Hedera helix

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Une colonie de lierre fleuri en automne : une mine d’or pour les butineurs d’automne.

La floraison du lierre attire une foule d’insectes butineurs très variée en espèces ; cet aspect a fait l’objet d’une chronique approfondie « Une corne d’abondance pour butineurs d’automne ». Le lierre assure nectar et pollen à volonté pour des dizaines d’espèces d’insectes. Mais si on se place du côté du lierre, cette générosité naturelle n’a qu’un intérêt : assurer au maximum sa pollinisation et donc une production optimale de fruits. Ceux-ci ne seront mûrs qu’en fin d’hiver et vont alors attirer à leur tour une foule de visiteurs frugivores au premier rang desquels des passereaux tels que merles et grives. Là encore, ces fruits sont une aubaine pour les oiseaux hivernants à une période de l’année où tout le stock des petits fruits charnus a disparu et où, en principe, le froid s’est bien installé. Et là aussi, le lierre y trouve son compte puisque la plupart des oiseaux qui avalent les fruits rejettent les graines intactes dans leurs déjections et assurent ainsi la dispersion de l’espèce et la possibilité de coloniser de nouveaux sites (voir la chronique : Lierre : des fruits et des oiseaux). Donc, dans cette chaîne continue qui va des fleurs aux fruits, la pollinisation effective des fleurs constitue une étape clé pour la survie des oiseaux en hiver.

Tous les butineurs ne se valent pas

Au vu des foules d’insectes qui butinent les fleurs de lierre et de leur diversité, on serait tenter de dire : où est le problème ? Toutes les fleurs seront pollinisées et produiront forcément un maximum de fruits ! Sauf que de nombreux autres exemples prouvent que c’est beaucoup plus compliqué qu’il n’y paraît et qu’une fleur visitée, butinée par un insecte quelconque, ne sera pas forcément fécondée, loin de là : tous les butineurs ne se valent pas en termes d’efficacité par rapport à la pollinisation.

Les raisons en sont multiples : la quantité de grains de pollen captées et transportées par le visiteur varie beaucoup d’une espèce à l’autre selon notamment sa pilosité et sa technique de butinage : si le butineur place le pollen récolté sur ses pattes sous forme de pelotes (comme le font abeilles et bourdons), ce pollen sera « perdu » et ne pourra pas assurer la fécondation ; le rythme de visite des fleurs varie beaucoup : plus il est élevé, plus il y a de chances que çà aboutisse à une fécondation ; le contact du corps du butineur chargé de pollen avec le stigmate récepteur du pollen n’est pas obligatoire : selon sa position et sa façon de procéder, l’efficacité sera très différente ; l’abondance de l’espèce visiteuse reste évidemment un critère important mais pas suffisant.

Optimiser la pollinisation

Du côté du lierre, plusieurs aspects augmentent considérablement les chances de fécondation. Sa floraison tardive en septembre-octobre, à une époque où justement il n’y a que très peu d’autres espèces fleuries, lui assure une quasi exclusivité des butineurs encore en activité. Sa propension à former des colonies massives en occupant par exemple des pans de murs entiers ou des bâtiments lui permet d’offrir avec des milliers de fleurs à la fois. Celles-ci sont très ouvertes et donc faciles d’accès à tous les butineurs même peu expérimentés ou peu agiles et offrent nectar et pollen à volonté. La floraison se fait progressivement au cours des deux mois : les inflorescences formées de grappes ramifiées d’ombelles fleurissent d’abord en haut puis progressent vers le bas. Ainsi, à tout moment, des fleurs en boutons, des fleurs fraîchement ouvertes et des fleurs passées sont disponibles. Chaque fleur, même après avoir perdu ses pétales et ses étamines, continue de produire du nectar et d’attirer des butineurs. Le stigmate placé au sommet du disque central nectarifère est très accessible pour peu que l’insecte butineur passe près de la fleur. Enfin, le nectar produit est de bonne qualité, riche en sucres et sa sécrétion sur le disque central de la fleur favorise sa concentration par évaporation.

Une autre étude (2), où on a entre autres enveloppé des fleurs dans des sachets, montre en tout cas que le lierre produit nettement moins de fruits si on empêche les insectes de visiter les fleurs : les butineurs sont donc bien indispensables à une bonne pollinisation chez le lierre.

Qui est le plus efficace ?

Pour répondre à cette question, une équipe anglaise (1) a suivi des haies de lierre fleuri en délimitant des carrés de 0,5m2 sur lesquels les chercheurs ont effectué des observations (l’insecte touche t’il le stigmate ? A quel rythme visite t’il les fleurs ?) , des captures (pour évaluer la charge effective de pollen) et des dénombrements (quelles espèces ? avec quelle fréquence ?). Ils ont même filmé pendant une nuit favorable (assez douce) sous lumière rouge pour vérifier si oui ou non il y a avait des butineurs nocturnes en plus de ceux suivis le jour : ils n’ont pu dénombrer que trois papillons nocturnes sur une nuit ce qui permet d’exclure ces insectes comme pollinisateurs potentiels. Tous ces éléments recueillis ont ensuite été mis en parallèle avec la production de fruits par rapport aux fleurs initiales sur ces mêmes carrés afin de tester indirectement l’influence de la pollinisation.

 

Sept groupes de butineurs

Les observations permettent de répartir les butineurs en sept grands groupes qui se recoupent avec les données déjà présentées dans l’autre chronique. Dans l’ordre des visites, on trouve : les guêpes avec 55% des visites observées ; les « mouches poilues » (mouches bleues, vertes, à damiers ; tachinaires ; …) pour 33,5% ; parmi les syrphes (mouches aussi), ils distinguent les grosses espèces (plus de 1cm de long) pour 5,3% et les petites (moins de 1cm) pour 2,6% ; les abeilles domestiques ne représentent que 2,6% des visites, les bourdons 1,6% et les petites abeilles solitaires, 0,08%.

Voyons les performances des uns et des autres ! Abeilles, guêpes et bourdons visitent plus de fleurs par minute que les mouches ; parmi celles-ci, les grands syrphes et les mouches poilues visitent autant de fleurs par minute. Les mouches poilues, les syrphes et les abeilles entrent peu en contact avec les stigmates des fleurs du fait qu’elles butinent avec une langue assez longue : elles se tiennent donc assez « haut » au-dessus de la fleur. Les bourdons dotés eux aussi d’une langue plus ou moins longue entrent pourtant souvent en contact avec le stigmate à cause de leur gros corps poilu mais ce sont des visiteurs rares (au moins sur les haies étudiées). A l’inverse, les guêpes avec leur langue courte se tiennent bien plus près des fleurs et leur tête chargée de pollen entre ainsi souvent en contact avec les stigmates. Enfin, abeilles, guêpes et bourdons portent plus de grains de pollen sur leurs corps (les pelotes de pollen agglutiné sur les pattes non comptées) que les mouches où les syrphes en portent plus que les mouches poilues.

Et le gagnant est ….

A partir de toutes ces données, les chercheurs ont calculé un indice de pollinisation potentielle entre 0 et 1. Seules les guêpes se détachent avec un indice proche de 1 (0,9) alors que tous les autres ont un indice bien moindre. Le pourcentage de production de fruits (par rapport au nombre de fleurs initial) reste assez bas mais l’analyse statistique ne met en corrélation positive que le taux de visites des guêpes avec cette production de fruits. Donc, dans le contexte étudié, les guêpes se détachent nettement en termes d’efficacité. Seules les abeilles domestiques seraient plus efficaces mais ici, elles sont bien plus rares.

En apparence, le lierre a tout d’un généraliste quand on voit les hordes de visiteurs mais néanmoins, il semble bien présenter une certaine spécialisation envers les guêpes pour ce qui est de la pollinisation : des fleurs ouvertes produisant du nectar abondant et longtemps. La raréfaction des abeilles à cette époque et l’activité encore importante des guêpes a peut être servi de pression sélective au cours de l’évolution.

Des données récentes sur la biologie des guêpes amènent à reconsidérer ces insectes comme de potentiels pollinisateurs efficaces contrairement à ce que l’on avait tendance à croire. Les guêpes ouvrières collectent du nectar pour elles-mêmes mais aussi pour le couvain (les larves) qui va donner les mâles et reines assurant la reproduction avant l’hiver et la disparition de la colonie. Les guêpes sont capables d’identifier une source de nectar en flairant les ouvrières qui reviennent au nid ; en vol, elles savent repérer les mouvements de leurs congénères, noires et jaunes sur le fond vert uni du lierre. On sait aussi qu’elles peuvent enregistrer des indices visuels du paysage pour retrouver la source de nourriture. Des expériences montrent qu’elles peuvent parcourir jusqu’à plus de 2 km pour revenir au nid. Elles ont donc des compétences avancées même si elles ne sont pas aussi spécialisées que les abeilles en matière de récolte du nectar puisque le reste de l’année elles sont avant tout carnivores ou frugivores.

Oui, mais….

Les résultats fort intéressants de cette étude fouillée ne sont pas pour autant généralisables car il existe de fortes variations dans les assemblages de butineurs selon les localités et d’une année à l’autre. Ainsi les auteurs de l’étude signalent que dans une zone périurbaine proche de leur site d ‘étude, les bourdons étaient beaucoup plus représentés et eux aussi montrent une certaine efficacité dans la pollinisation !

Mais surtout, il y a une absente de marque, la « star du lierre » : la collète du lierre, Colletes hederae, une abeille solitaire « spécialisée » dans la récolte du pollen et du nectar des fleurs de lierre au point que son cycle de vie est décalé en automne. Quand elle est présente, on peut en observer des centaines, voire des milliers hyper affairées sur les fleurs de lierre et chargées de pollen sur leurs pattes. Il reste donc à déterminer l’efficacité de cette espèce dans la pollinisation du lierre ! Son absence dans l’étude anglaise tient au fait qu’elle n’est présente que sur la côte sud de l’Angleterre où elle est apparue dans les années 2000 et se trouve en forte progression.

Autre question posée par les chercheurs eux-mêmes : quid de la qualité de la pollinisation ? Selon le nombre de grains de pollen déposés, la taille des fruits et le nombre de graines contenues seront différents. Et là, nous revenons au final sur les consommateurs en bout de chaîne : il semble (mais cela reste à démontrer !) que les oiseaux frugivores préfèrent les fruits avec peu de graines (qui ne sont pas digérées). Alors, qui assure la meilleure qualité de pollinisation ? C’est cela la recherche, une chaîne de questions sans fin et des réponses toujours nuancées !!

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Du bon travail des guêpes (et des autres !) dépendra une part de la survie des passereaux frugivores en fin d’hiver quand il ne restera plus comme fruits charnus que ceux du lierre !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Pollinator effectiveness and fruit set in common ivy, Hedera helix (Araliaceae). Jennifer H. Jacobs • Suzanne J. Clark • Ian Denholm • Dave Goulson • Chris Stoate • Juliet L. Osborne. Arthropod-Plant Interactions. 2010. Springer.
  2. Pollination biology of fruit-bearing hedgerow plants and the role of flower-visiting insects in fruit-set. Jennifer H. Jacobs, Suzanne J. Clark, Ian Denholm, Dave Goulson, Chris Stoate and Juliet L. Osborne. Annals of Botany. 2009

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le lierre et ses fruits
Page(s) : 22-23 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus