Cette chronique rapporte quelques aspects de la biodiversité observée lors d’une mini-balade sur un espace naturel accessible au grand public ; il ne s’agit que d’un instantané très partiel pour une date donnée avec des informations complémentaires sur le site. Vous pouvez retrouver l’ensemble de ces chroniques-balades à la lettre Z, rubrique Zoom-balade. 

09/07/2020. Ciel bleu et chaleur de plomb avec 34°C dans la fournaise de la plaine de la Limagne : mais là-haut, sur le plateau du Cézallier à plus de 1200m d’altitude, nous goûtons les délices d’une température juste chaude (25°C) avec un vent frais vivifiant. Tom, mon petit-fils m’accompagne : il est venu visiter la ferme de la Tour aux Vents au hameau de la Coharde-basse à 1 km d’ici où il va venir séjourner une semaine en août prochain (voir site internet en bibliographie) et ainsi profiter d’une immersion dans le monde agricole en participant aux activités multiples de cette ferme d’élevage bovin. On peut aussi profiter de deux superbes chambres d’hôtes toutes « neuves » aménagées dans la même ferme : un excellent camp de base pour explorer toute cette région vraiment sublime et très riche. 

Sapins de Noël 

Dès l’arrivée au parking de départ, on est interpellés par les hautes silhouettes de nombreux conifères singuliers, au look inhabituel même pour un novice, au feuillage nettement bleuté et surtout aux cimes couvertes de gros cônes cylindriques dressés particulièrement voyants. Dans sa patrie d’origine, les Montagnes rocheuses de l’Ouest américain (Oregon et Californie), ce sapin est très utilisé comme sapin de Noël à cause de son beau feuillage et de sa silhouette conique à cime étroite ; les branches s’organisent en étages horizontaux. Il s’agit donc d’une essence introduite, le sapin noble (noble fir en anglais), l’un des plus grands sapins pouvant atteindre 80m dans son habitat natif et vivre plus de 600 ans : on comprend mieux le qualificatif de noble ! Les aiguilles assez grandes (2,5 à 3,5cm), vert bleuté avec des lignes blanches en dessous sont disposées en brosse inclinée.

Mais le trait le plus remarquable reste la taille et la forme de ses cônes : dressés comme ceux de tous les sapins, ils atteignent 15 à 25 cm de long pour 8 à 10cm de large ! Verdâtres à rougeâtres, ils ont fière allure avec leurs écailles doublées d’une languette saillante et rabattue (bractée) : de vrais objets d’art … naturel ! comme chez les autres sapins, ces cônes mûrissent sur l’arbre et se désarticulent progressivement à maturité : les écailles se décrochent et libèrent les graines ailées, mettant progressivement à nu l’axe central du cône. 

Introduit en Angleterre en 1831 par le célèbre explorateur botaniste David Douglas (le découvreur du « sapin » de Douglas), il a d’abord diffusé comme arbre d’ornement avant d’être planté en reboisements en Ecosse à partir de la fin du 19ème où il se développe très bien. En France, son emploi en reboisements n’est que très récent et ne concerne que des sites ponctuels sur des petites surfaces dans la moitié méridionale montagnarde. Dans son aire d’origine, à des altitudes variant de la côte à près de 2700m, il prospère sous un climat dit « super humide » avec d’abondantes précipitations (plus de 2m/an !) et un fort enneigement. Pour l’acclimater en France, il faut réunir deux conditions : une altitude supérieure à 1000m et une certaine pluviosité estivale. Il est réputé pour sa croissance assez rapide et son bon comportement face aux dégâts occasionnés par la neige et aux tempêtes : ce second trait pourrait effectivement lui valoir un bon avenir sur ces hauteurs régulièrement balayées par de forts coups de vent. Pour l’instant, les plantations en France restent « anecdotiques » ; est-il capable de se régénérer naturellement ? En tout cas, ce sapin est très photogénique avec ses parures de cônes et sa silhouette « raide » ! 

Indigènes ?

Abords du parking au bord de la route

Cs reboisements ont été mis en place suite à la tempête de 1999 qui avait ravagé les monts du Cézallier entre autres. On peut contester l’utilité de telles introductions d’essences « exotiques », voire même les condamner. Pourquoi ne pas favoriser les essences « naturelles » par ailleurs présentes telles que le pin sylvestre et l’épicéa commun ? Sauf que justement pour ce dernier, il y a un « hic » : l’épicéa, si répandu partout n’est pas indigène dans le Massif Central d’où il avait disparu à l’occasion de la dernière grande glaciation ; son aire naturelle ne couvre en France que les Alpes, le Jura et les Vosges. Certes, il a été introduit de longue date et depuis se naturalise seul de manière très efficace mais il n’en reste pas moins une essence elle aussi exotique ! Le pin sylvestre, indigène quant à lui (voir la chronique sur la dispersion de cette espèce), connaît depuis quelques années de gros soucis face au changement climatique et souffre d’un syndrome de dépérissement qui s’étend ; les sécheresses violentes récentes et répétées ont resserré leur étau sur cette essence tout comme d’ailleurs sur les épicéas qui eux aussi commencent à souffrir. Donc, rien n’est simple d’autant que cette région a connu un très fort déboisement au cours de l’époque historique au profit de l’élevage laitier et des estives herbeuses. 

Ici, les épicéas dominent aux côtés des sapins nobles et eux aussi connaissent une année faste pour la production de cônes. Impossible de les confondre avec ceux des sapins : pendants, effilés, bien plus petits, verdâtres ou violacés et dépourvus de bractées entre les écailles. Nombre d’entre eux suintent des gouttes de résine protectrice envers les attaques des insectes herbivores. Contrairement aux sapins, les cônes des épicéas tombent tout entier sans se désarticuler si bien qu’on en retrouve beaucoup au sol. 

Les pins sylvestres aux beaux troncs orangés sont plus dispersés et surtout présents sur les secteurs rocheux comme au niveau du promontoire rocheux final du circuit. Leurs troncs plus ou moins tordus témoignent de leur combat permanent pour se maintenir. 

Bois clair 

De nombreuses clairières semi-naturelles trouent ces plantations très clairsemées, résultats de mortalité locale suite aux plantations ou de coupes d’éclaircies. On obtient ainsi une sorte de bois-parc clairsemé avec des bouquets d’arbres plus denses et de grandes étendues herbeuses très fleuries et favorables à la biodiversité.

Des arbres et arbustes feuillus indigènes réussissent ici à s’exprimer grâce à leur potentiel de dispersion via notamment leurs fruits charnus consommés par des animaux frugivores qui rejettent leurs graines avec leurs excréments : alisier blanc ; sorbier des oiseaux ; sureau rouge. D’autres utilisent la voie aérienne via des graines ultralégères comme le bouleau blanc. Quelques hêtres et chênes sessiles se mêlent aux conifères : leurs fruits sont dispersés par les rongeurs ou des oiseaux (geais ou mésanges) qui les cachent au sol pour faire des provisions en vue de l’hiver et en oublient quelques uns. Du fait de l’exposition à la lumière et de conditions très favorables cette année, la production de faînes des hêtres est très abondante, offrant un net potentiel de régénération pour cette essence. 

Une flore variée peuple les clairières comme en atteste la diversité des couleurs. Il faut y ajouter les panicules finement découpées des graminées qui composent des tapis élégants frissonnant sous les caresses du vent. Une espèce originale, une montagnarde localisée au Massif Central et aux Pyrénées, retient mon attention : la campanule lancéolée ; longtemps je l’ai ignorée en la confondant avec la campanule à feuilles rondes très commune ; pourtant, elle s’en distingue bien par son port très dressé et ses feuilles des tiges plus larges. Des tapis de myrtilles avec des fruits verts à peine formés annoncent la hêtraie toute proche (voir ci-dessous). Tom avec son regard déjà aiguisé de naturaliste en herbe et juste à la bonne hauteur repère une « mouche bizarre sur une autre mouche » : une mouche-rapace (Asilidé) attablée sur une mouche « ordinaire » qu’elle vient de percer avec sa trompe ! 

Un tel type de milieu forestier se montre très favorable pour les grands herbivores tels que chevreuils et cerfs élaphes, bien présents dans ce secteur. Aline et Nicolas, qui gèrent la ferme de la Tour aux Vents (voir l’introduction) nous ont montré des bois imposants de plusieurs kg d’un dix cors, récupérés non loin d’ici (quand les mâles perdent leurs bois). 

La reine gentiane 

Nous l’avons mise à part tant elle en impose ici : la gentiane jaune, une des fleurs symboles de l’Auvergne à travers la production de l’Avèze, produit par la distillerie de Riom-ès-montagnes, cet alcool jaune chargé de l’amertume des racines de la belle. Ses longues hampes jaune d’or parsèment toutes les clairières ; ses fleurs ouvertes aux pétales libres en étoile n’ont rien à voir avec celles des « classiques » gentianes bleues des alpages et pourtant on la classe bien dans le même genre Gentiane (Gentiana). La floraison est déjà bien avancée avec nombre d’étages de fleurs en fruits verts : de longues capsules en forme de petites bouteilles couronnées du style à deux branches. Elles vont mûrir et libérer des milliers de graines ailées très légères dispersées par le vent (voir la chronique sur la dispersion de cette espèce). 

Contrairement aux autres gentianes, ses fleurs ne se referment pas la nuit ni par mauvais temps ; elles restent offertes aux pollinisateurs avec largement en tête les bourdons qui s’affairent en tournant autour des étages de fleurs avant de passer au suivant au dessus ou à celui d’à côté. Nous avons consacré une chronique entière à la pollinisation passionnante de cette espèce.

  C’est l’occasion d’apprendre aussi à la reconnaître quand elle n’est pas en fleurs : cette plante peut mettre plus de dix ans avant de commencer à fleurir et les peuplements ombragés ne fleurissent pas ou rarement ; d’autre part, les pieds anciens ne fleurissent que tous les 3 ou 4 ans vu le « coût » de la production de telles inflorescences. On reconnaît les rosettes de feuilles à leur grande taille ( jusqu’à 30cm de long), leur teinte vert bleuté, les fortes nervures parallèles (alors qu’il s’agit bien d’une dicotylédone !) qui convergent vers la pointe et la « queue » (le pétiole) courte. Elles portent souvent des trous, preuves qu’elles sont consommées par divers insectes en dépit de leur charge forte en substances chimiques défensives ; les vaches, le plus souvent, les évitent du fait de leur amertume extrême. Mais, la partie la mieux protégée de ce point de vue, ce sont les grosses et longues racines charnues à la chair jaune et à l’odeur forte. Elles renferment en grande quantité une substance tonique amère, la gentiopicrine, une des substances très amère ; en moindre quantité, on y trouve un autre composé encore plus amer, l’amurogentine. Ces produits ont des vertus digestives en stimulant les sécrétions biliaires et gastriques. Autrefois, elle était aussi réputée comme anti-fièvre (fébrifuge) et, à défaut de quinquina difficile à se procurer, on s’en servait contre la malaria et autres fièvres récurrentes d’où ses surnoms de quinquina des pauvres ou, encore plus évocateur, « lève-toi et marche » ! En Auvergne dont le Cézallier, les racines de gentiane jaune font l’objet d’un arrachage dans les pâturages où elle tend à devenir envahissante du fait du refus du bétail à la brouter (voir la chronique sur l’intérêt de ce refus). On peut voir en été des tas de sacs en toile de jute remplis de ces racines au bord des routes ou aux abords des fermes ! 

Hêtraie rocheuse

 A l’approche du promontoire rocheux, de gros blocs affleurent et le décor change brutalement : plus de conifères mais des hêtres qui jettent un ombrage épais et rafraichissant sur un sous-bois moussu avec un tapis herbacé très clairsemé mais diversifié. En fait, à cette altitude, la hêtraie représente le milieu forestier « naturel » qui s’installe spontanément en absence de toute intervention humaine. Elle devait couvrir il y a plus de dix siècles l’essentiel de ces plateaux avant d’être coupée et pâturée pour devenir des espaces dédiés à l’élevage ; on en observe encore quelques lambeaux vestigiaux au sommet des buttes les plus élevées comme on peut le voir depuis la table d’orientation. 

De ce fait, en quelques mètres, nous changeons complètement de végétation avec, sur quelques mètres carrés, un condensé du cortège floristique typique des hêtraies rocheuses. 

Une belle colonie d’actée en épi avec quelques épis de fleurs blanches délicates tapisse la pente de ses feuilles composées très découpées. Des parisettes arborent leur étage de quatre feuilles suspendues au bout de la tige droite ; elles portent déjà au sommet la baie unique encadrée des longs sépales. En les examinant une à une, on découvre que quelques uns ont cinq feuilles : faute de trèfle à quatre feuilles, voilà un succédané ! Accrochées aux rochers moussus, des rosettes de feuilles dentées portées sur un long pétiole dressé : la valériane triséquée. Notons encore l’oxalis petite-oseille (aux feuilles en forme de trèfle à quatre feuilles ! ), l’aspérule odorante aux feuilles groupées en étages ou la mercuriale vivace au feuillage vert sombre et malodorante si on froisse ses feuilles. 

Sommet 

Une très courte montée au milieu des rochers et nous voici sur la brèche de Giniol inondé de lumière et sa table d’orientation qui permet de se repérer dans ce panorama superbe à presque 360°. De nouveau, nous changeons complètement de végétation sur ces rochers volcaniques gris (des basaltes) : une pelouse herbeuse domine avec des genévriers qui pointent de ci de là et des pins sylvestres un peu rabougris qui s’accrochent dans la pente.

Tout de suite, le regard et l’odorat sont happés par de belles touffes généreuses d’un beau rose pâle : les œillets de Montpellier, assez mal nommés car certes amis de la chaleur mais surtout montagnards. Des touffes de tiges raides rougeâtres surmontées de pompons roses signent les armérias à feuilles de plantain qui côtoient les touffes vaporeuses des scabieuses colombaires mauve pâle.

Au milieu des orpins réfléchis jaunes et des achillées millefeuilles blanches, se détachent les longs épis cylindriques raides d’une graminée en fortes touffes ; il s’agit d’une fléole typique des milieux secs très ensoleillés, la fléole de Boehmer. On peut la confondre avec une autre fléole plus commune, la fléole noueuse mais il existe une astuce pour la distinguer très facilement : prenez un épi et pliez le en deux sur lui-même : s’il reste « entier », c’est la noueuse, s’il se sépare en plusieurs parties comme ici, c’est la fléole de Boehmer. (Merci à Hélène Mülhoff qui m’a fait découvrir ce « truc » lors d’une sortie en Limagne). Ici, on trouve la campanule à feuilles rondes plus adepte des zones rocheuses que sa cousine citée auparavant. Autant dire que les papillons abondent ici avec une belle diversité. 

Tom me montre une grosse sauterelle qui bondit lourdement sur le sentier d’accès ; je la saisis facilement et la met en « position photo » en la tenant par les pattes postérieures rapprochées. Superbe femelle avec son organe de ponte (oviscapte) en forme de sabre relevé : le dectique verrucivore, de la taille et avec l’aspect d’une sauterelle verte, est reconnaissable aux taches noires sur les flancs de l’abdomen. Essentiellement prédateur d’insectes, cette espèce vit au sol et se signale par sa stridulation composée d’une série de « tsic » stridents. Aline de la Ferme de la tour aux vents nous dira que les dectiques sont très nombreux dans les prés, particulièrement bien fleuris et fournis cette année. 

Quel bel animal !

Lisons un peu

Si la table d’orientation permet de nommer les lieux autour, elle ne dit rien sur l’extraordinaire mosaïque de paysages qui se dévoile sous nos yeux. Les Monts du Cantal forment la toile de fond. Tom, intrigué par les sonnailles des cloches, cherche les troupeaux de vaches disséminés dans ces vastes étendues : à cette distance, on repère à peine ces taches brunes dans les pâturages en direction du col de Chanusclade et des bruyères de Moudet ; quelques burons et corps de fermes parsèment ces vastes étendues. Sur une butte au-dessus d’un buron, des boules rondes signalent un bois de hêtres probablement très ancien mais réduit à sa plus simple expression et désormais intégré dans les pâturages (voir le paragraphe sur la hêtraie).

Vers l’Ouest et la vallée de la Sianne, se dégage une zone de bois et de bocage avec des hautes haies. Les prés fraîchement fauchés offrent leurs motifs concentriques et témoignent de l’intense activité des agriculteurs : cette année, enfin, va voir une récolte record de foin grâce aux abondantes pluies de mai-juin. En direction de la Coharde, facilement repérable à la tour de télécommunication qui la domine, s’étendent de vastes reboisements d’épicéas aux lignes géométriques. Deux milans royaux patrouillent au-dessus des prés fauchés, à la recherche des petits mammifères mis au jour par le passage de la faucheuse. 

Enfin, au plus près, juste devant la table, se profile une longue butte volcanique, le Gigot. Une maigre végétation clairsemée dominée par les genévriers et encadrée de pins sylvestres spontanés apporte une note vraiment méditerranéenne faisant penser à une garrigue. Il y a deux ans j’avais parcouru cette butte à l’occasion d’un stage d’initiation à l’identification des orthoptères, encadré par des experts de la LPO ; nous y avions observé une belle collection d’espèces de sauterelles et criquets dont le rare criquet bourdonneur aux antennes curieusement incurvées vers l’extérieur. 

Ainsi rassasié de paysages, on peut revenir tranquillement au point de départ et regouter les clairières aux gentianes. 

Accès : commune de Molèdes (15) entre la Coharde-haute et le col de Chanusclade. Le parking informel se trouve au milieu du bois traversé par la route là où démarre la piste d’accès. La Ferme de la Tour aux Vents se situe au village proche de la Coharde-Basse (commune de Laurie ; 15)

Ce « micro-circuit » d’à peine 1km aller-retour offre néanmoins un dépaysement complet et une galerie de milieux typiques des hauts plateaux du Cézallier cantalien (voir la zoom-balade du lac des Bordes aux confins du Cézallier du Puy-de-Dôme). Même l’accès final au point « haut » (1304m) avec sa table d’orientation ne pose aucun problème. Et si vous voulez ensuite prolonger cette expérience Cézallier, vous disposez d’autant de sentiers et d’espaces que vous pouvez en rêver tout autour. 

Bibliographie 

La ferme de la tour aux Vents. Laurie (15) : réseau Bienvenue à la ferme. 

Les chambres d’hôtes de la ferme : un point de départ tout près du site (1 km)