Pelecanus

La famille des pélicans (Pélécanidés) regroupe actuellement huit espèces (et non plus sept, le pélican péruvien, autrefois classé comme sous-espèce du pélican américain ayant été récemment élevé au rang d’espèce), tous ultra-typés avec leur extraordinaire bec en « épuisette extensible », arme très efficace pour la capture des poissons qui constituent l’essentiel de leur nourriture. Ils appartiennent tous au même genre Pelecanus, unité confirmée par une analyse génétique comparée des huit espèces publiée en 2013 (2). La chronique sur le bec détaille la structure et le fonctionnement de cet outil unique dans le monde avien. On ne peut que s’interroger sur l’histoire d’une telle structure au cours de l’évolution.

NT-LBR 039 : le fossile qui révolutionne l’histoire des pélicans

En 2008, dans une couche calcaire du Lubéron datée du Rupélien (début Oligocène), soit environ – 30 millions d’années, un superbe fossile de bec d’oiseau presque complet et en très bon état (et le début de la colonne vertébrale) est mis à jour et décrit sous le nom de code NT-LBR 039 (1). D’emblée, on est frappé de la ressemblance avec le bec des pélicans actuels. C’est le plus ancien pélican connu jamais découvert.

Une étude approfondie confirme effectivement qu’il s’agit bien du bec d’un pélécanidé et qu’on peut même sans ambiguïté le rattacher au genre Pelecanus actuel même si ce spécimen n’est pas étroitement apparenté à aucune des espèces actuelles. On retrouve sur ce fossile la fameuse structure de la mandibule inférieure capable de se déformer (voir chronique sur le bec) avec la soudure partielle des os dans la partie médiane. Il diffère cependant de toutes les autres espèces par quelques caractères dérivés uniques : une pointe du bec allongée et spatulée renforcée par en dessous par des crêtes, une mandibule longue et étroite, …. Les auteurs de l’étude ont réexaminé d’autres fossiles plus récents dont une autre espèce trouvée aussi en France et nommée Miopelecanus gracilis, datée du Miocène (_ 19 à – 20Ma) : elle mériterait en fait aussi d’être rattachée au genre Pelecanus, tout comme les autres fossiles connus mais plus récents que ceux-ci.

Donc, dès l’Oligocène (-30Ma), le « modèle pélican » existait déjà dans sa structure actuelle à quelques détails près et a très peu changé depuis : on parle de stase évolutive pour désigner une telle « non-évolution » sur une longue période.

Les raisons d’un tel conservatisme

Deux hypothèses peuvent être invoquées pour expliquer une telle stase. Le bec des pélicans est une structure hautement spécialisée adaptée à un régime alimentaire lui aussi très spécialisé (uniquement des poissons) ; or, dès l’Oligocène, la faune des poissons présente le même aspect (pas les mêmes espèces !) qu’actuellement. La forme optimale du bec n’aurait donc pas subi de pression sélective supplémentaire du fait de son efficacité ; au contraire, toute modification aurait altéré celle-ci. Les évolutionnistes parlent de pic évolutif pour désigner de telles situations : la perfection dès le début en somme ? Une autre hypothèse concerne la corrélation qui existe au niveau du squelette entre la capacité à voler et la structure de la tête et donc le bec ; toute modification importante du bec a des répercussions importantes sur les capacités voilières ; or, les pélicans sont déjà de très grands oiseaux aux « limites » du vol ; ils ne pourraient donc pas supporter des changements même réduits au niveau du bec.

Conservateurs dans la forme mais pas moins inventifs !

De là à traiter de « fossiles vivants » ces oiseaux d’allure si étrange, il n’y a qu’un pas qu’il ne faut surtout pas franchir, sauf à vouloir faire du sensationnel racoleur ! Une quasi absence de transformations morphologiques du bec ne signifie pas qu’il n’y a aucune évolution. Remarquons que le fossile trouvé n’offrait pas un squelette complet : d’autres parties du corps ont pu subir des transformations importantes. Mais, surtout, si on observe les espèces actuelles on découvre une forte diversification des techniques de pêche avec le même outil de base : les changements comportementaux sont eux aussi des innovations évolutives s’ils apportent des avantages adaptatifs certains. Voici quelques exemples de ces évolutions comportementales ( 3) (qui, soit dit en passant ne laissent aucune trace dans le registre fossile !).

Le pélican brun d’Amérique (et son proche parent le pélican péruvien), oiseaux marins, plongent la tête la première alors qu’ils sont en vol (parfois à 20m de hauteur), à la manière des fous actuels. Plusieurs autres espèces pratiquent la pêche communautaire collaborative, comportement plutôt connu chez les mammifères  (par exemple chez les dauphins ou les orques) : les oiseaux avancent en nageant, le groupe dessinant un arc de cercle et repoussent les poissons vers une berge peu profonde avant de plonger tous ensemble pour capturer les proies regroupées. Parfois, ils battent des ailes ou plongent ensemble le bec dans l’eau tout en avançant pour améliorer la technique. Une variante concerne deux groupes de pélicans qui convergent l’un vers l’autre sur une rivière pour piéger les poissons entre eux. On assiste aussi à la mise en place de comportements acquis par des populations locales au sein d’une espèce : ainsi, au lac Mikri Prespa, aux confins de la Grèce et de l’Albanie, les pélicans frisés ont développé une association unique avec les grands cormorans pour pêcher de concert : les cormorans nagent sous les pélicans en profondeur (semblant profiter de l’avantage de ne pas être éblouis) tandis que les pélicans recueillent les poissons effrayés par les cormorans plus en profondeur ! Enfin, récemment, dans différents endroits, on note des pélicans qui se rapprochent des pêcheurs pour profiter des moindres déchets rejetés par ceux-ci !

Décidément, les pélicans n’ont pas fini de surprendre et vous serez encore plus étonnés de savoir d’où viennent les pélicans et à quels autres oiseaux ils sont apparentés : ce sera l’objet d’une autre chronique.

BIBLIOGRAPHIE

  1. The earliest known pelican reveals 30 million years of evolutionary stasis in beak morphology. Antoine Louchart • Nicolas Tourment • Julie Carrier. J Ornithol (2011)
  2. The phylogenetic relationships of the extant pelicans inferred from DNA sequence data. Martyn Kennedy, Scott A. Taylor, Petr Nádvorník, Hamish G. Spencer. Molecular Phylogenetics and Evolution 66 (2013) 215–222
  3. Site HBW : les pélicans http://www.hbw.com/family/pelicans-pelecanidae

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les pélicans
Page(s) : 472 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez la notion de stase évolutive
Page(s) : 55 Guide critique de l’évolution