Myocastor coypus

Le ragondin, originaire d’Amérique du sud, a été introduit en Europe depuis la fin du 19ème siècle et s’est naturalisé au point de devenir une espèce classée par les invasives posant de sérieux problèmes vis-à-vis de l’environnement. Comme souvent face aux espèces exotiques invasives, on a tendance à grossir le trait et à tenir des discours catastrophistes sans avoir toujours des fondements scientifiques rigoureux. Effectivement par sa taille et son solide appétit (voir la chronique sur les choix alimentaires du ragondin), le ragondin a de quoi faire peur aux gestionnaires des espaces naturels.

Aussi, nous avons réuni quelques résultats d’études menées en Europe ou aux U.S.A. sur cette espèce et son impact réel sur la faune et la flore afin d’y voir plus clair au delà des clichés.

Roselières en danger

Parmi les plantes aquatiques dont il se nourrit en priorité (voir la chronique sur les choix alimentaires), le roseau phragmite ou roseau à balais (à ne pas confondre avec la massette ou typha, souvent elle aussi qualifiée de roseau) occupe une place prépondérante car il fournit des peuplements étendus et des ressources exploitables par le ragondin pratiquement toute l’année : jeunes feuilles et jeunes tiges au printemps ; tiges en été ; rhizomes charnus en hiver (1 et 2). Ainsi, une étude menée en Italie montre que les ragondins se concentrent dans les roselières en été et jusqu’en début d’automne car ces milieux denses offrent à la fois un couvert protecteur, de la nourriture abondante et des sites de reproduction. De ce fait, le « faucardage » en règle des roseaux par une population dense de ragondins peut devenir un vrai problème car leur action créé de véritables clairières ou trouées au sein de ce milieu. Or, les roselières constituent un milieu de vie essentiel pour un ensemble d’espèces d’oiseaux dont certaines rares et spécifiques de ce type de milieu : le butor étoilé, le butor blongios, le héron pourpré, le busard des roseaux, la rousserolle turdoïde, la lusciniole à moustaches, la panure à moustaches, …. A cela il faut ajouter les dérangements directs sur la nidification de ces espèces dont une partie niche au ras de l’eau, donc à portée des ragondins (voir le dernier paragraphe).

L’impact s’avère encore plus redoutable sur des espaces restreints avec de petites roselières qui peuvent ainsi être anéanties autour de points d’eau.

Milieux et espèces sensibles

Si on se place à une échelle globale, on aurait tendance à dire que l’impact du ragondin reste assez limité. Ainsi en Louisiane, aux U.S.A (4), des expériences sur des parcelles clôturées et inaccessibles aux ragondins montrent que la végétation naturelle se trouve réduite en moyenne de 40% là où les ragondins pâturent ; compte tenu de la rapidité de régénération des plantes aquatiques, cela reste assez modeste mais d’une part cette pression a lieu sur toute l’année et, surtout, si elle se combine avec un événement perturbateur exceptionnel du genre tempête tropicale ou incendie, les effets se trouvent alors largement amplifiés. En Italie, (1) on note de même des zones surpâturées par taches de 5 à 10 m2 mais pas de réduction globale drastique.

Outre les roseaux cités ci-dessus, le ragondin affectionne particulièrement le scirpe maritime, une espèce des marais un peu salés et qui présente des rhizomes dotés de tubercules. Les ragondins déterrent ces rhizomes en retournant le sol par grandes plaques ce qui perturbe les milieux et peut affecter des espèces plus fragiles associées à la scirpaie.

Les problèmes se posent surtout dès lors qu’on s’adresse aux aspects qualitatifs, i.e. aux espèces récoltées. On a vu (chronique sur les choix alimentaires) que le ragondin ne consomme que en moyenne ¼ des espèces présentes dans son environnement selon leur appétence, leur accessibilité et leur développement. A priori, ceci semble plutôt favorable sauf que parmi ces espèces consommées figurent des espèces d’intérêt patrimonial, peu répandues ou en voie de raréfaction. Ainsi en Italie sur 12 espèces consommées, 7 relèvent du statut « intérêt patrimonial » comme par exemple le jonc de Gérard, une espèce des prés salés ; ou bien , toujours en Italie, au printemps, les ragondins exploitent surtout les prairies à jonc maritime, milieu classé comme sensible et méritant une protection.

Dans les célèbres bayous de Louisiane (4), les ragondins raffolent des jeunes plants de cyprès chauves, ces immenses conifères qui forment ces forêts inondées si spectaculaires avec les racines contreforts ou pneumatophores de ces arbres : localement, ils empêchent ainsi la régénération naturelle de cette essence capitale pour le maintien de cet écosystème très spécialisé.

Des impacts positifs ?

Malgré tout, il faut toujours garder à l’esprit que même une espèce invasive peut avoir des effets positifs surtout dans des milieux déséquilibrés par les activités humaines. A plusieurs reprises, nous avons parlé de perturbations induites par les activités du ragondin (trouées, sol retourné) ; or, certaines plantes dont des annuelles peuvent avoir besoin de ce genre de « micro-milieux » temporaires avec des sols retournés pour s’installer et persister dans un milieu dominé par des vivaces coloniales conquérantes par leurs rhizomes (roseaux, scirpes, iris, …).

En Italie, on a observé que les jeunes ragondins consommaient volontiers les rejets de robinier faux-acacia, une autre espèce invasive ; par contre, ce comportement n’a pas été observé lors d’une étude dans le Marais Poitevin (3) en France. Les ragondins récoltent de grosses quantités de plantes flottantes immergées et flottantes dont plusieurs plantes invasives telles que les élodées ou des lentilles d’eau introduites.

Toujours en Italie, on suggère que le pâturage régulier des ragondins sur la frange de végétation qui borde l’eau libre empêche la colonisation par des saules ou peupliers et favorise au contraire l’expansion de plantes coloniales à rhizomes telles que les calamagrostides ou … les roseaux phragmites qui occupent très vite les zones ainsi dégagées !

ragondin-saulaie

Par colonisation naturelle et en l’absence d’herbivores, les saules blancs tendent à coloniser rapidement la frange en bordure de l’eau libre.

Un bulldozer !

Mais qu’en est-il de l’impact sur la faune et tout particulièrement sur l’avifaune des roselières ou des typhaies (peuplements de massettes), deux milieux phares pour la conservation des espèces patrimoniales citées dans le premier paragraphe ? Pour en avoir le cœur net, une équipe italienne a mené une étude originale (5) dans une zone humide du centre de l’Italie en suivant la reproduction de quatre espèces d’oiseaux communs (pour éviter les dérangements sur les espèces rares) qui nichent dans ou à proximité des roselières et dont les nids se trouvent à portée des ragondins : le canard colvert, la foulque macroule, la gallinule poule d’eau et le grèbe huppé. Ils ont utilisé deux méthodes : le suivi de nids occupés réellement par des oiseaux dont certains filmés par caméra ; la mise en place de nids factices flottants ou à terre près de l’eau (plate-forme de tiges avec des œufs en plastique) et filmés eux aussi.

15% des nids de foulques et 9 ,5% des nids de poules d’eau échouent probablement à cause des ragondins observés régulièrement à proximité ; les nids de colvert et de grèbe huppé n’ont pas été impactés lors de cette étude. Le suivi par caméras sur les nids factices montre que les ragondins les utilisent volontiers comme plateformes de repos détruisant au passage les œufs. Pour ces nids factices, 7,4% de ceux à terre montrent des signes de passage de ragondins (allant jusqu’à des traces de dents sur les œufs factices !) et 11% des nids flottants. Sur un site, la moitié des dix nids flottants de foulque ont échoué à cause des ragondins : les caméras ont saisi des scènes sans équivoque de notre gros rongeur sautant lourdement sur le nid pour se hisser, écrasant ou noyant les œufs au passage ; de plus, ils y séjournent plusieurs heures voire la nuit pour se reposer. Alors on ne peut que s’interroger sur l’impact potentiel sur des espèces devenues très rares et ultra-sensibles telles que le petit butor blongios.

On voit donc que le bilan global ne plaide guère en faveur du ragondin ; cependant, certains conservateurs de l’environnement pensent qu’il suffirait de limiter ses populations et de les maintenir à un niveau « raisonnable » (à définir milieu par milieu !) plutôt que de viser une éradication totale de toutes façons très coûteuse et irréalisable en milieu ouvert où des individus extérieurs ne manquent pas de venir recoloniser rapidement les espaces vidés de leurs occupants.

Gérard GUILLOT. Zoom-nature.fr

BIBLIOGRAPHIE

  1. DIET OF COYPU (Myocastor coypus) IN A MEDITERRANEAN COASTAL WETLAND: A POSSIBLE IMPACT ON THREATENED RUSHBEDS? F. marini, E. Gabrielli, l. Montaudo, M. Vecchi, R. Santoro, C. Battisti, G. M. Carpaneto. Vie et milieu – Life and Environment, 2013, 63 (2): 97-103
  2. Food habits of the coypu, Myocastor coypus, and its impact on aquatic vegetation in a freshwater habitat of NW Italy. Claudio PRIGIONI, Alessandro BALESTRIERI and Luigi REMONTI Folia Zool. – 54(3): 269–277 (2005).
  3. Feeding strategy of coypu (Myocastor coypus) in central western France. Abbas, A., 1991. J. Zool. 224, 385–401.
  4. http://stoppinginvasives.com/dotAsset/df1f16a7-f81a-43a0-b166-087784351fc6.pdf
  5. INTERACTIONS BETWEEN COYPU (MYOCASTOR COYPUS) AND BIRD NESTS IN 3 MEDITERRANEAN WETLANDS OF CENTRAL ITALY. S. BERTOLINO, C. ANGELICI, E. MONACO, A. MONACO, D. CAPIZZI. Hystrix It. J. Mamm. (n.s.) 22(2) 2011: 333-339

A retrouver dans nos ouvrages

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