Leonotis leonurus

Avec la complicité malsaine du réchauffement global, on a vu apparaître en France continentale depuis une dizaine d’années, de nouvelles plantes horticoles acclimatées qui étaient auparavant réservées au littoral méditerranéen ou aux jardins botaniques. Ainsi, dans les jardinières qui ornent souvent les entrées des villages, trouve t’on désormais nombre d’exotiques improbables dont un arbrisseau aux fleurs superbes : la queue-de-lion. Un nom qui accroche l’imagination autant que ses fleurs attirent immanquablement le regard ! Intéressons-nous donc à cette belle étrangère pour autre chose que de savoir comment on la cultive. Qui est-elle ? D’où vient-elle ? Quelles histoires naturelles a t’elle à nous conter ? Ca tombe bien avec la queue-de-lion car elle porte avec elle un cortège chargé de belles histoires : une belle occasion de voyager à l’autre bout de la Terre sans pour autant participer au gaspillage d’énergie des transports aériens !

Labiée

Pas difficile de deviner la famille à laquelle appartient la queue-de-lion : ses longues corolles en tube termines par une double lèvre nous rappelle aussitôt les fleurs des Phlomis (voir la chronique sur la sauge de Jérusalem) ou des sauges. Nous avons bien affaire à une plante de la famille des Labiées ou Lamiacées : le calice en forme de coupe à cinq dents pointues, les quatre étamines cachées sous la lèvre supérieure, le long style terminé par un petit stigmate bifide sont autant de signatures de cette famille. La corolle somptueuse mesure 3,8cm de long en moyenne à pleine maturité et son revêtement de poils orange lui confère un aspect velouté des plus seyants.

La disposition des nombreuses fleurs en étages denses et superposés (appelés « faux-verticilles » ou verticillastres) correspond à un autre caractère typique de nombre de labiées (voir la chronique sur le marrube). En moyenne, il y a cinq de ces étages par tige avec une bonne quarantaine de fleurs par étage. Comme la floraison progresse de la base vers le sommet et en cercles successifs au sein de chaque étage et que chaque fleur dure en moyenne trois jours, on a ainsi pendant plusieurs semaines une succession de floraisons du plus bel effet. Ajoutez à cela la beauté sublime des boutons floraux, semblables à des bijoux enchâssés dans un écrin (le calice), et vous comprenez les raisons du succès de cette plante tant comme décorative de jardin que comme fleur à couper.

Sud-africaine

Les feuilles opposées (autre caractère de Labiée), longues de 5 à 10cm, dentées, rugueuses dessus et veloutées dessous, dégagent une forte odeur aromatique au froissement du fait de leur revêtement de poils glanduleux contenant une huile essentielle. Dans la nature, la queue-de-lion se comporte en arbrisseau pouvant atteindre 2m de haut avec de nombreuses tiges dressées et fortes un peu quadrangulaires comme celles de nombreuses autres labiées. Par contre, en culture hors de son pays d’origine, on la traite souvent comme une annuelle vu qu’elle ne résiste pas aux rigueurs de l’hiver. En effet, cette plante est originaire de la bordure orientale de l’Afrique du sud depuis la région du Cap jusqu’au Natal et au Transvaal oriental. Commune et répandue là-bas, elle colonise les pâturages abandonnés, les zones rocheuses ou sableuses, les bords de rivières et les lisières de la côte à presque 2000m d’altitude. Elle affronte donc des conditions climatiques certes difficiles mais dans une gamme plutôt chaude !

La couleur orange vif de ses fleurs a été, dans son pays d’origine, associée au lion. Les botanistes ont scellé cette relation à double titre : dans le nom de genre, Leonotis, formé de Leo pour lion (d’où l’adjectif léonin) et otis pour oreille (pensez à l’otite), à cause de la forme de la lèvre supérieure ; dans le nom d’espèce Leonurus avec ouros pour queue à cause de la forme de l’inflorescence allongée. La queue-de-lion est donc aussi l’oreille-de-lion et çà lui va très bien ! A noter que Leonurus sert aussi de nom de genre pour des labiées indigènes : les agripaumes aux petites fleurs veloutées elles aussi groupées en étages formant une longue inflorescence.

Fleur à oiseaux

Chez nous, ces fleurs ne manquent pas d’attirer abeilles et bourdons qui s’affairent à butiner ces fleurs qui leur posent néanmoins un problème : la récompense offerte, un riche nectar sucré, est secrétée tout au fond du long tube de la corolle, par un disque qui entoure les quatre ovaires et se trouve donc hors de portée de ces insectes qui ne peuvent aller au delà de l’entrée bilabiée, fortement rétrécie ensuite. Ils peuvent se rabattre sur le pollen libéré par les anthères des étamines plaquées sous la courbure de la lèvre supérieure. En Afrique du sud, les visiteurs principaux de ces fleurs sont des passereaux de la famille des souimangas, les nectariniidés, bien nommés car se nourrissant essentiellement du nectar des fleurs. Ils sont l’équivalent écologique en Afrique et en Asie-Océanie des colibris américains mais n’ont aucune parenté avec eux (les colibris ne sont pas des passereaux mais des proches parents des martinets et des engoulevents !). Au moins quatre espèces dont le superbe souimanga malachite visitent régulièrement les touffes fleuries de queue-de-lion. Contrairement aux célèbres colibris, ils ne volent pas devant les fleurs, mais se perchent sur les tiges, juste en dessous d’un étage de fleurs ouvertes et, par en dessous donc, enfoncent leur tête dans la « gueule de lion » ouverte de la corolle de manière à insérer leur long bec courbé et atteindre le nectar qu’ils aspirent avec leur langue tubulaire. Chez certaines espèces, la dépendance envers cette plante peut être forte au point de défendre activement des massifs de touffes fleuries pour s’y nourrir ; cependant, cette dépendance varie d’une année à l’autre selon l’abondance d’autres espèces de fleurs tout aussi favorables comme celles des Aloès ou des Strelitzias.

Co-évolution

Seuls les souimangas semblent assurer un transfert efficace du pollen d’une fleur à l’autre. En effet, on remarque une forte corrélation entre la longueur des corolles (3,8cm) et celle des becs de ces oiseaux (2,5 à 3,4cm) mais aussi la forme arquée remarquablement similaire des deux. Ces correspondances étroites pointent vers une coévolution ancienne entre les souimangas et toute une guilde de fleurs à longue corolle courbée dont la queue-de-lion. D’autres indices plaident en faveur d’une double pression sélective : pollinisation croisée efficace des fleurs/alimentation énergétique des oiseaux. Les anthères des étamines s’ouvrent vers le bas, i.e. que lorsque qu’un souimanga force l’entrée pour atteindre le nectar, sa tête appuie sur les anthères qui déposent (à maturité) le pollen qui a en plus tendance à être agrégé en petits paquets. Quand un oiseau à la tête barbouillée de pollen en visite une autre à ce stade, le transfert croisé de pollen peut se faire sur le stigmate, antenne collectrice sur laquelle le pollen va germer et assurer la fécondation. La production d’un nectar de haute qualité nutritive (près de 25% de sucrose) en faible quantité mais sur de nombreuses fleurs à la fois assure à ces oiseaux une alimentation continue. Les chercheurs ont calculé qu’un souimanga olivâtre dépensait quotidiennement environ 19 kJ d’énergie pour défendre une touffe de queue-de-lion et se nourrir tandis qu’il récupérait plus de 57 kJ en aspirant le nectar !

Une analyse phylogénétique des genres proches de Leonotis montre que cette espèce (et les autres du même genre) dérivent d’autres genres entièrement pollinisés par des insectes : ils en diffèrent par l’aspect particulier de leurs fleurs en lien avec la mise en place de leur interaction avec les souimangas.

Précision

Les abeilles visitent ces fleurs même si elles ne participent pas à leur pollinisation effective

Le développement de ces fleurs suit une série d’étapes très précises. Au cours de la floraison, le style s’allonge et amène le stigmate terminal tout en haut de la fleur, en avant des étamines ; ainsi, il se trouve éloigné des anthères (productrices du pollen) et de plus il mûrit un peu plus tard que ces dernières : cette protandrie (mâle d’abord puis femelle ensuite) favorise la pollinisation croisée. Le bord de la lèvre supérieure se trouve bordé d’une brosse poilue dense très visible par en dessous qui récupère le pollen sur la tête du souimanga. La lèvre inférieure quant à elle possède trois lobes étalés amis glabres ; elle se déploie rapidement au début de l’éclosion de la fleur tôt le matin et fane dans les une à deux heures qui suivent. Par contre, le reste de la fleur (le tube et la lèvre supérieure) persistent pendant trois jours : l’accès des souimangas s’en trouve donc facilité vu qu’ils arrivent par en dessous ! La couleur orange lumineuse n’est sans doute aps fortuite mais le résultat de la sélection réciproque : en effet, chez les oiseaux, cette couleur semble très attractive (tout comme le rouge pour les colibris) tout en attirant moins les insectes voleurs qui recherchent plutôt le bleu ou le jaune. Enfin, la succession des floraisons du bas vers le haut, tant dans l’inflorescence entière que dans chaque étage, assure une fourniture continue de fleurs sur une longue période. Il est d’ailleurs symptomatique que selon les endroits, la queue-de-lion peut fleurir à des époques différentes (l’été étant là-bas en « hiver » pour nous) selon que les espèces de souimangas soient résidentes ou hivernantes.

Cependant, d’autres animaux visitent ces fleurs : des abeilles et des zostérops (autres passereaux au bec court) qui souvent percent les corolles à leur base pour accéder directement au nectar inaccessible pour eux. Ils se comportent ainsi en « voleurs » (du point de vue de la plate) qui pillent la ressource mais sans pour autant assurer la pollinisation vu qu’ils ne passent pas par l’entrée principale ! Le calice épineux et rigide protège des attaques de ces indésirables tout comme le resserrement des fleurs en étages très denses : une autre pression de sélection concomitante à la précédente a donc participé au façonnement progressif de ces fleurs.

Wildedagga

En Afrique du sud, la queue-de-lion est connue sous ce nom populaire : wilde vient de wild pour sauvage mais dagga est intraduisible car dérivé d’un mot de la langue de l’ethnie Khoï ou Hottentot, dachab, qui désigne .. le Cannabis ! Les premiers colons avaient remarqué que les Hottentots fumaient les feuilles séchées comme tabac supposé apporter une sensation euphorique et calmante ; néanmoins, l’effet prétendument narcotique semble très limité et infondé provoquant au plus des maux de tête, des troubles de la vision et une certaine sudation ! Cette plante contient un riche registre de substances chimiques actives comme nombre d’autres labiées (pensez à la lavande, au thym, à la sarriette, à la sauge officinale, au romarin,…) et connaissait de multiples usages au sein des ethnies locales dont un usage contre les morsures de serpents y compris sous forme de philtre capable de maintenir ces derniers à distance ! une multitude d’études pharmacologiques ont et continuent d’explorer les multiples propriétés de cette plante médicinale mis une étude de 2008 a montré que sur des rats en laboratoire, de hautes doses de cette plante provoquaient des effets négatifs importants pouvant conduire à la mort. Donc, prudence quant à l’usage éventuel de cette plante cultivée chez nous, qui plus est sous un climat différent et souvent après avoir été copieusement aspergée de pesticides !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Molecular Phylogenetics of the Leucas Group (Lamioideae; Lamiaceae) Anne-Cathrine Scheen and Victor A. Albert. Systematic Botany (2009), 34(1): pp. 173–181
  2. Pollination ecology of Leonotis leonurus. Fiona Getliffe Norris. Veld &Flora ;1989.
  3. Territoriality and Changes in Resource Use by Sunbirds at Leonotis leonurus (Labiatae). S.K. Frost et al. Oecologia (Berl.) 45, 109-116 (1980)
  4. Leonotis leonurus: A herbal medicine review. Ofentse Mazimba. Journal of Pharmacognosy and Phytochemistry 2015; 3(6): 74-82