En dehors de l’autofécondation, il existe deux grands modes de pollinisation, i.e. de transfert du pollen du pollen sur le stigmate récepteur du pistil : soit le vecteur est un animal, un insecte le plus souvent et on parle de pollinisation biotique, soit le pollen est transporté par l’air ou l’eau et on parle alors de pollinisation abiotique, sans recourir au vivant. Dans ce second groupe, la pollinisation par le vent ou anémophilie vient très largement en tête, celle par l’eau (hydrophilie) étant confinée dans de rares genres ou familles. Environ 10% des espèces d’angiospermes ou plantes à fleurs et l’écrasante majorité des ex-gymnospermes (ginkgo, cycas, conifères et éphédras) relèvent de ce mode de pollinisation. Nous allons ici découvrir au sein de la flore tempérée les grandes familles concernées, et les espèces les plus connues : ce sont elles que nous avons annoncées avec cette image des « fleurs du vent », même si le mot fleur ne concerne vraiment que les seules angiospermes. 

Familles dans le vent 

Chatons mâles de peuplier tremble (Salicacée/Malpighiale)

Les plantes anémophiles se répartissent dans plus de 60 familles différentes de la classification des végétaux soit entre 16 et 18% du nombre total de familles concernées par ce mode de pollinisation. ces familles appartiennent elles-mêmes à des ordres très différents et souvent non étroitement  apparentés : ceci signifie que l’anémophilie est apparue au cours de l’évolution à de nombreuses reprises dans de nombreuses lignées de manière indépendante. Il n’y a pas de groupe de parentés réunissant exclusivement les plantes anémophiles. On pourrait être tenté de le croire au vu des nombreuses ressemblances fortes dans la forme et la structure des organes impliqués (surtout les fleurs et les inflorescences) mais cela résulte de phénomènes de convergence évolutive, i.e. d’adaptations en réponse aux mêmes contraintes : pouvoir disperser son pollen avec le vent et pouvoir le capturer pour féconder ses fleurs. L’exemple le plus frappant à cet égard est celui des « arbres à chatons » dont les inflorescences denses et allongées évoquent des queues de chat : ils se répartissent dans deux ordres de la classification, les Fagales et les Malpighiales, très distants à l’intérieur de l’arbre des parentés des plantes à fleurs. 

Dans un grand nombre de cas, on ne trouve que quelques exemples d’espèces anémophiles au sein de familles majoritairement entomophiles. On peut citer l’exemple des pimprenelles, au milieu de la famille des Rosacées, les mercuriales au sein des Euphorbiacées ou une partie des pigamons chez les Renonculacées. Il existe néanmoins des familles très fortement dominées par des espèces anémophiles voir exclusivement anémophiles que nous allons explorer ci-dessous. 

Arbres à chatons 

Evoqués ci-dessus, ils réunissent donc des arbres anémophiles, dont les inflorescences de fleurs unisexuées (des chatons de fleurs mâles et des chatons séparés de fleurs femelles) se composent de fleurs très petites, nombreuses, réduites et serrées en groupes allongés ou chatons (catkin en anglais). Il s’agit donc en fait d’un groupe informel puisque ces arbres se répartissent dans deux ordres de la classification non directement apparentés.

Trois grandes familles de l’ordre des Fagales concernent notre flore : les Bétulacées (bouleaux, aulnes, noisetiers, charmes), les Fagacées (chênes, hêtres et châtaigniers) , les Juglandacées (noyers et caryas) ; ajoutons y deux familles exotiques avec des arbres souvent plantés comme ornementaux : les Casuarinacées et les Nothofagacées. Cet ordre foisonnant et très représenté dans notre flore a déjà fait l’objet de deux chroniques approfondies où nous détaillons la structure de leurs chatons : l’ordre des arbres à chatons (Fagales) et la famille des noyers et caryas (Juglandacées). 

La famille des salicacées (saules et peupliers) dans l’ordre des Malpighiales, très éloigné donc des Fagales, est l’autre grande famille d’arbres à chatons avec des sexes entièrement séparés (espèces dioïques). Les peupliers (Populus) sont pratiquement tous anémophiles : ils ont  des chatons mâles ou femelles longs et pendants faisant penser à des chenilles velues pour certains. Dans la chronique « les maîtres de la ripisylve », nous évoquons les chatons et la pollinisation du peuplier noir. Chez les saules (Salix), l’autre genre principal de cette famille, la situation par rapport à l’anémophilie se nuance quelque peu. Si toutes les espèces possèdent des chatons classiques avec les caractères adaptés à la pollinisation par le vent, une partie d’entre eux ont développé des nectaires à la base de leurs fleurs hyper réduites si bien qu’elles reçoivent aussi les visites des insectes pollinisateurs ; comme la floraison a lieu souvent tôt au printemps (un caractère commun à de nombreuses plantes anémophiles), elle attire mouches et abeilles ou bourdons fraîchement émergés et recherchant avidement des ressources florales rares à ce moment de l’année. Les botanistes ont concocté un terme technique pour désigner ce mode pollinisation « entre deux » combinant anémophilie et entomophilie : l’ambophilie ! Le saule marsault en est un bon exemple se situant à peu près à parts égales entre ces deux modes : voir la chronique « les doubles jeux du saule marsault ». 

Arbres non chatonneurs 

Ce titre nous permet de rappeler que le verbe désuet, chatonner signifie fleurir pour les arbres à chatons ! Il existe donc un autre groupe d’arbres anémophiles mais avec des inflorescences non en forme de chatons et cette fois avec des fleurs hermaphrodites, non unisexuées. Là encore, ils se répartissent dans des familles éparpillées au sein de la classification et non étroitement apparentées. Trois familles nous concernent pour notre flore.

Commençons par une famille clairement anémophile, les Ormes ou ulmacées. Leur floraison passe plus ou mois inaperçu car leurs fleurs rougeâtres sont très petites et peu voyantes ; elles apparaissent tôt au printemps (voir les saules ci-dessus) : une minuscule corolle dressée à 4-5 lobes encadre les cinq étamines bien saillantes aux anthères aplaties et les deux styles courts et porteurs de papilles, autant de caractères propices à l’anémophilie. 

Floraison très discrète de l’orme champêtre, avant l’apparition des feuilles

Dans la famille des Oléacées, les frênes offrent un exemple intéressant avec une nette tendance vers vers l’anémophilie. Ainsi, le frêne élevé se situe dans les anémophiles assumés avec ses paquets de minuscules fleurs sombres, peu visibles, dépourvues de corolle aux anthères bien dégagées et aux stigmates dressés et bien visibles. Par contre, le frêne orné arbore des fleurs certes un peu réduites mais très voyantes et nectarifères qui attirent des insectes pollinisateurs. En analysant l’ensemble des espèces de ce genre, on met ainsi en évidence des évolutions différenciées vers l’un ou l’autre des deux modes de pollinisation selon les espèces et même au sein des populations d’une espèce donnée. Les autres genres parents de cette famille sont clairement entomophiles et bien connus pour leurs fleurs odorantes et attractives : lilas, jasmins, troènes, forsythias, osmanthes, … On pense donc que les frênes ont du basculer assez récemment vers l’anémophilie ce qui expliquerait ces « hésitations » au sein de ce genre. 

Avec les érables (Acer) dans la famille des sapindacées, on aborde un exemple diamétralement opposé à celui des frênes : la majorité des espèces y sont nettement entomophiles (voir la chronique détaillée sur les érables) comme le plane ou le sycomore avec des fleurs riches en nectar. Quelques espèces néanmoins ont évolué vers un mode franchement anémophile comme l’érable argenté, une essence nord-américaine très plantée en ville aux fleurs minuscules rosées tôt au printemps sur les branches nues ou l’érable négondo aux fleurs mâles séparées (contrairement à la majorité des érables) avec des étamines aux très longs filets pendants typiquement anémophiles même si les abeilles les visitent aussi ! 

Herbes au vent 

L’ordre des Poales constitue de loin le bastion de l’anémophilie avec un ensemble de familles (en ne citant que celles nous concernant directement) presque exclusivement anémophiles : les graminées ou poacées (les « herbes » dont les céréales) (plus de 11 000 espèces !), les cypéracées (presque 6000 espèces de laîches, linaigrettes, souchets, scirpes, …), les joncacées (500 espèces de joncs et luzules) et les typhacées (65 espèces de massettes et rubaniers). 

Sans entrer dans le détail (fort complexe et avec une terminologie spécifique ardue), toutes ces herbes partagent des fleurs hermaphrodites ou unisexuées (chez les cypéracées notamment ou chez certaines graminées comme le maïs) petites verdâtres, peu colorées en général, groupées en épillets inclus dans des feuilles écailles (glumes) ; chaque fleur présente des stigmates plumeux déployés aptes à capter le pollen circulant libéré par les étamines aux longs filets pendants, sensibles au moindre vent, qui portent de longues anthères ; à la base de chaque épillet, une paire d’appendices réduits gonfle à maturité et oblige les feuilles écailles à s’écarter exposant ainsi ces fleurs au vent. C’est en grande partie ce pollen libéré en grandes quantités qui est responsable de nombreuses allergies et du sinistre « rhume des foins ». Les variations sur ce modèle général sont infinies notamment au niveau du regroupement des épillets en épis plus complexes. Souvent chez les graminées, au sein des épillets, une partie des fleurs perdent leurs organes femelles et se consacrent uniquement à la production de pollen. Chez les typhacées, l’évolution vers l’anémophilie s’est encore plus accentué avec une très forte réduction des fleurs réduites à leur plus simple expression mais innombrables et très serrées en épis florifères unisexués bien connus ressemblant à des cigares. Les quantité de pollen libérées par les milliards de graminées et apparentées qui composent les milieux herbacées (prairies, pelouses, savanes, marais herbeux, tourbières, steppes, …) se chiffrent en dizaines de tonnes par km2

Néanmoins, des observations assez récentes tendent à démontrer qu’un certain nombre de ces plantes typiquement anémophiles a priori reçoivent des visites d’insectes pollinisateurs dont les abeilles et les syrphes qui récoltent le pollen comme ressource nutritive essentielle (voir la chronique sur ce sujet) : il s’agit là d’un nouveau domaine de recherche que l’on commence juste à appréhender et peut-être bien plus important sur le plan écologique qu’on ne le croyait jusqu’ici. 

Herbacées anémophiles

Parmi les plantes herbacées, outre les Poales dont nous venons de parler, on trouve des anémophiles dans quelques familles disséminées dans la classification, souvent méconnues pour leurs fleurs petites et peu voyantes mais « trop » connues pour leur pollen parfois très allergène ! 

Les orties (famille des Urticacées avec aussi les pariétaires) possèdent des fleurs unisexuées groupées en « chatons » verdâtres, souvent sur des plantes séparées (ortie dioïque par exemple) de fleurs minuscules très réduites ; on reconnaît les fleurs mâles aux anthères des étamines qui dépassent nettement  d’un périanthe réduit à quatre lobes. Elles ont développé un mode original de projection du pollen : les étamines se trouvent sus tension dans le bouton floral et, à l’ouverture, « explosent » en projetant le pollen pris en charge par un éventuel courant d’air. 

Les plantains (famille des Plantaginacées) s’insèrent dans une famille de plantes majoritairement entomophiles avec notamment des genres aux fleurs très irrégulières (linaires, digitales, mufliers, véroniques, …) : leurs fleurs aux corolles réduites se regroupent en épis allongés ; elles émettent d’abord les stigmates allongés capteurs de pollen avant de déployer les étamines aux longs filets ; elles sont aussi visitées par des insectes pollinisateurs dont des abeilles qui contribueraient à la dispersion du pollen en favorisant les vibrations des filets propices à la libération du pollen (voir la chronique sur les plantes anémophiles visitées par des insectes).

Dans la famille des Polygonacées, aux côtés des renouées aux fleurs colorées et entomophiles comme la bistorte des prairies montagnardes, on trouve les oseilles et patiences (Rumex), avec de grandes inflorescences de fleurs verdâtres à la corolle très réduite avec de grandes étamines et des stigmates plumeux. Plusieurs espèces sont unisexuées voire dioïques.

La famille des Amarantacées comporte une grande majorité de genres anémophiles aux fleurs minuscules verdâtres et souvent condensées en épis : chénopodes, amarantes, salicornes, soudes, arroches, … Beaucoup de ces plantes vivent dans des milieux particuliers comme des marais salants, des espaces côtiers salés ou des steppes semi-arides aux sols salés : ces habitats hébergent très peu d’insectes pollinisateurs et présentent de plus une structure très ouverte et « battue » par les vents. 

Enfin, au sein de la gigantesque famille des Astéracées ou composées, quelques genres ont entamé une nette évolution vers l’anémophilie avec des capitules réduits : les armoises (Artemisia) et, tristement médiatisées, les ambroisies nord-américaines naturalisées un peu partout (Ambrosia) au pollen hautement allergène. 

Conifères 

Cônes mâles de cyprès de l’Arizona

Reste pour clore cette revue générale le groupe des 600 espèces de conifères (Pinales) ; on quitte ici le domaine des plantes à fleurs : les organes reproducteurs sont regroupés en structures appelées strobiles ou cônes. Tous unisexués, ils n’en sont pas moins le plus souvent réunis sur le même arbre (monoïques). Les cônes mâles, presque toujours mûrs en premier, se présentent sous forme de massues écailleuses pleines de sacs à pollen ; elles s’ouvrent massivement et libèrent alors de véritables pluies de pollen qui teintent les flaques d’eau en jaune !

Cette libération a lieu au printemps mais les cèdres par exemple font exception avec une pollinisation massive en début d’automne. Les grains de pollen sont généralement munis de deux petits ballonnets latéraux remplis d’air qui freinent la chute et facilitent donc la dispersion à longue distance du pollen.

Les fleurs femelles, réunies en cônes écailleux renferment les ovules qui émettent une gouttelette sucrée liquide, laquelle sert à capturer le pollen circulant qui se dépose et flotte à sa surface avant d’être « aspiré » par les ovules. Parfois, comme chez les mélèzes, ces jeunes cônes femelles peuvent être colorés de manière vive. 

Cônes femelles de mélèze

Contrairement à une image d’Epinal ancrée même chez les scientifiques, ce mode de pollinisation semble bien plus sophistiqué qu’il n’y paraît. Outre l’existence (non démontrée clairement) de turbulences et flux d’air induits par la disposition des écailles des cônes femelles qui guiderait les grains de pollen vers les ovules, on a mis en évidence des capacités surprenantes de « sélection » du pollen ; ainsi, avec deux espèces de conifères proches mais différant quant à la taille de leurs grains de pollen, on a démontré que les cônes de chacune des deux espèces qui coexistent dans leur habitat capturent bien plus de pollen de leur propre espèce que celui de l’autre espèce ! Pour certaines plates anémophiles, ce taux de sélectivité spécifique atteindrait 80% et serait permis par de subtils détails de l’architecture des fleurs générant des orientations préférentielles des grains circulant dans l’air. On est donc très loin de l’image dominante du saupoudrage massif à l’aveugle avec de grosses pertes. Non l’anémophilie n’est pas un mode de pollinisation primitif ou archaïque mais un stratégie élaborée et très efficace au moins dans certains types d’environnements. 

Bibliographie

Pollination and floral ecology. P. Willmer. Ed. Pinceton university Press. 2011.

Abiotic pollen and pollination: ecological, functional, and evolutionary perspectives. J. D. Ackerman. Plant Syst. Evol. 222:167-185 (2000) 

Wind of change: new insights on the ecology and evolution of pollination and mating in wind-pollinated plants. Jannice Friedman and Spencer C. H. Barrett Annals of Botany 103: 1515–1527, 2009