Ilex aquifolium

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Si l’on doit citer deux plantes associées à la fête de Noël, le gui et le houx viennent instantanément à l’esprit, tout au moins pour des occidentaux ! Mais peu de gens savent vraiment pourquoi ce dernier est ainsi lié à Noël et ignorent tout autant nombre d’autres usages anciens et plus ou moins oubliés du houx qui ont laissé de nombreuses traces dans notre langue et dans celle de nos voisins. Alors, comme friandise de Noël, régalons nous de mots surannés mais délicieux à prononcer et à entendre en replongeant dans l’histoire qui unit les hommes et le Houx depuis des millénaires. Nous laisserons de côté les usages médicinaux pour nous concentrer sur les « autres » usages : dans cette première chronique, nous allons parcourir les usages « matériels » ; une seconde chronique sera consacrée aux usages « spirituels » dont ceux liés à Noël.

Aux racines du houx

En français (5), les origines du mot houx remontent au début du 13ème siècle sous la forme hos ou hous dérivé du Francique huls ; ces mots dériveraient eux-mêmes de l’ancien germanique hulis ou huls et du moyen Néerlandais huls. Au milieu du 13ème siècle, ce même mot a donné hulseie devenu ensuite houssé, puis houssaie ou houssière, lieu planté de houx.

En anglais, holly qui désigne cet arbre date du milieu du 15ème siècle et remonte au milieu du 12ème sous la forme holin, raccourci de l’ancien anglais holen issu de l’ancien germanique hulin ; autrement dit, on retrouve la même origine nordique ancienne qui ressort en Néerlandais (hulst) ou en danois (hylver). Côté Celtique et Gaélique, on le trouve sous plusieurs formes : cuilenn, celyn ou cuilionn dérivés d’une racine kel signifiant piquer. Des noms de lieux-dits comme la Houssaye (Normandie) dérivent de ces mots.

L’allusion au feuillage piquant ressort dans l’épithète latin aquifolium qui serait une déformation de acrifolium (feuille aigue ou piquante) ; on le retrouve dans le nom italien du houx (agrifoglio) et divers noms locaux français comme grifeuil, agrifous, aigrefeuille. Le nom de la commune d’Arpheuilles dans le Cher dériverait de cette appellation, cette commune se trouvant dans une zone très boisée (au moins autrefois !). Le nom de genre Ilex, par contre, n’a rien de spécifique puisque ce mot désignait en fait le chêne vert ou yeuse au feuillage persistant un peu épineux.

Un bois frappant

Souvent, on associe houx avec arbuste plutôt bas mais c’est oublier que, au moins dans les régions au climat très favorable (océanique doux et humide), les houx peuvent prendre un port d’arbre pouvant atteindre 15 mètres de haut avec des records jusqu’à 25 mètres de haut. En France, on trouve de tels individus en Bretagne, en Normandie ou dans le Limousin par exemple. On peut donc exploiter les plus gros houx pour leur bois dur et lourd, facile à polir qui servait autrefois en ébénisterie et en bois à tourner pour fabriquer divers objets : cannes, outils, dents d’engrenage de moulins, jeux d’échec, placages, instruments de dessin, marquetterie, …

Mais ce bois possède une autre propriété associée à sa dureté : sa souplesse qui s’exprime bien en exploitant des tiges moyennes. De ce fait, on l’a beaucoup utilisé, et parfois à grande échelle comme au 18ème siècle en Grande-Bretagne, pour confectionner des cravaches ou des manches de fouets pour les attelages de chevaux, d’autant que la légende prétendait que ce bois avait « le pouvoir » sur les chevaux. On en faisait aussi des baguettes pour battre les tapis, connues à partir du 15ème sous le nom de hussine, devenue houssine à partir de la racine hous (voir ci-dessus), mot toujours en usage !

Coup de balai

Le feuillage persistant coriace et très raide a longtemps servi pour confectionner des « balais » rustiques avec un inconvénient : une fois vraiment sèches, les feuilles tombent ! De là est né au 15ème siècle le mot houssoir, donc lui aussi dérivé de hous, désignait un balai de branchages (mais aussi de plumes par extension). Il a donné aussi le verbe houssepignier, (peigner avec un balai de houx) composé à partir du verbe houcer (devenu depuis housser, toujours en service pour épousseter) qui signifiait battre ou maltraiter et de hous pour le houx ; par dérive, ce verbe a donné houspiller dans le sens de maltraiter quelqu’un. Chassez le houx, il revient au galop !

Un autre usage consistait à confectionner des bottes de rameaux feuillés liés ensemble pour ramoner les cheminées ; on accrochait aussi de tels bouquets sur la corde qui servait à suspendre la viande salée ou fumée pour empêcher les rats d’y accéder. Avec ce dernier usage, il apparaît une certaine confusion avec une autre plante, très différente d’un point de vue botanique, mais nommée petit houx : le fragon. Cet arbrisseau forestier était souvent cultivé dans les jardins au 18ème siècle pour faire des « bouquets secs » utilisés en Angleterre sous le nom de « butcher’s broom » (balai de boucher) pour gratter les étals de boucherie ou empêcher les rats et souris d’atteindre la viande, ce qui lui vaut (peut être ?) chez nous le surnom d’épine de rat. Apparemment, dans la filiation linguistique du houx, on retrouve un vieux terme de proto-germanique hulisaz pour balai de boucher. Y avait-il confusion entre les deux déjà à cette époque ou bien le « grand » houx servait-il aussi à cet usage spécifique ?

Au passage, ce rapprochement avec le fragon explique un autre nom populaire du houx : grand houx parfois déformé en gréoux. Ce dernier vocable nous évoque Gréoux-les-Bains en Provence qui au temps de Romains se nommait Nymphis Griselicis ; mais comme ilex (ilicis) désigne aussi le chêne vert et que nous sommes là en Provence, l’origine est peut être autre (si des spécialistes ont des informations précises nous sommes preneurs !).

La glu lui colle à la peau

Le houx était très connu autrefois à la campagne comme pourvoyeur de glu (3), cette « colle » naturelle utilisée pour chasser les oiseaux avec des gluaux, des bâtons enduits de glu et placés sur des sites visités par les passereaux hivernants dont des grives ou merles. On pelait l’écorce externe des branches en été pour récolter la seconde écorce interne verte ; pilée puis mise à macérer, elle donnait une glu brune et épaisse très collante que l’on conservait avec un peu d’huile de noix.

Cet usage se manifeste dans certains noms locaux du houx et notamment en Berry (4) où le houx était nommé coursier, corcier, courzat ou écourzat par allusion au mot écorce. Certains prétendent (sans doute à tort) que le premier nom de coursier venait d’un usage consistant à attacher des paquets de houx à la queue des ânes pour les inciter à avancer ! Pas de commentaires ! Ainsi, aux confins du Boischaut et de la Marche, d’où je suis originaire, il y a un lieu-dit nommé l’Ecourzat au nord de Culan (18) et le nom de famille Courzadet est répandu !

Il est singulier que l’un des arbres aux fruits charnus les plus appréciés des grives ait ainsi servi de piège mortel pour ces mêmes oiseaux au même titre d’ailleurs que son collègue de Noël, le gui !

Un auxiliaire

Contre toute attente au vu de son aspect, le houx a longtemps été utilisé comme appoint fourrager au printemps au moins dans certaines régions ; on taillait des houx très bas ce qui les amènent à faire du feuillage plus petit mais aussi avec encore plus d’épines (on parle de houx hérissonné) ; les jeunes pousses encore tendres sont alors très appréciées notamment par les moutons, les vaches ou les chèvres pour leur richesse nutritive. En plus, la présence de houx procure de l’ombrage en été ou bien abrite des vents froids en hiver ; on disait autrefois que les vaches venaient souvent vêler sous l’abri protecteur d’un houx.

A la campagne, les houx servaient de plus de repères visuels majeurs dans le paysage soit qu’on les plantait exprès à tel ou tel endroit, soit qu’on les conservait pour les laisser grandir là où ils s’étaient semés naturellement (graines transportées par les oiseaux qui mangent les fruits en hiver). Pensez que, en hiver, pour les gens qui circulaient de nuit avec une maigre lanterne, ces sombres silhouettes constituaient autant de « phares » pour se repérer ; de même, le laboureur s’en servait pour « viser droit » et tracer ses sillons. En y associant leur pouvoir « magique » (voir ci-dessous), on en a fait des arbres marqueurs de frontières, des bornes naturelles qui duraient des siècles ; ainsi, en Grande-Bretagne, près de chaque échalier qui franchit une clôture ou une haie, il y avait souvent un grand houx qui guidait le promeneur ou le chasseur pour l’inciter à emprunter ce passage ou à le trouver de loin (2). J.R.R. Tolkien dans sa saga Le Seigneur des Anneaux, toute imprégnée de sa grande connaissance des langues et légendes anciennes en terres celtiques, a bien restitué cet usage majeur dans le passage ci-dessous (1) où les héros de la Communauté de l’Anneau s’apprêtent à entrer dans les sombres mines de la Moria :

A un mille au sud, ils arrivèrent à un lieu planté de houx. … Mais au pied de la falaise se dressaient deux arbres encore bien vivants, des houx, plus grands que tous ceux Frodo avaient jamais vus ou imaginés. Leurs grandes racines s’étendaient du mur jusqu’à l’eau …. Ils se dressaient majestueusement au-dessus d’eux, jetant des ombres nocturnes à leurs pieds, comme deux piliers faisant sentinelle à la fin de la route. « Enfin, nous y voici ! dit Gandalf. C’est ici que se terminait le Chemin des Elfes de la Houssière. Le houx était leur emblème, et ils en plantèrent ici afin de marquer la limite de leur domaine …

Avec ce dernier exemple, nous voici exactement aux frontières du matériel et de l’immatériel ; ce second aspect fera l’objet d’une autre chronique.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Le seigneur des anneaux. TOME I : la fraternité de l’anneau. J. R.R. Tolkien ; traduit de l’anglais par D. Lauzon. C. Bourgeois Ed. 2014
  2. Flora Brittanica. R. MAbey. Ed. Chatto et Windus. 1996
  3. Le livre des arbres, arbustes et arbrisseaux. P. Lieutaghi. Ed. Actes Sud. 2004
  4. Glossaire Du Centre de la France par Mr le comte Jaubert ; 1856
  5. Dictionnaire culturel en langue française Le Robert sous la direction d’A. Rey

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le houx
Page(s) : 64-65 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus