Papaver rhoeas

11/04/2020

Elles ne sont pas nombreuses les plantes sauvages à pouvoir se vanter d’être au moins aussi populaires que le grand coquelicot, LA fleur par excellence ! Son nom à lui seul éveille plein d’images bienveillantes et fait résonner en nous des poèmes ou des comptines. On a recensé des centaines de surnoms populaires selon les régions de France, témoins de cet engouement populaire général envers cette plante. Historiquement, il a été la fleur symbole des grands champs de bataille de la Première Guerre Mondiale avec le Poppy Day anglais. Très récemment, on en a fait l’emblème de la lutte contre l’usage des pesticides, même s’il n’était pas forcément le mieux placé par rapport à cette problématique : nous avons évoqué ceci dans chronique : « Le coquelicot, un emblème anti-pesticides ambigu ». A cette occasion, nous avons présenté les milieux de vie de cette espèce. Le printemps avançant à grands pas, nous n’allons pas tarder à voir fleurir les premiers coquelicots : alors, nous allons parcourir le cycle de vie du grand coquelicot, l’espèce de loin la plus commune parmi les quatre présentes sur l’ensemble de la France (voir la chronique : Quatre coquelicots). 

Rosettes 

Plantules à différents stades ; attention : il y a aussi des rosettes de pensée des champs (feuilles arrondies crénelées)

Dès l’automne ou en hiver et au tout début du printemps, apparaissent les premières plantules annonciatrices de la nouvelle génération de cette plante entièrement annuelle, i.e. qui meurt chaque année et réapparaît l’année suivante grâce à la germination des graines produites avant la mort estivale. 

La plantule issue de la germination va donner naissance dans un premier temps à une rosette de feuilles étalées qui va s’étoffer en nombre et s’allonger jusqu’à atteindre pour les pieds les plus vigoureux un diamètre de 40 cm ! On parle de feuilles radicales (de radix = racine, car au plus près de celle-ci)

Au tout début, les plantules restent, comme celles de nombreuses autres espèces annuelles les plus diverses, difficiles à reconnaître ; en effet, les trois premières paires de feuilles (dont les cotylédons, les feuilles primordiales qui émergent de la graine lors de la germination) présentent un aspect très différent des feuilles ultérieures de la plante développée. Le seul critère qui attire l’attention concerne alors la teinte nettement bleutée, surtout sur la face inférieure de ces feuilles. 

A partir de la quatrième paire de feuilles, leur forme se transforme avec l’apparition de découpures sous forme d’incisions perpendiculaires à l’axe de la feuille. Ces découpures s’accentuent au fil des paires successives. A ce stade, on peut nettement identifier les rosettes des coquelicots … sauf qu’il en existe quatre espèces proches (voir la chronique : Quatre coquelicots) et que leur distinction reste assez délicate car pour chaque espèce il existe de très fortes variations individuelles : on parle de polymorphisme foliaire très fort. En pratique, si on est novice, mieux vaut attendre que la rosette commence à élaborer une tige porteuse à son tour de feuilles dites caulinaires (de caulis = tige) pour avancer un diagnostic sûr ; et, mieux encore, attendre la floraison, pour identifier sans trop de difficulté (voir la clé fournie dans la chronique Quatre coquelicots). Les clés dichotomiques d’identification de la plupart des flores classiques sont basées exclusivement sur les caractères floraux et des fruits. 

On peut quand même fournir quelques indices propres au grand coquelicot, l’espèce étudiée ici : 

– des feuilles découpées et lobées : les lobes sont au plus redécoupés une fois en lobes secondaires en principe ; souvent, il n’y a que des découpures de premier ordre

– le lobe terminal est plus grand que les latéraux 

– lobes dentés à dents aigues prolongées par une soie courte de moins de 1mm.

Avec une longue pratique, on arrive à identifier les espèces à leurs seules rosettes ! 

Tige 

Bien qu’annuel, le grand coquelicot développe rapidement une racine pivotante blanche pourvue de nombreuses radicelles et ramifiée qui s’enfonce dans le sol et assure la prise d’eau et de nutriments. A partir de fin avril (voire même mi-avril depuis le changement climatique) et surtout début mai, la rosette fournie et souvent opulente élabore une tige dressée, rameuse, cylindrique, parcourue en interne par des vaisseaux chargés d’un latex blanc qui s’écoule à la cassure.

C’est le même type de latex bien connu chez le proche cousin des coquelicots, le pavot somnifère, dont on extrait divers alcaloïdes, bases de médicaments et de drogues célèbres. Le grand coquelicot en contient au moins quatre aux effets calmants et narcotiques mais bien moins puissants que ceux du pavot. A noter que pour les botanistes, pavots et coquelicots relèvent du même genre Papaver ; d’ailleurs, le grand coquelicot porte entre autres surnoms ceux de pavot rouge, pavot des champs ou pavot-coq. 

Feuilles culinaires plus découpées et plus allongées

Dès ce stade, avant même l’apparition des premières fleurs, un nouveau caractère diagnostique devient facile à repérer : la présence de poils raides étalés à l’horizontale, avec une base teintée de rouge ; on les retrouve même ensuite sur les calices et les pédoncules des fleurs. 

Les tiges grandissent et portent donc des feuilles caulinaires espacées, alternes, moins grandes que les radicales de la rosette et souvent plus découpées, à lobes incisés aigues, portant elles aussi des poils étalés ; elles ont toujours le lobe terminal bien plus grand que les autres et s’insèrent directement sur la tige, sans pétiole. 

Au sommet des tiges, à maturité, se développent de longs pédoncules dressés, dépourvus de toute feuille même très réduite, sur lesquels vont apparaître les boutons floraux. 

Pédoncules floraux hérissés de soies raides

Bonnet vert

Ces pédoncules portent des poils raides dressés perpendiculairement qui leur confèrent un aspect hérissé typique. A contre-jour, ces poils se détachent nettement. Chez certains individus, ils peuvent prendre une teinte entièrement rouge du plus effet : une variation de plus chez cette espèce très variable ! Il existe par ailleurs une forme (une variante) à pédoncules aux soies appliquées redressées en parallèle de la tige (forme strigosum) !

L’extrémité du pédoncule se courbe le plus souvent (parfois, elle reste dressée !) en col de cygne très gracieux et se termine par un gros bouton floral en forme de ballon de rugby vert, lui aussi hérissé de soies raides, presque piquantes, avec une base tuberculeuse très saillante, un peu comme la peau du poulet !

Là aussi, selon les individus, ces poils sont clairs ou rouges. On voit nettement que l’enveloppe du bouton se compose de deux parties soudées dans le sens longitudinal : ce sont les deux sépales du calice, un caractère propre à la plupart des fleurs de cette famille, les papavéracées : voir les chroniques sur la chélidoine ou la glaucienne

L’éclosion de la fleur donne lieu à un spectacle fascinant et relativement rapide pour être observable en continu. On sait que la floraison est imminente quand le pédoncule commence à se redresser et à remettre la fleur en position verticale. A l’intérieur, les quatre pétales volumineux et repliés de manière dite chiffonnée vont commencer à se déployer et exercer une pression sur le calice qui va se déchirer depuis sa base en progressant vers la pointe. Ainsi, les deux sépales qui commencent à s’écarter se retrouvent propulsés au sommet des pétales qui se déploient irrésistiblement en se déchiffonnant ; rapidement, ce calice ouvert se trouve perché au sommet comme un petit bonnet un peu ridicule et finit par tomber d’une pièce ou en deux pièces. Clairement, le rôle de ce calice se limite donc à protéger le seul bouton floral. 

Fleur à peine ouverte encore toute chiffonnée

Vague rouge 

Chaque jour, seules quelques fleurs d’un pied donné fleurissent. Elles ne durent que l’espace d’une journée : on parle de fleurs éphémères. L’ouverture du bouton floral commence souvent tôt le matin au lever du soleil offrant la fleur épanouie à l’aube avancée, prête à recevoir les visiteurs. En compensation de cette brièveté, chaque pied peut produire au fil des jours des dizaines de fleurs successives sur plus d’un mois. 

Les quatre pétales chiffonnés se déplient rapidement gardant quelques traces de froissement, exhibant leur rouge écarlate insolent. Chaque pétale atteint quand même 3 à 4cm de long et leur chevauchement latéral détermine une belle coupe au centre de laquelle se trouvent les organes sexuels. Par en dessous, les zones de chevauchement déterminent des secteurs plus sombres. On a donc là des fleurs de belle taille avec un diamètre de l’ordre de 7 à 10cm : associé à la couleur, cette taille remarquable explique en grande partie le succès populaire des coquelicots. 

Même pour les pétales, on observe des variations : souvent, ils portent à leur base une tache noire très marquée pouvant être interprétée comme un guide à … pollen (puisqu’il n’y a pas de nectar !) visuel pour les insectes visiteurs. Parfois, un cercle blanc complète cette tache noire : l’ensemble forme alors un motif en croix noire et blanche. 

La fanaison ne tarde pas dès la fin de matinée en général. Souvent, le bord des pétales se décolore et se replie, annonçant un rapide déclin lié à leur extrême minceur et fragilité : le prix à payer pour s’offrir de grosses fleurs quand on est une plante quand même assez modeste en taille !

Pollen à volonté 

Les étamines offrent un abondant pollen brunâtre

Au centre de la fleur se tient le pistil en forme de massue qui donnera le fruit ou capsule : cet organe qui renferme les futures graines et son évolution sont présentés dans la chronique sur Coquelicots et pesticides

Le pistil central est cerné par une « forêt » d’étamines très nombreuses. Chacune se compose d’un fin filet rouge à violacé portant au sommet une anthère pourpre foncé qui s’ouvre en deux sur les côtés. Elle libère ainsi le pollen très abondant . 

Noter les charges de pollen gris brunâtre typique de cette abeille domestique

Le pollen constitue la seule récompense offerte par cette fleur pourtant entomophile, i.e. ayant besoin des visites des insectes pour effectuer sa reproduction vu qu’elle est auto-incompatible ; une fleur donnée ne peut être pollinisée que par l’apport de pollen d’une fleur d’un autre pied. Aucun nectar n’est produit. Grâce à leur fort pouvoir attractif via leur taille et leur couleur et l’abondante production de pollen, les coquelicots réussissent néanmoins à attirer un riche cortège de pollinisateurs avec au premier rang les abeilles domestiques et solitaires et les bourdons. Il faut les voir le matin à l’ouverture des fleurs se ruer sur celles-ci et se « vautrer » littéralement dans la forêt staminale pour récolter la manne pollinique ; ils ou elles enduisent alors leur toison de grains de pollen ! Parfois, les bourdons vont jusqu’à forcer le passage des fleurs encore incomplètement déployées pour être les premiers servis : ils savent que la récompense ne va pas durer. Ils apprennent à exploiter ces fleurs : voir la chronique entièrement consacrée à ce sujet. De nombreux coléoptères et des syrphes (voir la chronique sur ces mouches pollinisatrices) visitent aussi régulièrement ces fleurs. En tournant dans la fleur pour effectuer leur récolte, ils peuvent toucher les stigmates en forme de lames aplaties au sommet du pistil et donc assurer la fécondation s’ils y déposent du pollen récolté sur une fleur d’une autre plante précédemment visitée. Cette stratégie du « tout pollen » conduit à une production de pollen supérieure à celle de nombre de plantes pollinisées par le vent (anémophiles : voir la chronique Fleurs du vent) qui pourtant en produisent de grandes quantités. 

Apparition miraculeuse ? 

Après leur dispersion par le vent notamment (voir la chronique sur Coquelicots et pesticides), les innombrables graines (des milliers par capsule) atterrissent au sol. Elles renferment un minuscule embryon insuffisamment formé et en état de vie ralentie (dormance) ce qui les rend incapables de germer. Un pied peut produire plus de 17000 graines ; si on prend un champ occupé par un peuplement de milliers de pieds, on atteint vite des chiffres de plusieurs millions de graines ainsi « déversées » sur le sol. 

Graines en forme de rein et alvéolées en surface (sous la loupe)

Elles ne deviendront capables de le faire qu’après un certain temps de séjour à la surface du sol ou dans la terre. Elles entrent donc dans ce qu’on appelle la banque de graines du sol et ne germeront que si elles se retrouvent exposées à la surface comme par exemple à l’occasion d’un labour ou de travaux. Même quarante ans après leur enfouissement, encore une sur six reste capable de germer : ceci explique la capacité des coquelicots à « surgir de nulle part » à l’occasion par exemple de grands chantiers routiers en pleine campagne. De la même manière, lors des deux guerres mondiales, les bombardements qui retournaient les sols ont favorisé des émergences massives de coquelicots sur les terrains de bataille : une  « pluie de sang » qui n’a pas manqué d’impressionner, on les comprend, les combattants ! Même pendant les guerres napoléoniennes, on avait noté que des coquelicots fleurissaient sur les tombes des soldats morts au combat et récemment enterrés : la terre retournée avait permis la germination des graines qu’elle contenait en réserve.

La fin d’une brève et intense matinée de floraison : les pétales tombent au sol !

Outre la chronique sur Coquelicots et pesticides, nous avons deux autres chroniques sur les Coquelicots : une sur leur couleur rouge et une autre sur la pollinisation par les bourdons.

Bibliographie 

Mauvaises herbes des cultures. J. Mamarot. Ed. ACTA. 2002

Flora vegetativa. S. Eggenberg ; A. Mohl. Ed. Rossolis. 2008