Cytisus scoparius

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Parmi les arbres et arbustes pionniers, spécialistes de la reconquête des terres agricoles abandonnées, le genêt à balais fait figure de leader en ce qui concerne les anciennes pâtures sous un climat assez humide et pas trop froid. Omniprésent dans les paysages de certaines régions de France comme la Bretagne ou le Massif Central, il tend à former des peuplements denses et quasi exclusifs (au moins dans un premier temps) : des genêtières pouvant couvrir de vastes surfaces. Le genêt se distingue par sa rapidité à conquérir ainsi ces espaces fraîchement abandonnés. Quels traits de sa biologie lui assurent une telle capacité ?

Ange ou démon

Jusqu’au milieu du 20ème siècle, le genêt à balais avait le statut de plante vivrière à plusieurs titres. Il était intégré dans les systèmes agricoles pratiqués dans les zones granitiques sur des terres pauvres : périodiquement, après plusieurs années de culture qui avaient épuisé les terres, on semait des genêts qui, par leur pouvoir de fixation de l’azote de l’air via les nodosités de leurs racines contenant des bactéries fixatrices, enrichissaient ainsi les sols en nitrates ; quand la genêtière s’était assez développée, on la brûlait et les cendres servaient alors d’engrais naturel pour reprendre un nouveau cycle de culture. De plus, on l’employait pour divers usages domestiques. Les rameaux secs servaient à fabriquer des balais ou à couvrir les toits comme chaume ; par rouissage des tiges, on obtenait une fibre textile donnant des toiles proches du chanvre ; l’écorce des tiges fournissait des tanins pour le traitement des cuirs. Enfin, on l’a localement exploité pour faire des fagots servant à chauffer les fours de boulangerie comme en Auvergne. On l’exploitait donc intensivement ce qui limitait largement toute velléité expansive.

Et puis, à partir des années 1950, des changements radicaux dans les pratiques agricoles allant vers une agriculture intensive et spécialisée ont conduit à l’arrêt de cet usage agronomique pendant que dans le même temps s’opérait un effondrement de l’élevage ovin et des parcours associés et un abandon des terres agricoles les moins rentables. Les genêts ont alors rapidement envahi ces nouveaux espaces brusquement disponibles, surtout les anciennes pâtures abandonnées, fermant les paysages et  diminuant fortement la biodiversité associée à ces milieux ouverts en développant ses peuplements denses exclusifs. Même là où le pâturage perdure ou a repris, les pâtures sont souvent exploitées de manière discontinue ou extensive ce qui permet au genêt de les coloniser aussi réduisant leur valeur pastorale, le genêt étant relativement peu apprécié des animaux domestiques. Les éleveurs doivent de ce fait éliminer mécaniquement (gyrobroyage) ou arracher ces indésirables tous les quatre à huit ans.

Pour comprendre cette capacité à conquérir les anciennes pâtures, il faut s’intéresser à deux aspects de la biologie du genêt à balais : la dispersion de ses graines, sachant que c’est son seul moyen de reproduction puisqu’il ne drageonne pas ou ne bouture pas et l’installation et la survie des jeunes plantules issues de la germination de ces graines.

Des fruits explosifs

La floraison printanière généreuse donne en début d’été des gousses vertes plates de 2 à 5cm de long, un peu arquées, hérissées de longs poils sur les lignes de suture des deux valves du fruit. En mûrissant, ces gousses virent au noir violacé et on devine sous forme de renflements les 5 à 12 graines qu’elles contiennent chacune.

Au cœur de l’été, par temps chaud et sec, on entend près des genêtières de petits craquements secs et pétillants : brusquement, les deux valves desséchées et sous tension s’écartent l’une de l’autre dans un processus explosif en se torsadant sur elles-mêmes, ce qui projette les graines au loin. On parle de dispersion explosive balistique et d’autochorie (auto-dispersion). Une étude menée en Australie (1) où le genêt à balais introduit se comporte en invasif très agressif montre que cette dispersion est loin d’être anecdotique : la distance moyenne atteinte par les graines ainsi projetées à partir de gousses à 1,50 mètre de hauteur est de 2,30m avec près de 10% des graines qui dépassent les 5 mètres et certaines qui vont jusqu’à 7mètres ! Cela dit, une bonne moitié d’entre elles se contente de tomber au pied de la plante faute d’explosion suffisante. Finalement, grâce à cette arme de dispersion, le genêt arrive à semer une bonne partie de ses graines suffisamment loin du couvert ombragé des canopées des adultes (voir dernier paragraphe) ; de plus, les graines des différentes gousses d’un même pied se trouvent dispersées en tous sens ce qui évite la dispersion regroupée avec risques de « consanguinité » des descendants.

Une partie des graines peut aussi subir une dispersion primaire via les grands herbivores qui broutent le feuillage et consomment au passage les gousses contenant les graines. Ainsi, on en retrouve, des graines intactes dans les crottes des moutons ce qui leur assure une dispersion à plus grande échelle.

Des alliés au sol

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Les graines luisantes et brunes se distinguent par la présence à leur sommet d’un petit appendice, une sorte de caroncule : il s’agit d’un élaïosome, riche en matières grasses et juste collé à la graine. Arrivées au sol après leur projection (dispersion primaire), les graines vont alors attirer des fourmis, omniprésentes dans tous les milieux, et grandes amatrices de ces petits « corps nourriciers » riches en matières énergétiques. Elles s’emparent donc des graines avec leurs mandibules en pinçant cet élaïosome et tirent la graine entière vers la fourmilière. Arrivées à bon port, elles détachent l’appendice et rejettent les graines sur un tas de « déchets » à proximité ou les entraînent à l’intérieur pour les détacher sous terre et consommer le précieux appendice. Ainsi, les graines subissent non seulement un second déplacement (dispersion secondaire) mais se retrouvent posées dans un contexte bien plus favorable : pas de prédateurs à cause des fourmis dissuasives et un sol enrichi et brassé par les activités des fourmis. On parle de myrmécochorie (transport par les fourmis) pour désigner ce second mode de dispersion. Elles peuvent aussi être dispersées secondairement par le ruissellement sur le sol, sous les roues des véhicules ou les chaussures des marcheurs ou les sabots du bétail.

Cependant, tout n’est pas aussi rose dans la réalité car, au sol, il n’y a pas que des alliés : rongeurs (mulots surtout) et oiseaux granivores récoltent et mangent volontiers ces graines projetées dont la majeure partie se trouve ainsi détruite dès sa chute.

En dormance

Les graines des genêts possèdent une autre caractéristique frappante au toucher : leur dureté liée à la présence d’un épais tégument imperméable. Celui-ci induit de facto une incapacité à germer immédiatement sans avoir subi les attaques des éléments naturels et avoir été imbibé d’eau ; on parle de dormance innée (2). Celle-ci permet aux graines de ne commencer à germer qu’avec les pluies printanières, donc à une période favorable. Cependant, diverses études de suivi des graines montrent qu’une partie d’entre elles ne germe pas l’année d’après ni même les années suivantes ; ainsi une étude en Australie a montré que 80% des graines enterrées dans des filets à maille fine à 5cm sous terre étaient toujours intactes près de quatre ans plus tard. Ces graines se trouvent donc dans un état de dormance dite induite générée par la graine elle-même « de l’intérieur » et on pense qu’elles peuvent rester ainsi jusqu’à 25 ans, toujours viables mais « endormies ». En laboratoire, on peut lever cette dormance profonde en appliquant de hautes températures ; ceci explique pourquoi après le passage d’un feu courant dans une genêtière, on observe dès l’année qui suit des germinations massives de graines enterrées dans le sol.

L’autre conséquence de cette dormance induite, c’est la constitution au niveau du sol, sous les peuplements denses, d’une formidable banque de graines qui variait de 1000 à plus de 19000 graines au m2 dans une étude menée dans le Gard (2). Elle résulte d’une longue accumulation puisque la production annuelle est de l’ordre de quelques centaines de graines par mètre carré et qu’un pied de genêt commence à en produire à partir de l’âge d’au moins quatre ans. Celle-ci explique comment des populations denses de genêts peuvent réapparaître brutalement sur un site après une longue absence suite à la destruction de la genêtière originelle.

Sans perturbation, point de salut

Si on examine ce qui se passe sous un peuplement mâture et dense de genêts, on constate qu’il n’y a aucun jeune plant malgré la pluie de graines qui atterrit forcément aux pieds. Un suivi précis montre, qu’en fait, des graines germent mais les plantules meurent toutes très rapidement, tout en étant peu affectées par des attaques d’insectes herbivores. La cause première de cet échec tient à l’ombrage créé par la canopée des genêts adultes et la rude compétition pour l’eau et les nutriments du sol. Ainsi (2), si sur une parcelle, on fauche les genêts adultes sans retourner le sol, très peu de plantules s’installent car la végétation naturelle d’herbes vivaces (surtout des graminées) qui persistait sous ce couvert en profite pour s’épaissir ; par contre, si on rase une genêtière et qu’on cultive le terrain pendant un an seulement (donc on retourne le sol), toute une cohorte de plantules se développe (graines de la banque du sol) et réussit à se développer à temps avant le retour de la végétation spontanée. Les genêts ont donc impérativement besoin d’une perturbation importante du sol pour que leurs graines puissent germer et surtout que leurs plantules survivent et croissent. Autrement dit, le genêt créé toutes les conditions pour que sa descendance ne puisse pas réussir sur place mais il a besoin d’une intervention extérieure pour assurer son installation ailleurs.

La perturbation doit réduire ou anéantir temporairement la couverture herbacée au sol ; s’il y a en plus retournement du sol, cela favorise le retour vers la lumière et la chaleur des graines enterrées en profondeur. Concrètement, ces perturbations peuvent être diverses. Certaines dépendent directement ou indirectement de l’Homme et ses activités : abandonner brutalement le pâturage par les ovins revient à offrir un milieu idéal pour la germination des graines et la croissance initiale des plantules (voir un cas semblable avec les pins dans la chronique Pins, moutons et paysages) ; broyer la genêtière sans pâturage important derrière ; labourer et cultiver quelques années seulement ; faire brûler la genêtière pour éliminer les genêts sur le champ les fait revenir en force quelques années plus tard !

Parmi les perturbations naturelles, il en est une qui prend de l’ampleur et risque de favoriser ce processus : les boutis des sangliers qui retournent des dizaines de mètres carrés de sol dans les prairies ou les genêtières à la recherche des bulbes ou des rongeurs !

Il y a aussi les épisodes de froid intensif qui localement peuvent tuer des peuplements entiers de genêts notamment en moyenne montagne.

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Pâture envahie par des genêts à balais. Aubrac

BIBLIOGRAPHIE

  1. Potential ballistic dispersal of Cytisus scoparius (Fabaceae) seeds. Juan E. Malo. Australian Journal of Botany 52(5) 653–658. 2004
  2. Factors affecting the establishment of Cytisus scoparius in southern France : implications for managing both native and exotic populations. Q. Paynter et al. Journal of applied Ecology ; 1998, 35 : 582-595
  3. Development of Cytisus scoparius L. at stand and individual level in a mid-elevation mountain of the French Massif Central. Bernard Prévosto , Audrey Robert , Patrick Coquillard. Acta Oecologica 25 (2004) 73–81

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le genêt à balais
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