Ce corme produit en automne (fin août à octobre) une à trois fleurs remarquables par leur longueur réelle ; en effet, hors du sol, on voit un tube rose qui s’élargit en une coupe formée de six tépales rose lilas avec au centre les six étamines insérées sur deux rangées et trois stigmates recourbés en arc. Mais, sous terre, le tube se prolonge en profondeur sur près de vingt centimètres, prenant une teinte blanche avec l’ovaire enfoui à la base. Ceci en fait virtuellement une des plus longues fleurs de la flore ! En effet, pour fleurir le corme doit se trouver à cette profondeur optimale. Un pied produit plusieurs fleurs (4 à 7 en moyenne) réunies entre elles par de courts pédicelles en une inflorescence très condensée.

Au printemps, c’est une sorte de tige épaisse qui sort de terre, portant quatre à six feuilles vert foncé, allongées avec un pli en long ; le grand public méconnaît cette plante sans faire le lien avec la belle fleur d’automne et prend cette plante pour une tulipe ou un lis non fleuris ! Souvent, au centre de la rosette de feuilles en hauteur, il y a un fruit vert, une grosse capsule divisée en trois loges contenant des graines nombreuses rondes et brunes. Dès fin mai à juin, toutes ces parties aériennes meurent, ne laissant que la capsule qui s’ouvre et libère les graines.

Passage de témoin

En septembre, après trois mois de dormance estivale au cours desquels la plante semble avoir disparu (il reste au plus une tige sèche avec une capsule), le corme-mère, chargé de réserves nutritives, produit donc un long tube blanc qui va percer jusqu’à l’air libre pour donner la superbe fleur mauve lilas, le symbole de l’automne naissant. A ce moment, le corme ne porte aucune racine (1) mais sur renflement (appelé protubérance) situé à sa base, presque dessous, se dégage un bourgeon qui va élaborer un second corme, le corme-fille porteur à sa base de racines adventives. Ce système racinaire nouveau sur le corme-fille n’apparaît donc que vers la mi-octobre va rester actif au cours des sept mois qui suivent assurant entre autre la nutrition minérale et le ravitaillement en eau.

Dès la fin novembre, le corme-fille élabore ainsi une tige et quatre feuilles en rosette ainsi qu’une capsule contenant des graines non mûres (si la fleur a été fécondée). On remarquera que cette phase de développement des futurs organes aériens chlorophylliens se passe donc sous terre, dans l’obscurité totale ! C’est le corme-mère qui assure cette croissance en puisant dans ses réserves puisqu’à ce stade le corme-fille ne vient que juste d’entrer en fonction. L’amidon est la principale forme de stockage de matière carbonée et représente la moitié du poids sec du corme. Cette phase de développement automnal va consommer presque les ¾ de ces réserves d’amidon, hydrolysé en sucres libres tels que le sucrose dont la concentration augmente fortement à l’entrée de l’hiver, peut-être une forme de défense contre le froid. Le corme-mère contient aussi des réserves protéiniques (2) dont l’hydrolyse fournit des matières azotées et des matériaux permettant la fabrication des enzymes nécessaires à toute cette activité métabolique.

Renaissance

A partir de fin mars, après la dormance hivernale, l’activité reprend sous terre toujours grâce aux réserves restées dans le corme-mère bien entamé par la floraison (voir ci-dessus) et qui sont relocalisées vers le corme-fille producteur de la plante verte ; celle-ci se met alors à grandir intensément. Le corme-mère disparait ainsi rapidement, vidé de ses réserves. Fin mai, la plante verte commence à faner et meurt, ne laissant que la capsule mûre avec ses graines. Le corme-fille perd alors ses racines et abordera donc l’automne suivant ainsi dénudé (voir ci-dessus).

Ce turn-over avec deux cormes successifs permet ainsi le passage d’une génération à l’autre et la pérennité de l’individu ! En fait, la vieille plante est remplacée entièrement chaque année par la nouvelle issue du corme fille ; d’aucuns qualifient de ce fait le colchique de vivace pseudo-annuelle (3). On estime que la plante peut vivre au moins 15 à 20 ans dans la nature et en culture on a ou constater des longévités de plus de 50 ans.

Descente aux enfers !

Mais comment cela se passe t’il au « début » de la vie de la plante (1) ? Les graines tombées au sol, transportées par les fourmis, germent et élaborent un bébé-corme doté d’une protubérance. Sur celle-ci se développent des racines qui assurent la nutrition mais tendent aussi à tirer le nouveau corme en profondeur par leur caractère contractile ; ce type de racines se retrouve (entre autres) chez les liliacées, proches parentes des colchicacées. Rappelons nous (voir ci-dessus) que pour avoir une bonne survie et se reproduire correctement, notre corme doit atteindre la profondeur idéale de vingt centimètres et qu’il se trouve ici tout près du sol. Commence alors une longue et lente progression en profondeur : l’année suivante, le jeune corme fabrique un corme-fille qui prend naissance sous le précédent et gagne ainsi un centimètre en profondeur. Il faudra donc environ quinze ans pour notre corme atteigne ainsi sa profondeur de croisière idéale. A partir de l’âge de quatre ans, des racines plus épaisses, peu nombreuses et à base renforcée, commencent à apparaître en plus des racines fines initiales qui améliorent la traction et la lente, très lente progression en profondeur.

