Passiflora caerulea

La passiflore bleue est une liane semi-rustique qui est idéale conduite en treille sur une façade ou contre un mur.

Les passiflores, et tout particulièrement la passiflore bleue, l’espèce la plus cultivée comme ornementale du fait de sa relative rusticité, font désormais partie des fleurs devenues familières au grand public. Leur beauté et leur opulence fascinent tout comme les symboles religieux dont on les a chargées. Vues de loin, ces fleurs semblent relativement simples avec une structure globale rayonnante dans laquelle on reconnaît a minima des étamines, un pistil central et des pétales ; pour le reste, on commence à « patauger » un peu et on ne sait plus très bien de quoi il s’agit comme ces cercles de filaments vivement colorés à la base de la fleur, la couronne ou corona. Même le pistil et les étamines ont un air curieux. En fait, la fleur de passiflore présente une réelle complexité avec cette structure très originale qu’est la couronne. Cette dualité complexité/simplicité la caractérise bien et interpelle quant à la signification de cette structure et ses fonctions. Nous allons donc ici entreprendre une visite guidée en profondeur de la fleur de la passiflore bleue ; seulement dans un second temps (et une autre chronique), forts d’une bonne maîtrise de l’architecture complexe de cette fleur, pourrons nous aborder les questions relatives à son origine et son évolution.

NB : Pour illustrer cette chronique, nous avons utilisé des clichés de passiflore bleue mais aussi d’un cultivar horticole (Violacea) d’origine hybride (P. caerulea x P. racemosa) de structure pratiquement identique sauf la teinte générale pourprée. Par contre, les descriptions dans le texte ne se rapportent qu’à caerulea, notamment par rapport aux couleurs.

Fleur de la Passion

Le nom de genre Passiflora a été conçu par Linné en 1753 5 (1) en s’appuyant sur une légende religieuse répandue depuis le début du 17ème siècle par les missionnaires qui se servaient, en Amérique du sud, de ces fleurs comme symbole de la Passion du Christ (Passi dans le nom latin). Avec une imagination débordante typique des gens animés par la foi, ils avaient retrouvé en effet sur ces plantes tous les éléments symbolisant cette période avant la Crucifixion selon la Bible. Les feuilles composées palmées et les vrilles en tire-bouchon associées (plante grimpante) représentaient les mains et les fouets des bourreaux du Christ ; les cinq sépales et les cinq pétales symbolisaient les dix apôtres fidèles (manquaient à l’appel Pierre et Judas !) ; les cinq étamines suspendues et fendues à maturité correspondaient aux blessures corporelles infligées ; les trois gros styles, tout en haut, étaient évidemment les clous ayant servi à la Crucifixion ; et , cerise sur le gâteau, l’ensemble des filaments bleutés à la base de la fleur c’était, vous l’avez deviné bien sûr, la couronne d’épines (la bien nommé corona ou couronne !). Pour ma part, je me dis que cette fleur symbolise peut-être plus les souffrances infligées aux peuples amérindiens lors de ces périodes sombres de colonisation religieuse ! Comme cette histoire reste indéfectiblement attachée à cette fleur, nous allons la prendre comme fil conducteur pour découvrir les différents organes de cette fleur en retenant qu’elle est avant tout belle pour elle-même !

Les dix apôtres

Les fleurs de passiflores apparaissent une par une aux nœuds des tiges associées chacune à une feuille et une vrille. Les botanistes l’interprètent comme une inflorescence condensée qui s’est réduit à une fleur au cours de l’évolution (2) en se basant sur les différentes variantes rencontrées au sein du genre Passiflora très diversifié : l’axe central de l’inflorescence donne la vrille et porte à sa base une bractée latérale qui entoure la seule fleur restante, flanquée de deux autres bractées secondaires mais de même taille qu’elle.

Evolution de l’inflorescence vers une fleur unique au sein des passiflores ; l’axe central se transforme en une vrille et la fleur d’ordre 2 conserve ses deux bractées (d’après 2)

Ce sont ces trois bractées vert pâle, un peu teintées de pourpre, qui enveloppent les boutons floraux et s’écartent à la floraison tout en persistant : elles protègent le bouton floral des attaques des herbivores.

