La Morge ; ici une plage de sable et de vase dans un méandre

Cette chronique rapporte quelques aspects de la biodiversité observée lors d’une mini-balade sur un espace naturel accessible au grand public ; il ne s’agit que d’un instantané partiel pour une date donnée avec des informations complémentaires sur le site. Vous pouvez retrouver l’ensemble de ces chroniques-balades à la lettre Z, rubrique Zoom-balade. Le site choisi se situe sur le territoire de l’Atlas de Biodiversité Territorial initié par la Communauté d’Agglomération Riom, Limagne et Volcans (RLV) en collaboration, entre autres, avec la LPO Auvergne et le Conservatoire d’Espaces Naturels d’Auvergne.

La Morge depuis le sentier de pêcheurs (1)

05/04/2022 La rivière la Morge traverse plusieurs communes de RLV depuis sa source près de l’étang de Lachamp sur la commune de Manzat. Entre St Myon et St Ignat, après son arrivée en plaine, son cours décrit une longue série de petits méandres avec des fragments de très belles forêts alluviales comme sur la commune de St Myon (voir les deux circuits traités dans zoom-balades) puis sur celle du Cheix/sur/Morge où nous nous rendons aujourd’hui.

Le point de départ est un monument incontournable de renommée régionale : le pont de César, dit « pont romain » (bien qu’il date de la fin du Moyen-âge) avec sa cambrure incomparable au-dessus de la Morge. Tout autour s’étend une forêt alluviale en bon état de conservation et qui abrite un large éventail de la flore typique de ce milieu. Très facile d’accès, elle est traversée de plus par un circuit de promenade local intitulé Au fil de l’eau. Le pdf ci-joint décrit le mini-circuit retenu ici (rayon de 1km au plus) et fournit un plan. Les numéros dans le texte situent les principales localités où observer les espèces décrites. 

La date choisie pour ce site ne relève pas du hasard : dans ces forêts humides de plaine (altitude 350m), au sol gorgé d’éléments nutritifs déposés lors des crues, la végétation herbacée démarre tôt au printemps et toute une série de plantes en sous-bois se hâte de fleurir et de boucler son cycle avant que le feuillage des arbres ne débourre et que la canopée très dense n’intercepte l’essentiel de la lumière. Une vague de floraisons déferle en sous-bois et sur les berges déployant sa palette des couleurs que nous allons passer en revue. 

Blanc 

Le long de la rivière ((1), les anémones des bois (voir la chronique) et leurs fleurs penchées solitaires bien ouvertes dominent en petites colonies ; en leur compagnie, de ci de là, on repère d’autres fleurs étoilées très proches mais plus délicates et groupées en inflorescences ramifiées : les isopyres faux-pigamon, une espèce peu commune de tendance montagnarde. 

Grosse colonie d’Alliaire le long du chemin (5)

En sous-bois en arrière-plan (2) une espèce domine très largement en colonies continues avec quelques pieds qui commencent déjà à fleurir : l’alliaire officinale, une indicatrice de sols très enrichis en matières nutritives. Ses fleurs à quatre pétales en croix signet. Sa famille, les crucifères ou brassicacées. Pour comprendre l’origine de leur nom, il suffit de saisir une feuille et de la frotter entre ses doigts tout en la portant sous le nez : elle sent nettement l’ail et est comestible. Elle sert de pante hôte à la chenille d’un joli papillon l’aurore dont les mâles tout blancs avec le bout des ailes d’un beau orange vif (voir la chronique). 

Une autre espèce ne va pas tarder à fleurir (2) : on devine ses boutons floraux blancs laiteux au milieu des feuilles pointues opposées deux par deux au long des tiges fragiles : la stellaire holostée.

Cardamine des bois (3)

Sur un banc de vase (3), quelques touffes étalées d’une autre crucifère (4 petits pétales en croix) rare et intéressante : la cardamine des bois, proche parente de la très commune cardamine hérissée, indicatrice de milieu très frais et ombragé.  

Bleu et violet 

Pulmonaires aux feuilles tachées de blanc avec des ficaires et de jeunes pousses de fusain

Les pulmonaires se reconnaissent au premier coup d’œil à leurs feuilles tachées de clair (voir la chronique) que l’on interprétait autrefois comme la « signature » des poumons (aspect de poumon malade !) ; leurs fleurs en tube varient du bleu intense au vieux rose violacé. En fait, plus il y a de fleurs bleues sur un pied donné, plus la floraison est avancée car les fleurs d’abord roses virent à mi-floraison au bleu cessant alors d’attirer les insectes pollinisateurs. Justement, un bourdon gros terrestre (sans doute une reine fondatrice) s’affaire sur ces fleurs. 

Dès le pont romain, on remarque les petites pervenches, bien connues même des non botanistes, le long de la haie (voir la chronique) ; on les retrouve un peu partout (2) en vastes colonies plaquées au sol quasi exclusives d’où pointent les vieilles feuilles vert foncé et les toutes fraîches d’un beau vert.

Lierre terrestre (5) au milieu de ficaires et des feuilles de muscatelline

Plus discret car de petite taille, le lierre terrestre ou gléchome est lui aussi fleuri dès la base du pont ; on le retrouve çà et là en toutes petites colonies. Ses fleurs violettes en long tube groupées en étages émergent du feuillage vert foncé, un peu bronze aux feuilles ondulées crénelées. Son nom de lierre renvoie simplement à son port rampant mais il appartient à une tout autre famille, celle des labiées comme les lamiers blancs ou pourpres qui poussent souvent en sa compagnie.

Par contre, des superbes touffes de violettes ornent le sentier le long de la rivière (1); on a beau se pencher pour les humer : elles ne sentent rien. Leur port est plus lâche que les classiques violettes odorantes des chemins, en touffes étalées sur des tiges allongées ; il s’agit d’une des deux violettes classiques des sous-bois : la violette de Rivin, identifiable à son gros éperon épais et violacé en arrière. 

Rose 

Une fleur rose est omniprésente bien que clairement fin de floraison (1) : la corydale solide, une parente des fumeterres des cultures et des cœurs de Marie horticoles. Très abondante ici, en colonies diffuses, elle arbore ses épis denses de fleurs qui valent une observation rapprochée : un long éperon, rempli de nectar, redressé à la verticale prolonge la fleur en arrière de sa « gueule » fermée. Une telle structure signe des fleurs accessibles aux seuls bourdons, capables de forcer l’entrée fermée en forçant de leur masse imposante et dotés d’une langue assez longue pour atteindre le nectar. Sauf que, économies d’énergie obligent, ces as de la pollinisation cherchent à gagner du temps et percent le bout des éperons avec leur langue forte et aspirent ainsi le nectar sans passer par l’entrée. Ce faisant, ils volent le nectar de la fleur sans assurer le service de pollinisation (transfert de pollen sur le pistil au passage). Les abeilles domestiques, opportunistes par excellence, repèrent vite ces ouvertures et en profitent. Regardez bien les épis : pratiquement toutes les fleurs portent des traces de telles effractions ! On parle de tricherie envers la plante. Certains pieds présentent un feuillage blanchi, signe de l’attaque de champignons microscopiques de type oïdium : c’est le chant du cygne, annonciateur de la fanaison générale. D’ici, un mois, les corydales seront invisibles, disparues de la surface … mais sous terre, elles conservent leur petit bulbe rond plein (d’où l’adjectif solide). 

Jaune et vert 

Les jonquilles ont disparu, fanées ou, malheureusement pour la plupart d’entre elles, cueillies en masse par les promeneurs du dimanche. Il reste leurs touffes de feuilles bleutées qui vont recharger le bulbe en réserves pour la floraison de l’année prochaine. 

Des colonies jaune d’or tapissent les creux plus frais (2): on reconnait bien là des fleurs de boutons d’or, d’un jaune intense mais avec bien plus de cinq pétales ; c’est la ficaire fausse-renoncule, proche parente des renoncules ou boutons d’or, une espèce très commune que l’on retrouve au long des haies et jusque dans les prés humides. 

En lisière (secteur), quelques petites colonies dressées d’un vert jaunâtre constellées de mini fleurs jaunes en étoiles à quatre pointes, groupées en étages autour des feuilles elles-mêmes étagées par groupes de quatre en croix : cette disposition singulière donne son nom, la croisette, une espèce de gaillet. Il fréquente aussi les belles prairies pâturées en bordure.

Les fleurs vertes, par nature, n’attirent guère l’attention. Pourtant, ici, deux espèces sortent du lot et accrochent le regard à cause de leur forme. Sur la rive droite en amont du pont (7) s’étend une colonie exclusive très étendue d’une plante aux feuilles d’un vert très foncé, sombre, d’où émergent des épis dressés de fleurs insignifiantes presque réduites à leurs étamines jaunes : la mercuriale vivace, une plante traçante de la famille des euphorbes, toxique comme la majeure partie des membres de cette famille. Elle indique des milieux forestiers assez anciens et se raréfie nettement en plaine. 

Hyper discrète, la muscatelline

L’autre bizarrerie botanique se mérite car il s’agit d’une toute petite plante de quelques centimètres de hauteur au feuillage rappelant celui des corydales (mais d’un vert terne) et portant un petit groupe de fleurs jaune verdâtre au sommet d’une mini tige dressée nue (5) : quatre fleurs verticales formant les quatre côtés d’un cube et une horizontale coiffant le dessus. On la surnomme de ce fait « la tour du beffroi » : c’est la muscatelline ou moscatelle, une plante méconnue et pas facile à voir (voir la chronique). 

A venir 

Et puis il y a celles qui pointent leurs feuilles mais sont encore plus ou moins loin de la floraison.

Le long du chemin de bordure (5), de grandes touffes de feuilles très découpées typiques d’ombellifères : une colonie d’anthrisque sauvage ou cerfeuil sauvage dresse ses tiges robustes striées de blanc et teintées de pourpre violacé aux départs des gaines des feuilles. Ses inflorescences, des ombelles, sont à peine visibles en boutons : elle va « exploser » d’ici fin avril et délivrer sa floraison massive, une « tornade blanche en sous-bois » (voir la chronique). Cette espèce recherche les sites enrichis en nitrates ; ici, ce sont les fins sédiments déposés par les crues et l’abondance de feuilles mortes qui enrichissent le sol. 

Dans le sous-bois proche de la rivière (2), quelques grandes plaques de feuilles découpées à divisions par trois signalent les colonies de la podagraire ou herbe-aux-goutteux, une autre ombellifère bien moins commune et typique des forêts riveraines. Elle ne va fleurir qu’en début d’été et encore uniquement pour les colonies disposant d’une trouée de lumière à la faveur d’un arbre mort tombé par exemple. Comme sa cousine ci-dessus, elle attire une foule de petits pollinisateurs généralistes : mouches, moucherons, petits scarabées, …

Souvent confondue avec une orchidée, la rosette de feuilles du colchique

Des rosettes dressées vert foncé (2) charnues font penser à des jacinthes ou des orchidées ; contre toute attente, ce sont les feuilles du colchique qui a fleuri en automne (voir la chronique) ; on l’associe aux prés mais il vit aussi dans les sous-bois ombragés et frais ! 

De fortes feuilles un peu en fer de flèche et en touffes attirent partout le regard ; selon les touffes où elles sont toutes vertes ou bien tachées de noir : l’arum maculé ou gouet est très abondant ; il ne va produire ses étranges inflorescences en cornet (comme les arums blancs des fleuristes : voir la chronique ) qu’en mai-juin. Près de la sortie du chemin en lisière (2), deux grandes colonies de ces feuilles intriguent : si elles ont bien la même forme, elles sont fortement veinées de blanc jaunâtre. Il s’agit d’une autre espèce d’arum, l’arum d’Italie, bien plus rare ici et probablement échappé de jardin et naturalisé le long de la rivière. 

Arbustes 

Le sous-bois très ouvert disparaît sous un tapis presque continu de lierre (le vrai lierre cette fois) : c’est le même qui grimpe aux arbres qu’il croise lors de son expansion au sol. Mais le trait le plus frappant de ce sous-bois, c’est la richesse en espèces d’arbustes qu’on y trouve, ce qu’on appelle la strate arbustive. Là, des massifs de troène vulgaire avec ses deux sortes de feuilles come les pervenches : des fraîches vert tendre et celles qui ont passé l’hiver vert foncé.

Ici, de grands fusains déjà entièrement feuillés et pointant leurs fleurs en boutons ; au long de la rivière, les érables prospèrent : érable champêtre, érable plane ou érable sycomore, certains en petits arbres, d’autres en énormes exemplaires ou en « bouquets » ou cépées. 

Et surtout il y a les aubépines : en effet, on trouve ici, côte à côte deux espèces très proches mais que, avec un peu d’attention, on peut apprendre à distinguer. Leurs épines redoutables permettent en tout cas facilement de les identifier en tant qu’aubépines tout court. La plus commune, que l’on retrouve partout dans les haies et les friches, est l’aubépine monogyne : elle a des feuilles assez profondément découpées en lobes profonds ; la plus rare, l’aubépine épineuse, confinée aux sous-bois frais et ombragés (6), se différencie par ses feuilles en coin à la base et juste dentées et à peine découpées en trois lobes. De plus, elle porte déjà des fleurs en boutons en ce début avril car elle fleurit en moyenne deux à trois semaines plus tôt que sa proche cousine. 

Autre originalité de ce site : on peut observer ici les trois espèces de groseilliers sauvages de plaine. Le groseillier à maquereaux (2), bien connu en culture, est ici sous sa forme sauvage identifiable à ses épines disposées par trois (voir la chronique) : il est déjà fleuri mais ses fleurs restent discrètes : une par une, pendantes et verdâtres ; elles donneront en été de tout petits « maquereaux » velus ! Le groseillier alpin (bien mal nommé !) forme des petits massifs (2 et 6) et est lui aussi en pleine floraison : des grappes courtes dressées de petites fleurs jaunâtres qui donneront des groseilles rouges peu nombreuses et très acides. Enfin, le plus rare ici, alors que très commun en culture, est le groseillier rouge (1) sous forme de quelques touffes près de la rivière. Peut-être s’agit-il d’échappés de culture ?

