Centranthus ruber subsp. ruber

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Parmi les plantes à fleurs spécialistes de la colonisation des vieux murs urbains, la valériane rouge se démarque tant par sa beauté, son opulence que par son intérêt comme « hébergeur de biodiversité ». Très présente dans de nombreuses villes et villages et souvent en colonies prospères, cette espèce n’est pourtant pas autochtone mais introduite de très longue date comme nombre d’autres espèces de la flore des murs (voir par exemple la chronique sur la cymbalaire).

Le corail des murailles

Touffe fleurie sur un vieux mur

Touffe fleurie sur un vieux mur

Dans son environnement de « vieux murs », on ne peut guère confondre la valériane rouge avec une autre espèce. Cette belle vivace forme des touffes très fournies de tiges dressées, plus ou moins ramifiées, naissant d’une forte souche charnue et allongée qui s’insinue dans les fissures ou entre des pierres disjointes et ancre durablement la plante y compris sur les parois verticales. Le feuillage frappe par sa teinte bleutée (on la qualifie de glauque), cireuse et lisse ; les feuilles opposées au long des tiges, souvent en partie soudées à leur base autour de la tige, portent quelques dents irrégulières sur leur pourtour ; les feuilles supérieures sont sessiles (sans pétiole) alors que vers le bas elles présentent un court pétiole. Globalement, cette plante au feuillage persistant offre l’apparence d’une plante semi-succulente, vaguement charnue.

La floraison ne passe pas inaperçue et justifie pleinement l’adoption de cette espèce comme ornementale depuis l’Antiquité. Chaque tige fleurie se termine par une longue inflorescence composée en forme pyramidale à rameaux opposés ramifiés. Les fleurs relativement petites (5mm de diamètre) compensent par leur nombre et leur densité : rouge corail foncé ou rose à mauve, voire blanches (selon les variétés), elles illuminent les murs dès le mois de mai jusqu’en juillet avec une seconde floraison en début d’automne.

Chaque fleur comporte un calice réduit à un tube droit et une longue corolle mince, en tube elle aussi (jusqu’à 1,5cm de long), se terminant par cinq lobes inégaux étalés ; au centre émergent une seule étamine (fait assez rare chez les plantes à fleurs) avec une anthère (loge à pollen) jaune et le style fin. Il faut prendre le temps de regarder « dessous » pour voir un secret bien caché : un éperon très mince, droit et long de 5 à 7mm, qui se détache à la jonction de la corolle avec le calice et pointe vers le bas.

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Fleurs en gros plan ; noter l’éperon vers la base, la corolle dissymétrique (bien visible sur les boutons floraux) et le style et l’étamine saillants

Des falaises aux murs

Répandue dans toute l’Europe du sud-ouest jusqu’en Grande-Bretagne, la valériane rouge fréquente toutes sortes de milieux artificiels créés par l’homme : vieux murs, talus des voies ferrées (sur le ballast) ; remparts et ruines des châteaux : grands édifices ; talus secs ; décombres de gravats et de blocs ; anciennes carrières. On sent bien le lien très étroit avec la pierre fût-elle artificielle et d’ailleurs on la retrouve dans certaines falaises rocheuses ou éboulis. C’est que la valériane rouge est en fait une étrangère sous nos cieux tempérés et trouve son origine sur les falaises côtières du bassin méditerranéen. Elle serait peut-être spontanée sur les chaînes littorales calcaires de Provence. Sa naturalisation remonte sans doute à l’Antiquité et elle aurait suivie en partie la colonisation romaine en Europe occidentale pour se propager ensuite par elle-même de proche en proche (voir la dispersion ci-dessous). En Grande-Bretagne, son installation remonte vers le 17ème siècle, bien après le passage des Romains dans le sud du pays ; introduite comme ornementale, elle s’est naturalisée sur les falaises et côtes de la façade atlantique et n’a cessé depuis le 18ème siècle de progresser, aidée par les plantations comme ornementale. Elle poursuit son expansion vers le nord en Europe à la faveur du réchauffement climatique et d’un regain d’intérêt envers cette espèce rustique.

Ses origines méditerranéennes affirmées se retrouvent dans ses choix de sites quand on s’éloigne du Sud. Elle adopte les murs et murailles bien exposés au sud et abrités ou, comme dans la vallée de la Seine, les coteaux et falaises au microclimat chaud et sec.

Invasive alors ?

La présentation qui vient d’être faite évoque une plante invasive. Compte tenu sans doute de l’ancienneté de sa naturalisation, elle bénéficie au contraire d’une image positive comme espèce intégrée dans la flore tempérée et ne fait pas l’objet d’ostracisme écologique. Il n’en est pas du tout de même hors de l’Europe. Ainsi, en Tasmanie ou en Australie du sud, elle a colonisé diverses communautés végétales originales locales, des milieux rocheux côtiers et les dunes formant des peuplements monospécifiques qui excluent les espèces indigènes. En Nouvelle-Zélande, en Californie, à Hawaïi, elle est aussi classée comme espèce à bannir et néfaste pour la flore locale riche en endémiques. Ces exemples illustrent tout à fait l’extrême relativité de la notion d’invasive selon le contexte ; comme en Europe occidentale, elle ne colonise pratiquement que des milieux créés par l’homme, elle ne menace pas les milieux rupicoles (rocheux) locaux et est considérée plutôt comme un bonus pour la biodiversité urbaine.

Cette capacité à se naturaliser auprès des hommes tient en partie à ses exigences : elle recherche les substrats riches en minéraux basiques (comme le calcaire ou la craie) qu’elle retrouve dans les ciments qui lient les pierres des murs, quelque soit la nature de la pierre de construction. Elle s’adapte aux sols pauvres, recherche la chaleur et la lumière, supporte très bien la sécheresse, autant de caractères qui la favorisent dans la conquête des murs aux conditions écologiques très stressantes.

Par dessus les murs

L’autre point décisif dans son dynamisme concerne sa capacité de dispersion grâce à ses fruits plumeux dispersés par le vent (anémochorie : voir la chronique). Chaque fleur fécondée produit un seul fruit sec réduit à une graine (akène) et surmonté du calice persistant dont le rebord s’enroule sur lui-même (comme un col roulé) avant de développer à maturité une aigrette de soies plumeuses longues de 8mm environ. On retrouve là le même dispositif que chez les pissenlits ou les salsifis (voir la chronique) avec le principe du parachute qui freine la descente et laisse le temps aux courants d’air de pousser ou de soulever le fruit en chute libre. Ainsi, ses fruits peuvent atteindre des fissures ou des replats ou des sommets de murs. Comme elle ne craint pas de pousser très en hauteur (on peut l’observer jusqu’au sommet des clochers des cathédrales), elle largue en plus ses fruits de haut ce qui renforce les chances qu’ils soient soulevés assez haut pour rencontrer des turbulences et voyager à travers la ville et franchir les nombreux obstacles verticaux qui se trouvent en travers de leur route.

Ses graines/fruits présentent la particularité de germer très vite dès lors qu’elle sont en contact avec un sol même maigre et réduit et elles ne présentent pas de dormance (elles germent dès leur arrivée en été à la faveur notamment de pluies orageuses).

Botaniquement parlant, la valériane rouge est en fait une « fausse valériane » tout en étant le plus proche parent des « vraies » valérianes (genre Valeriana) : on retrouve en effet chez ces dernières ce type de fruit plumeux, avec le même enroulement du calice sur lui-même. La valériane rouge relève d’un autre genre (Centranthus, construit à partir des racines anthos pour fleur) et kentron pour éperon) car elle se différencie par son éperon développé (à peine ébauché chez les vraies valérianes) et la présence d’une seule étamine (versus trois) émergeant d’une corolle assez nettement dissymétrique (versus presque symétrique).

Notons que la valériane rouge est aussi très proche parent des valérianelles, plus connues sous le nom de mâches ou doucettes, mais dont les fruits sont dépourvus de soies plumeuses. Ceci ne les empêche aps pour autant d’être elles aussi souvent présentes sur les vieux murs mais plutôt sur les sommets de murs dégradés ou les pieds de murs ; leurs petits fruits sont sans doute dispersés par les fourmis.

Une fleur à papillons

L’un des grands intérêts de la valériane rouge en milieu urbain, c’est son pouvoir d’attraction vis-à-vis des papillons. Quand on observe effectivement ses fleurs, on est frappé par leur structure en tube fin et long avec l’éperon sur le même mode qui secrète un abondant nectar (et aussi un peu de pollen) et l’étamine unique saillante. Ces caractères n’autorisent l’accès au nectar qu’à des espèces pourvues d’une trompe (comme les papillons) ou d’une langue (comme certaines abeilles solitaires ou certains bourdons) longue et fine. La densité des inflorescences favorise l’atterrissage et donc le butinage. De fait, la valériane rouge attire de nombreuses espèces de papillons et leur procure un précieux nectar : vanesses petite tortue (notamment en automne avec la seconde floraison), vulcains, myrtils, tristans, … Mais le plus assidu est sans doute le sphinx-colibri ou macroglosse qui pratique le vol sur place comme un colibri devant les fleurs pour les butiner avec sa longue trompe.