Viennent ensuite donc les « dix apôtres » : le périanthe des botanistes constitué d’un calice (sépales) et d’une corolle (pétales). Première originalité : alors que classiquement les sépales sont plutôt verts (et proches des feuilles) et les pétales colorés, ici, les deux cercles sont colorés, dits pétaloïdes, blanchâtres en interne et verdâtres sur le dos. Cependant, il reste facile de les différencier : les sépales qui forment le cercle le plus externe portent vers leur sommet une pointe. Ces cinq pointes sont très visibles dans la fleur en bouton car elles sont alors serrées et dressées. Notons que certaines espèces de passiflores ont perdu le cercle de pétales.

Les trois clous

De la fleur au fruit vert puis au fruit mûr orange

Que l’on observe la fleur de dessus ou de profil, le regard est tout de suite accroché par une étrange fourche à trois branches charnues, violet foncé et au profil arqué, qui culmine au sommet de la fleur. Chaque branche s’élargit vers son extrémité et porte une masse blanchâtre ovale. D’abord dressées et serrées, ces trois branches s’écartent rapidement et s’étalent comme un parapluie au-dessus de la fleur : ce sont les trois styles porteurs des stigmates blancs, les organes chargés de capter les grains de pollen qui vont germer dessus et enfoncer leur tube pollinique à travers les styles pour atteindre les ovules et les féconder.

Justement, l’ovaire qui contient les ovules se trouve juste en-dessous de cette fourche violette sous la forme d’une petite boule perchée au sommet d’une courte tige. C’est lui qui une fois la fécondation réalisée donnera le fruit, une grosse baie, d’abord verte puis jaune orangé à maturité : un fruit de la passion. Sauf que dans le cas de la passiflore bleue horticole, ce fruit n’a rien de passionnant sur un plan gustatif : peu charnu, insipide et un peu toxique à fortes doses (acide cyanhydrique).

Les cinq plaies

Nous passons donc aux cinq étamines positionnées juste en-dessous de l’ovaire en un cercle étalé. On les identifie assez facilement à maturité car chaque anthère jaunâtre (la partie terminale qui contient le pollen), pendante vers le bas, s’ouvre alors largement et expose le pollen granuleux. On remarque aussi qu’on peut les bouger facilement : elles peuvent osciller sur place car elles se trouvent articulées au niveau d’un seul point, un rétrécissement avec une tige vert clair aplatie, le filet de l’étamine. On les qualifie de ce fait de versatiles.

Leur position interpelle tout de suite le botaniste habitué des schémas classiques où on a un cercle d’étamines qui encadre le pistil (ovaire, styles et stigmates) ; ici, les étamines se retrouvent accrochées au pistil, ou plutôt au sommet d’une colonne qui porte juste au-dessus l’ovaire : on parle d’un androgynophore pour désigner cette structure originale (andro pour mâle ; gyno pour femelle et phore pour porter). Ce type d’organe n’est pas l’apanage des passiflores et se retrouve dans d’autres familles comme les caryophyllacées mais il prend ici une forme et une visibilité remarquables.

L’épineuse couronne

Schéma en coupe d’une fleur de passiflore (d’après 1).

Nous arrivons donc au cœur de la fleur, sous l’androgynophore qui trône au centre et au-dessus de la coupe étalée formée par sépales et pétales étalés pour rencontrer la fameuse couronne qui, de loin, saute aux yeux avec ses rangées de filaments bleutés du plus bel effet. Le caractère épineux de la couronne tel que vu par les croyants s’applique tout autant aux scientifiques : quelle est l’origine de cette structure très complexe dont on ne voit ne fait extérieurement qu’une partie ? Ce sujet fera l’objet d’une chronique à part tant il a et continue à faire l’objet de débats animés !

Commençons par la partie « émergée » de la couronne, celle directement accessible au regard. Elle apparaît sous la forme de cercles successifs de filaments tricolores, blancs et bleu clair teintés de pourpre foncé dans leur partie centrale : un cercle externe de très grands filaments rayonnants, les radii (rayons) en jargon botanique ; deux cercles plus internes dont un de petits filaments dressés très foncés, et le dernier, formé de filaments moyens clairs à leur base, tous convergents autour de la base de la colonne centrale (l’androgynophore) qu’ils enserrent : ce sont les pali.

Chez la passiflore bleue au moins, les rayons externes, outre leur rôle évident de signal visuel, de « néon publicitaire » en quelque sorte, de plate-forme d’atterrissage émettent en plus des composés volatiles odorants qui attirent les pollinisateurs, des hyménoptères : des bourdons et des abeilles sous nos climats. Les palis plus internes agiraient aussi de même (présence de tissu sécréteur).

Les filaments rayonnants externes sont nettement tricolores

Sous la couronne

Pour la suite, il va falloir se faire violence et oser décortiquer une de ces si jolies fleurs ! Sous le dernier cercle de pali, on découvre un rebord blanc, l’opercule qui dissimule une structure en forme de galerie couverte, la chambre nectarifère dans laquelle s’accumule le nectar secrété par ses parois. Cette chambre est fermée vers l’intérieur par un repli, le limen (seuil) qui touche l’opercule en haut (mais laisse un espace étroit) et possède un bourrelet interne, l’annulus (anneau). Une vue en coupe permet de s’y retrouver (3) !

Autrement dit, sous l’opercule de la couronne émergée se cache la chambre des délices et ceci nous amène tout droit au « mode d’emploi » ! Le nectar devient de facto accessible seulement aux insectes dotés d’une langue ou d’une trompe suffisamment longue pour passer entre les filaments de l’opercule et aspirer le nectar dans la chambre.

Pour accéder au nectar sous l’opercule blanc, les pollinisateurs doivent insérer leur langue ou trompe entre les pali et trouver la fente sans la voir directement et atteindre le nectar en contournant le rebord enroulé !

Abeilles et bourdons tournent autour de cet opercule et ce faisant offrent leur dos poilu aux anthères pendantes qui les surplombent ; celles-ci s’ouvrent très tôt dans la floraison, avant la maturité des stigmates sur les styles dressés (voir ci-dessus) et les gros grains de pollen lourds peuvent se coller sur le dos des visiteurs affairés. Un peu plus tard, les anthères étant quasiment vides, les styles s’abaissent et ce sont les gros stigmates qui s’offrent maintenant au dos éventuellement chargé du pollen d’une autre fleur, prêts à recueillir le précieux sésame pour la reproduction. Une fois la fécondation faite, les styles se redressent à nouveau d’ailleurs. Chaque fleur ne dure que un à trois jours au total (restant ouverte même la nuit) mais la floraison s’étale sur plusieurs mois et chaque matin de nouvelles fleurs apparaissent.

Attention : ce qui vaut pour cette espèce de passiflore-ci, ne s’applique pas aux autres espèces, loin de là ; parmi les quelques 500 espèces de passiflores (genre Passiflora), la structure de la couronne varie beaucoup notamment selon les pollinisateurs associés qui peuvent, sous les tropiques où elles vivent, être des oiseaux, des chauves-souris, des colibris ou des hyménoptères spécifiques.

BIBLIOGRAPHIE

  1. B- AND C-CLASS GENE EXPRESSION DURING CORONA DEVELOPMENT OF THE BLUE PASSIONFLOWER (PASSIFLORA CAERULEA, PASSIFLORACEAE). Claire A. Hemingway, Ashley R. Christensen, and Simon T. Malcomber. American Journal of Botany 98(6): 923–934. 2011.
  2. Expression patterns of Passiflora edulis APETALA1/FRUITFULL homologues shed light onto tendril and corona identities. Livia C. T. Scorza, Jose Hernandes‐Lopes, Gladys F. A. Melo‐de‐Pinna and Marcelo C. Dornelas. EvoDevo (2017) 8:3
  3. Space matters: meristem expansion triggers corona formation in Passiflora. Regine Claßen-Bockhoff and Charlotte Meyer Annals of Botany 117: 277–290, 2016

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les passiflores horticoles
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