Ormes lisses 

En amont du pont, sur la rive gauche (6), deux très vieux arbres à moitié écroulés accrochent aussitôt le regard par un détail singulier : leur tronc difforme, bosselé, se couvre de touffes de rejets leur donnant un aspect hérissé. L’un d’eux, qui a perdu sa cime tombée au sol, a réussi à refaire une grosse branche couverte de fruits : en zoomant très fort avec l’appareil photo, on réussit à distinguer qu’il s’agit de samares (voir la chronique) d’orme, toutes petites et en grappes très nombreuses. Il s’agit d’une espèce d’orme rare et emblématique de ces forêts riveraines : l’orme lisse ou orme pédonculé (à cause des longs pédoncules qui portent les fleurs puis les fruits) est une espèce en fort déclin. En examinant la branche morte au sol, sous l’écorce détachée, on note des galeries en étoile : comme son cousin l’orme champêtre il est victime de la graphiose, cette maladie due à un champignon qui affaiblit l’arbre et facilite les attaques des scolytes, de minuscules coléoptères noirs dont les larves creusent sous l’écorce et achèvent de tuer l’arbre. 

Çà et là, on peut aussi voir son cousin l’orme champêtre en petits spécimens ; en lisière (secteur), on pourra admirer des pieds en plein soleil dont les branches portent des crêtes de liège en manchons faisant penser aux liquidambars, ces arbres d’ornement plantés en ville. La disposition des rameaux secondaires en « arêtes de poisson » permet de le distinguer d’un autre arbre qui peut lui aussi faire de telles crêtes de liège, l’érable champêtre. 

Et on s’accroche 

Très gros frêne en équilibre au-dessus de la rivière (1)

En suivant les rives au plus près (1 et 3), on épouse ainsi les ondulations de la rivière en petits méandres. A chaque fois, la rivière creuse et entame la berge du côté en creux et dégage une mini falaise de terre plus ou moins abrupte tandis qu’en face, elle dépose des bancs de vase et de sable fins. Les grands arbres, attirés par l’abondance de l’eau colonisent ces berges au prix de contorsions extraordinaires : il leur faut en effet grandir vers la lumière qui est au centre de la rivière tout en restant accroché dans une paroi sans cesse affouillée en hiver lors des crues. On peut ainsi admirer de superbes systèmes racinaires en partie mis à nu enfoncés vers l’intérieur tandis que le tronc se redresse tant bien que mal à la verticale. Certains semblent en équilibre instable et, effectivement, certains finissent par s’effondrer et se coucher en travers ou carrément être emportés et déplacés par le courant. 

Chronique d’une chute annoncée : les crues entament la berge dégagent les racines

A ceux-là s’ajoutent les arbres morts tombés eux aussi dans le lit de la rivière et qui s’accumulent en amas au gré des obstacles ou des bancs de sable sur lesquels ils échouent : ce sont des embâcles. Ils vont arrêter d’autres fragments flottants plus petits qui s’entassent en amont et finissent par former des fouillis inextricables.

Embâcle en formation (1)

Contrairement à une idée reçue solidement enracinée, ces embâcles ne nuisent pas à la rivière bien au contraire : ils créent des abris et des discontinuités dans le cours de la rivière très favorables aux poissons qui se réfugient autour ; ils apportent des éléments nutritifs et nourrissent toute une riche faune de petites bêtes décomposeurs ; … Lisez la chronique approfondie sur ce sujet passionnant et devenez un défenseur de ces embâcles trop souvent décriés et enlevés au prétexte « qu’ils ne font pas beau et encombrent la rivière ». La vraie beauté de la rivière c’est d’être pleine de vie et sans les embâcles la rivière perd une bonne part de cette profusion de vie. 

A ne surtout pas enlever (1) ; bel abri pour la faune ; en plus, il protège la rive du courant !

Le bois mort, source de vie incomparable, abonde aussi côté terre dans le sous-bois ; s’y développent là aussi de nombreux champignons dont les énormes amadouviers et toute une faune d’invertébrés se nourrissant du bois mort. Pour vous persuader de la beauté intrinsèque de ce bois mort, nous avons sélectionné quelques photos de souches mortes pourrissantes colonisées par des plantes, comme de mini jardins japonais suspendus …. du land’art naturel en somme ! 

Le bois mort (6) : signe d’une forêt vivante en bonne santé !

Bibliographie

Site RLV/environnement 

Site Atlas de la biodiversité de RLV