Pour la petite histoire, notons que le colchique d’automne (et diverses espèces proches) peut être cultivé comme plante de rocaille : pour la production de bulbes après semis, on a du inventer un appareil ad hoc, une griffe mobile capable d’extraire les cormes à 15cm de profondeur !

Peuplement dans un sous-bois humide, l’autre milieu souvent fréquenté par le colchique

Adolescence

Cette progression centimétrique s’accompagne d’une lente évolution de la plante qui, progressivement, réussit à produire un corme de plus en plus gros en accumulant des réserves. Ainsi la plantule doit d’abord absolument produire une première feuille qui, via la photosynthèse, permettra de remplir le nouveau corme-fille ; si elle n’atteint pas ce stade, elle meurt. Ensuite vient le stade à deux feuilles, puis à trois feuilles ; à partir de là, la plante peut commencer à se reproduire. Ces stades successifs ne dépendent pas de l’âge : ainsi, 38% des plantes au stade deux feuilles y restent au moins l’année suivante. On estime qu’il faut au minimum 4 à 6 ans pour atteindre le stade trois feuilles mais cela peut aller jusqu’à 20 ans et plus !

Même arrivées à ce stade « adulte », les colchiques ne fleurissent pas pour autant tous les ans. Une étude conduite en Autriche sur trois ans (2006-2009) montre que 14% des plantes fleuries en 2006 n’ont pas refleuri les deux années suivantes ; seules 38% d’entre elles ont fleuri les trois années consécutives. La floraison et surtout l’élaboration du gros fruit porteur de nombreuses graines épuise une partie des réserves, sans compter que la phase automnale de floraison se fait sans les feuilles et donc sans apport photosynthétique.

Multiplication

Sur le terrain, on remarque souvent des touffes denses, signe que sous terre il a du y avoir une certaine forme de reproduction végétative. Ceci n’a lieu que chez les cormes matures d’une taille minimale de 2 à 3cm (plantes ayant au moins atteint le stade à deux feuilles). A la partie supérieure du corme-mère (et non pas en-dessous comme pour le corme-fille) apparaît un bourgeon dit irrégulier qui élabore un corme-fille différent du précédent car il n’a pas pour fonction d’assurer la continuité de la plante mais de la multiplier. Il peut d’ailleurs se développer à tout moment (et pas seulement au printemps) et notamment dès l’automne. Cependant, comme il se trouve placé un peu trop haut, il doit d’abord élaborer ses propres racines contractiles qui vont le tirer vers le bas, juste à côté de sa mère ; alors seulement, il pourra à son tour fleurir. Au fil du temps, ces individus néoformés s’agglomèrent autour du pied mère pour donner une « touffe clonale ».

Les conditions environnementales influent beaucoup sur ce recours à la multiplication végétative et notamment la qualité du milieu ; la proportion d’individus produisant de tels cormes secondaires peut varier de 5 à 47% dans une population donnée. En Autriche, on a observé que les plantes dans les prairies hautes le faisaient beaucoup plus que celles dans des prés à couvert herbacé bas. Dans la partie nord de son aire, le colchique ne se reproduit souvent presque que cette manière, capable ainsi de persister longtemps sans avoir besoin de fleurir.

Cette touffe fleurie doit correspondre à plusieurs cormes serrés dont des cormes filles

Disons en conclusion que tous ces aspects de la biologie du développement du colchique apportent une nouvelle dimension, le côté souterrain obscur, à cette fleur vantée par les poètes et renommée par ailleurs pour son autre côté obscur, la toxicité extrême. En guise d’épilogue, savourons ce poème de G. Apollinaire dans son recueil Alcools (1913) :

Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s’empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-la
Violâtres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne.

Les enfants de l’école viennent avec fracas
Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières
Qui battent comme les fleurs battent au vent dément.

Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne.

BIBLIOGRAPHIE

  1. The role of the roots in the life strategy of Colchicum autumnale. FRANKOVÁ, L., CIBÍROVÁ, K., BÓKA, K., GAŠPARÍKOVÁ, O. & PŠENÁK, M. Biologia, Bratislava, 59/Suppl. 13: 87—93, 2004
  2. Protein reutilisation in corms of Colchicum autumnale Lenka Franková, Katarína Cibírová, Károly Bóka, Otília Gašparíková& Mikuláš Pšenák. 2006 Institute of Botany, Slovak Academy of Sciences
  3. Biological Flora of Central Europe Colchicum autumnale L. Linda S. Jung et al. Perspectives in Plant Ecology, Evolution and Systematics 13 (2011) 227–244

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le colchique
Page(s) : 316 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages
Retrouvez le colchique
Page(s) : 174-75 Guide des Fleurs des Fôrets