Lithospermum

Grémil officinal

Dans la famille des borraginacées, les grémils se distinguent par des fruits-graines secs (akènes) remarquables par leur dureté et leur aspect de porcelaine blanche et brillante. Cette dureté leur confère une grande résistance à la décomposition qui les rendent particulièrement durables dans les couches de sédiments assez récents des fouilles archéologiques. De tels fruits n’ont pas manqué par ailleurs d’attirer l’attention des Anciens d’autant que ces plantes possèdent de réelles propriétés médicinales. Ajoutons y des propriétés tinctoriales des racines et nous avons là un cocktail idéal pour faire des grémils des plantes très chargées d’histoire et d’histoires. 

Akène de grémil officinal ; noter la cicatrice ronde du point d’attache de l’akène sur le pédoncule

Grémils 

Pour les botanistes, en ce qui concerne la flore de France, l’appellation de grémil recouvre des espèces appartenant à au moins quatre genres différents qui se répartissent en deux sous-groupes. Le premier réunit des plantes herbacées avec des inflorescences (cymes) comptant chacune plus de quatre fleurs avec deux genres. Lithospermum est représenté par une seule espèce, le grémil officinal, distingué par son port de quasi-arbrisseau (bien que ce soit une herbacée), ses fleurs d’un blanc laiteux sans teinte bleutée ou rougeâtre, la gorge de la corolle partiellement obturée par des écailles rudimentaires et le tube de celle-ci glabre. 

Buglossoides regroupe quant à lui quatre espèces aux fleurs blanc pur ou teintées de bleu/rouge (couleurs dues à des anthocyanes, pigments solubles), sans écailles à la gorge de la corolle mais avec le tube de celle-ci muni de cinq bandes de poils. Deux d’entre eux sont rares à très rares du Midi et deux assez communes : le grémil bleu-pourpre ( B. purpurocaerulea), espèce forestière vivace rampante des sous-bois herbacés et des lisières, et le grémil des champs (B. arvensis) annuelle typique des bordures de champs cultivés, surtout sur calcaire. 

Dans le second sous-groupe, on trouve des arbrisseaux très bas avec des inflorescences (cymes) comportant peu de fleurs (1 à 4) d’un bleu intense. Deux espèces rares se rencontrent en France : le grémil ligneux (Lithodora fruticosa) des garrigues méditerranéennes et le grémil couché (Glandora prostrata) des côtes du Pays basque et de Bretagne (d’où son surnom de crozonnaise) ; ce dernier est par ailleurs cultivé comme ornementale. 

Grémil couché (cultivé)

Au sein de la famille des Borraginacées, les grémils se placent dans une tribu qui porte leur nom générique (Lithospermées) avec de nombreux autres genres dont les vipérines (Echium) ; ces plantes partagent un revêtement de poils raides hérissés et une corolle faite de pétales soudés entre eux et un fruit multiple composé de quatre akènes qui se séparent à maturité. Mais dans cette vaste tribu, les grémils se démarquent nettement par l’aspect et la consistance de fleurs akènes.

Graines de pierre 

Akènes de grémil officinal

Comme toutes les borraginacées, le pistil des grémils comprend un ovaire en deux parties qui se recloisonnent secondairement ce qui délimite quatre loges avec un seul stigmate ; à maturité, ces quatre loges se séparent et donnent quatre fruits secs élémentaires séparés : quatre fruits-graines ou akènes formant un tétrakène comme chez les labiées ou lamiacées de manière convergente. Chaque akène, long d’environ 3mm, se présente comme une perle ovoïde lisse, luisante dure comme de la porcelaine grisâtre : de vrais petits bijoux naturels d’une remarquable délicatesse. Ces akènes sont la véritable signature des grémils et le nom scientifique de l’un des genres concernés, Lithospermum, le traduit bien : litho pour pierre et spermum pour graine. 

Evidemment, ces fruits leur ont valu une avalanche de noms populaires des plus évocateurs. Commençons par grémil qui remonte au milieu du 16ème siècle et dérive de variantes du 13ème grumil ou gromil avec la racine mil pour millet ; l’origine de la racine « gré » semble plus obscure avec diverses possibilités : grain, grès ou gravier ; on trouve aussi dans les anciens noms gremongrémin. Ces noms ont percolé chez nos voisins anglo-saxons (comme quoi les échanges linguistiques ne sont pas qu’à sens unique avec eux !) : gromilgraymillgromel ou grumel ont fini par donner son nom populaire déformé de gromwell.

Fruits du grémil des champs, très proches de ceux du grémil officinal

D’autres noms reprennent l’image du millet : millet de soleil (milium solis), millet de grès ou millet perlé. Ce dernier nous conduit vers l’image des perles avec le très populaire herbe-aux-perles, surtout réservé au grémil officinal (pearl plant en anglais). L’idée de bijou et de parure l’a associé à l’amour avec blé d’amour ou graine d’amour. Une autre image très poétique est aussi mentionnée : larmille des champs mais elle doit plutôt concerner la grémil des champs et dérive du nom d’une autre plante, la larme-de-Job (voir ci-dessous). 

Dur, dur

Au delà de l’aspect esthétique, le caractère le plus frappant reste la dureté extrême de ces akènes. Pour la comprendre, entrons vers l’intérieur. Quatre enveloppes successives composent le péricarpe de ce fruit sec : une cuticule épaisse et brillante sans ornementation qui recouvre l’épiderme ; puis une couche de tissu très durci composé de cellules mortes, imperméables, aux parois épaissies et imprégnées de lignine (sclérenchyme) et qui pporte la coloration blanche externe ; enfin, l’endocarpe brun formé de deux couches différenciées de parenchyme, la plus interne avec des cellules aux parois plus minces. 

De nombreuses graines ou fruits possèdent aussi une enveloppe avec du sclérenchyme sans pour autant atteindre cette dureté ; il y a un autre secret : l’induration par imprégnation minérale. Cette enveloppe renferme une forte proportion de deux minéraux : la carbonate de calcium (le composant majeur des roches calcaires) et le dioxyde de silicium, le composant majeur du quartz des granites par exemple. Par calcination, on obtient des cendres contenant jusqu’à 50% de silice et de chaux ! Si on avait dès 1913 suspecté la présence de carbonate de calcium, ce n’est qu’en 1978 qu’il fut confirmé par spectroscopie. Ces deux éléments minéraux sont synthétisés par la plante à partir des minéraux prélevés dans le sol via les racines en les combinant avec le carbone du dioxyde de carbone (pour le carbonate) prélevé lors de la photosynthèse ; on parle de composés biogéniques.

On avait cru un temps que c’était le dioxyde de silicium qui était l’élément clé dans la dureté mais en fait il ne représente que 10% de la masse des akènes : c’est donc bien le carbonate de calcium qui est le principal responsable. Néanmoins, dans la tribu des lithospermées (voir le premier paragraphe), on trouve aussi des akènes durcis chez les vipérines par exemple qui ne doivent leur dureté qu’à la présence du dioxyde de silice, le carbonate en étant absent. 

Tétrakène noir de vipérine

Signature des pierres

Cette dureté et cette apparence de petits cailloux ont très tôt suscité une comparaison avec les calculs vésicaux ou rénaux responsables de la gravelle ou maladie de la pierre, la lithiase urinaire des médecins. En vertu de la croyance généralisée en la théorie des signatures, l’idée selon laquelle l’apparence des végétaux (et aussi des animaux) révèle leurs usages et propriétés médicinales, on a donc fait des grémils, et tout particulièrement du grémil officinal (vivace et le plus grand), des plantes anti-calculs (anti-lithiasiques).

Plusieurs grands auteurs de l’Antiquité en ont parlé dont Pline qui mentionne ces graines semblables à des perles aussi dures que des pierres et qui, prises dans du vin, faisaient disparaître les calculs ; il considérait comme une des grandes merveilles de la nature ce végétal produisant des pierres ; selon lui, « aucune autre plante ne présente un aspect extérieur aussi étroitement lié à ses actions curatives ». Néanmoins, on ne dispose d’aucune preuve tangible qu’il parlait bien à ce propos d’un grémil car, dès cette époque, on connaissait aussi une autre plante cultivée pour ses akènes très durs et de même aspect mais bien plus gros (6-12mm) : une graminée d’origine asiatique, la larme-de-Job (Coix lacryma-jobi), herbe à chapelets ou larmille. 

Fruits de larme-de-Job (graminée)

En tout cas, au Moyen-âge, le succès des grémils ne faiblit pas avec en plus un usage pour extraire les corps étrangers de l’œil : les fruits humidifiés libèrent un peu de mucilage qui colle les poussières. P.A. Matthioli au XVIème siècle conteste le surnom de millet de soleil ou de grain de soleil qu’on lui attribuait alors, arguant qu’il s’agissait en fait d’une transformation de son nom chez les médecins arabes, millet soler : il était supposé croître dans les montagnes de la région de Soller (île de Majorque). Voici ce qu’en disait encore O. De Serres au début du 16ème siècle  dans son traité d’agronomie Théâtre d’Agriculture et mesnage des champs : « Gremil autrement dit herbes aux perles et en latin milium solis et litospermon se plaît en terroir sec et aéré où il vient de lui-même ; mais avec plus d’avancement étant semé et cultivé au jardin. Ce sera par semence que l’édifierons, la jetant en terre au mois de mars ou d’avril. Cette herbe provoque l’urine, rompt la pierre en la vessie, est bonne contre la chaude pisse, donne grande aide aux femmes  qui sont en travail d’enfant. »

Bien que ces propriétés anti lithiasiques n’aient jamais été avérées (et sont probablement très faibles !), le grémil a conservé cette aura dans de nombreux folklores régionaux au moins jusqu’au 19ème siècle.

Médicinale et tinctoriale 

Le texte de O. De Serres ci-dessus mentionne d’autres propriétés médicinales ; effectivement, le grémil officinal a connu de nombreux autres usages dont certains pourraient être validés par des études scientifiques (ou au moins chez des espèces proches) : anti-diarrhéique, diurétique (ce qui rejoint les aspects évoqués ci-dessus), antitoxique, anti-ovulatoire, fébrifuge, stimulant de la digestion, anti-prurit et dans le traitement de la variole ou de la rougeole ! De cet ensemble, les études pharmacologiques sembleraient avérer à des degrés très divers des propriétés réelles endocrines, anticancéreuses, anti-brûlures, antimicrobien, anti-inflammatoire. En tout cas, le grémil officinal reste connu comme infusion sous le surnom de thé de Fontainebleau. 

De plus, comme d’autres plantes de la même tribu (comme l’orcanette), les grémils ont des racines capables de produire une teinture rouge, utilisée autrefois soit pour colorer le beurre ou comme fard. Ceci lui a valu le surnom allemand de bauernschminke, « fard des paysans ». Tous les grémils possèdent cette propriété mais une espèce asiatique, le grémil rouge (L. erythrorhizon), est surtout connue et cultivée pour cet usage (racine séchée) et comme médicinale avec notamment, semble-t-il des propriétés antivirales capables d’inhiber le virus VIH. Les américains et anglo-saxons donnent aussi le surnom de puccoon aux grémils, terme qui englobe plusieurs plantes à racine rouge pas forcément apparentées (comme la sanguinaire ou racine de sang). 

Tous ces usages sous-entendent que le grémil officinal doit accompagner l’homme depuis longtemps et qu’il a du être cultivé et propagé activement dans son sillage comme en atteste la découverte récurrente d’akènes de grémils dans les fouilles archéologiques. 

Archéologie 

Compte tenu de leur extrême dureté et de leur résistance à la décomposition (voir ci-dessus), les akènes de grémils sont répandus dans les restes associés aux dépôts de grottes du Pléistocène (depuis – 2,6Ma) et, plus proches de nous, dans de nombreuses strates culturelles datées de l’Holocène (les 10 000 dernières années), surtout dans le bassin méditerranéen et le Proche-Orient. On interprète leur présence comme indicateur d’un climat semi-aride avec une végétation steppique ou associé à une végétation rudérale liée aux activités humaines. Pour les archéologues, ils posent un problème dans la mesure où on les trouve le plus souvent non calcinés mais intacts (donc pas comme restes de consommation) : on ne peut donc pas savoir s’ils se sont déposés dans la strate au moment de sa formation ou s’ils y ont été introduits a postériori par l’activité par exemple de la faune du sol depuis la surface. 

Certains détails (comme la présence de deux lignes « creuses ») permettent partiellement d’identifier les espèces de grémils

Néanmoins, au moins deux trouvailles archéologiques confirment l’usage intentionnel de ces akènes par des hommes. Le premier exemple concerne des fouilles dans des tombes Yang-hai dans le désert de Gobi, relevant de la culture Subeixi : sur un baquet en bois rougeâtre, on a trouvé des akènes identifiés comme appartenant très probablement à du grémil officinal, collés selon des triangles décoratifs, la pointe de chacun d’eux tournée vers le bas. Ils avaient donc clairement une fonction culturelle esthétique. Le second exemple, sur un site de fouilles en Bulgarie, concerne la culture Cucuteni qui a vécu en Europe de l’Est entre 4500 et 3500 avant JC. On a trouvé 4000 akènes perforés de grémil bleu-pourpre groupés avec des canines de cerf, laissant penser à la fabrication d’un collier décoratif. Par ailleurs, sur un autre site, un gobelet contenant plus de 22000 akènes de grémil officinal était placé dans un pot plus grand, suggérant un usage rituel symbolique, peut-être magique sans exclure l’usage médicinal. 

Le carbonate de calcium de la paroi des akènes contient du carbone issu du COde l’air (voir ci-dessus) ; des archéologues ont donc pensé à l’utiliser pour faire de la datation au 14C et ont pu ainsi entre autres confirmé l’incorporation in situ des akènes et non pas leur apport ultérieur sur certains sites. Jusqu’ici, on ne disposait comme autres restes végétaux carbonés durs que des noyaux des fruits des micocouliers. 

 Le grémil et le papillon

Nous allons terminer ce voyage chez les grémils avec une étude suédoise. Le grémil officinal sert de plante hôte unique pour la chenille d’un petit papillon nocturne espèce, Ethmia dodecea. Tout blanc avec des taches noires, il rappelle les hyponomeutes mais en diffère par ses taches moins nombreuses et plus grosses (espèce présente en France mais très peu connue). Or, en Suède, ce papillon a disparu régionalement en même temps que sa plante hôte connaissait une forte régression ; un programme national a donc été initié pour réintroduire le papillon : il fallait pour cela d’abord reconstituer une population conséquente de grémil officinal susceptible d’héberger les chenilles. Parmi les causes de régression du grémil, on a identifié surtout la réduction de pratiques agricoles traditionnelles dont le pâturage par le bétail ; d’où l’hypothèse que non seulement le bétail maintient une végétation ouverte favorable au grémil mais, de plus, il assurerait la dispersion des akènes dans ses excréments. Des études sur la germination des akènes ont donc été entreprises. Des expériences de scarification des akènes en les frottant avec de la toile émeri montrent que ce traitement lève la dormance des akènes qui germent mieux. Le passage dans le tube digestif des bovins agirait par scarification chimique et rendrait ainsi les akènes aptes à germer. Une autre hypothèse avancée serait que ces akènes très durs soient consommés par des oiseaux pour s’en servir comme « graviers » dans leur gésier servant à triturer les graines consommées par ailleurs : à cette occasion, ils subiraient une abrasion et finiraient par être rejetés dans les excréments. 

L’hermine tachetée (illustration extraite de : https://britishlepidoptera.weebly.com)

Bibliographie

Marbleseeds are gromwells – Systematics and evolution of Lithospermum and allies (Boraginaceae tribe Lithospermeae) based on molecular and morphological data. Maximilian Weigend , Marc Gottschling, Federico Selvi, Hartmut H. Hilger Molecular Phylogenetics and Evolution 52 (2009) 755–768 

Fruits of Lithospermum officinale L. (Boraginaceae) used as an early plant decoration (2500 years BP) in Xinjiang, China. Hong-En Jiang, Xiao Li, Chang-Jiang Liu, Yu-Fei Wang, Cheng-Sen Li Journal of Archaeological Science 34 (2007) 167-170 

Suitability of biogenic carbonate of Lithospermum fruits for 14C dating. Konstantin Pustovoytov, Simone Riehl Quaternary Research 65 (2006) 508–518 

Could Lithospermum officinale be bird dispersed? A greenhouse experiment Adam Åberg. Biology Education Centre and Institutionen för växtekologi och evolution, Uppsala University 2015