On pourrait croire que, comme nombre de fleurs à papillons, la valériane rouge répand un parfum agréable, ce que ses surnoms de lilas de terre ou lilas d’Espagne semblent attester. Pourtant, quand on hume une touffe fleurie, l’odeur dégagée est loin d’être agréable avec des relents de transpiration. Les analyses chimiques révèlent la présence de substances odorantes dominantes du type benzénoïdes (oxoisophorone) que l’on retrouve de manière convergente chez diverses espèces de plantes « à papillons non apparentées. Elles permettent d’attirer plus spécifiquement ces insectes qui l’utilisent comme moyen de communication chimique (ceci a été démontré au moins chez la petite tortue).

La couleur rouge de la forme sauvage se raréfie actuellement au profit du mauve lilas ou du rose avec l’introduction de cultivars plus vigoureux qui supplantent la forme sauvage ; la forme blanche tend aussi à être cultivée et semble attirer autant les papillons et les abeilles solitaires à longue langue.

Le feuillage sert par ailleurs de source de nourriture pour certaines chenilles dont celles d’un beau papillon de nuit, la méticuleuse.

Richesse culturelle

L’autre richesse de la valériane rouge c’est sa « charge culturelle historique » comme plante compagne de l’homme, intégrée depuis longtemps dans le folklore. En témoigne la diversité des noms ou surnoms. Peut-être à cause de son élégance et sa beauté, on lui associe des connotations sexuelles à peine voilées avec le surnom anglais de kiss-me-quick ou plusieurs appellations avec le mot betsy qui désigne une fille « coquine » : pretty betsy ou sweet betsy. Pire encore dans le genre avec le cad bed anglais : le lit du goujat ! Ces termes se retrouvent en français sous les surnoms de malice des dames ou de malice des hommes : l’égalité des sexes dans cette affaire est ainsi rétablie !

Sa couleur rouge foncé (au moins pour la forme sauvage) lui vaut les surnoms de corail ou de « queue de renard » (fox’s brush) ou encore de barbe de Jupiter à cause de la couleur rousse supposée de la barbe de ce dernier. D’ailleurs ce surnom se retrouve chez la joubarbe des murailles (à cause des feuilles vertes à pointe rougeâtre) et semble associée à une certaine idée de protection des plantes des murs contre les la foudre : les éclairs étaient responsables de la barbe rousse de Jupiter ! Le rouge a conduit aussi à une association avec … le vin et les poivrots sous les termes anglais de drunkards ou drunken sailor (marin soûl) ; l’allusion aux marins renvoie à sa plus grande fréquence sur les côtes, notamment au long des quais des ports et des jetées.

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La valériane rouge affectionne les milieux côtiers, fidèle à ses origines (Les Sables d’Olonne)

Signalons aussi le vieux nom français étrange de béhen rouge ; béhen désigne dans la pharmacopée ancienne la racine de la centaurée. Ceci renvoie sans doute à l’usage médicinal de la souche comme remède nerveux (sédatif), propriété proche de celle bien plus populaire de la « vraie » valériane.

Enfin, curieusement, son nom se trouve associé à des pays très différents et sans grand rapport ce qui traduit bien son statut « d’étrangère introduite » ; ainsi, elle est tantôt le lilas d’Amérique, le lilas d’Espagne ou la valériane d’Angleterre !

Vive les murs malicieux !

A l’issue de cette chronique, la valériane rouge apparaît bien comme une plante intéressante à plus d’un titre en milieu urbain. Elle offre l’opportunité de favoriser l’installation ou l’attraction de certains papillons qui, en plus, trouvent sur les murs qu’elle colonise des sites propices pour se chauffer au soleil. D’autre part, ses liens anciens avec les hommes pourraient servir de point d’appui pour retisser les liens quelque peu distendus entre l’homme et la nature au cœur des villes. Son mode de vie spécialisé (voir ci-dessus) offre de belles opportunités de « leçons de choses » elles aussi favorables à susciter un intérêt pour la biodiversité urbaine.

Nous terminerons donc en incitant à cultiver cette superbe plante non seulement sur les murs mais aussi à leurs pieds (elle supporte la mi- ombre) ou le long d’allées de graviers ou sur des rocailles informelles. Rien de plus facile que sa culture : elle ne demande rien et se ressème toute seule très facilement à condition de ne pas couper toutes les tiges fanées. Si l’on veut limiter son expansion, il vaut mieux couper les tiges après la floraison ce qui, au passage, stimulera, la refloraison automnale. En tout cas, dans le cadre du réchauffement climatique global, elle est une espèce idéale pour pratiquer le « xeriscaping », les jardins secs qui ne demandent pas d’arrosage.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Flora Britannica. R. Mabey. Ed. Chatto and Windus. 1996
  2. Pollination and floral ecology. P.Willmer. Princeton University Press. 2011

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la valériane rouge
Page(s) : 170-171 Guide des plantes des villes et villages
Retrouvez la valériane rouge
Page(s) : 148 Le guide de la nature en ville
Retrouvez la valériane rouge
Page(s) : 298-99 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages