01/06/2020 Globalement, les graminées repoussent plus qu’elles n’attirent les amateurs de fleurs sauvages : « ce ne pas de vraies fleurs et elles se ressemblent toutes ; et puis, ce ne sont que des herbes ». Pourtant, nombre d’entre elles méritent le détour et un peu d’attention pour l’architecture souvent très complexe et pleine de surprises de leurs inflorescences. La brize moyenne en fait partie avec en plus l’avantage considérable de ne pouvoir être confondue avec d’autres graminées sauf avec les deux autres espèces indigènes de brizes. Et puis, sous son surnom d’amourette, à cause de ses épillets très mignons, elle a su depuis toujours émouvoir le cœur des personnes un tant soit peu sensibles à la nature qui les entoure. Enfin, nous allons voir que, écologiquement, elle nous apporte beaucoup d’informations pertinentes et constitue un indicateur fiable de milieux riches en espèces. 

Tremblante 

Au stade végétatif, la brize intermédiaire ressemble à bien d’autres : des touffes lâches  peu importantes (dix centimètres de diamètre au plus) avec des feuilles étroites et allongées. A partir de fin mai, la floraison commence et peut se poursuivre jusqu’en août. Et là, on sait très vite à qui on a affaire. Les tiges dressées, très droites, déploient progressivement leurs inflorescences enveloppées au départ dans la feuille supérieure comme dans un étui : occasion d’admirer de très belles scènes d’une grande délicatesse lors du déploiement progressif des pédoncules repliés.

L’inflorescence composée déployée forme une panicule très lâche pyramidale, presque aussi haute que large. Elle est constituée d’une succession d’étages de fins pédoncules ramifiés et plus ou moins ondulés, comme hésitant quant à la direction à prendre ! Tout au bout de chaque ultime ramification se trouve un épillet, l’élément de base des inflorescences de graminées ou poacées : le brusque coude à angle droit du pédicelle porteur lui donne un port pendant typique et le rend sensible au moindre souffle de vent. Et c’est là un des grands spectacles à savourer : des panicules étalées agitant dans le vent leurs nombreux petits épillets. On saisit alors très vite l’origine de son nom officiel de brize (Briza), dérivé de britho, je balance. Divers noms populaires traduisent cette particularité : tremblotte, tremblette, brize tremblante ou, en anglais quaker-grass ou quaking-grass (to quake = trembler).

Amourette 

Epillets isolés au bout d pédoncules courbés et « ondulés »

Mais les épillets eux-mêmes fournissent un second spectacle savoureux avec leur forme de délicat petit cœur immortalisé sous le surnom d’amourette. Chacun d’eux se compose de quatre à douze fleurs en moyenne : oui, des fleurs comme en témoignent les étamines qui s’en échappent à maturité. certes, comme chez toutes les graminées, il s’agit de fleurs très  transformées sans pétales ni sépales colorés mais des feuilles écailleuses qui les enveloppent une par une. Il suffit d’ailleurs de compter ces « écailles » ou glumes pour connaître le nombre total de fleurs. A maturité, elles prennent un aspect brillant et se teintent souvent (mais pas toujours) de violacé. Les anglais, à l’imagination très créative pour tout ce qui touche à la nature, les ont comparé à des feux follets (totter grass), à des cuillères argentées (silver spoons), à des perruques (wigwams) ou à des pièces de monnaie (golden shekels) !

La pollinisation se fait par le vent (anémophilie : voir la chronique sur ce processus), facilitée par le port lâche de la panicule et le caractère tremblant des épillets : le pollen sera capté par les stigmates plumeux des fleurs dont les écailles s’écartent un peu à maturité. Chaque fleur fécondée donne naissance à un fruit sec à une seule graine, un caryopse (variante d’akène) comme le grain de blé. L’inflorescence sèche sur pied et les fruits-graines se détachent progressivement. Une étude expérimentale a montré que la plupart tombaient dans un rayon de un mètre autour de la plante mère ; néanmoins, le bétail ou les grands herbivores qui pâturent peuvent en transporter sous leurs sabots ou les rejeter dans leur crottin ; l’homme peut aussi en disperser au moment de la récolte du foin lors du transport vers la grange. 

Panicules sèches en été

Tranquille 

La brize intermédiaire se comporte en piètre compétiteur vis-à-vis des autres graminées qui peuplent les milieux herbacés où elle vit. Bien qu’elle possède des rhizomes souterrains, cette vivace ne s’étale que très peu : elle réussit au plus à grignoter chaque année quelques centimètres autour d’elles pour y lancer de nouvelles tiges ! Elle ne tend donc pas à coloniser autour d’elle comme le font les graminées expansives et agressives de spelouses telles que le brome dressé ou le brachypode penné par exemple. Grâce à son appareil souterrain, elle tolère bien le pâturage, la fauche, le piétinement (pas trop marqué quand même) et un ombrage léger. Sa croissance reste lente et, au printemps, elle investit l’essentiel des ressources captées à consolider sa souche basale vitale pour se maintenir. Dès l’automne, elle perd une bonne part de ses feuilles et n’en conserve que quelques unes basales en hiver. 

Les épillets secs libèrent les fruits-graines en se désarticulant progressivement

Son installation se fait donc essentiellement via ses fruits-graines libérés en fin d’été. Ils germent en automne et aucun ne semble résister à l’hiver dans le sol : elle ne dispose pas d’une banque de graines pour se renouveler. Pour germer, il faut de la lumière et donc la présence de micro-espaces vides s’avère capitale ; ainsi s’explique sa forte dépendance vis-à-vis du pâturage qui génère via le piétinement des sabots des vides et freine la compétition des grandes herbes plus vigoureuses. Elle se montre aussi bien capable de se maintenir dans des prairies installées depuis très longtemps que de coloniser des prés récemment implantés sur d’anciennes cultures au bout d’une dizaine d’années. C’est d’ailleurs dans ses milieux « neufs » où elle atteint souvent ses plus fortes densités bénéficiant d’une compétition encore limitée des autres graminées vivaces. 

Frugale 

La brize est une grainée dite prairiale, des milieux herbacés ouverts et habite une gamme assez large de ces milieux. Elle recherche des sols plutôt secs et bien drainés allant de un peu acides à  neutres ou basiques ce qui laisse à penser qu’il existe plusieurs écotypes, i.e. des variants écologiques adaptés à un type de sol donné. Son habitat typique correspond aux prairies et pelouses semi-naturelles pâturées et/ou fauchées surtout sur calcaire ou marne ; mais elle peut aussi s’installer dans les prés sur des substrats granitiques nettement plus acides et s’aventure jusque dans des prés humides ou  au bord des tourbières, sur les franges plus sèches ; on la retrouve sur les lisières bien exposées jusqu’au milieu des fougères aigles. Elle peut aussi habiter des milieux herbacés plus artificiels comme les accotements, les terrains vagues, les bords des chemins, les anciennes carrières, …

En dépit de cette ubiquité relative, la brize présente un caractère assez constant : elle ne tolère pas les sols trop enrichis en éléments nutritifs ou plutôt elle en est vite éliminée par la  concurrence des grandes espèces à croissance très rapide. On la qualifie d’oligotrophe à mésotrophe, i.e. se contentant de sols pauvres peu fertiles. Dans les prairies, elle disparaît souvent dès que des apports de fumier, de lisier ou d’engrais sont pratiqués ; vous ne la trouverez jamais dans les prairies artificielles engraissées dominées par les dactyles ou les grandes fétuques. En ce sens, elle constitue donc un bon indicateur de prairies non enrichies et riches en nombreuses espèces : elle fuit la productivité et les perturbations et signe donc des milieux plutôt anciens et stables. Ceci explique le déclin qu’elle connaît dans de nombreuses régions dont le grand Ouest, le Bassin Parisien ou la grande plaine cultivée de Limagne en Auvergne. L’amourette est bien une sentinelle écologique qui nous alerte sur la dégradation rapide des milieux prairiaux passés sous l’emprise de l’agriculture intensive. 

Symbole des prés semi-naturels fleuris

Mineure, intermédiaire et majeure

En France, on peut rencontrer, trois espèces de brize dont la brize intermédiaire. 

La petite brize ou brize mineure (B. minor) est une annuelle grêle ressemblant beaucoup à l’intermédiaire mais avec des épillets un peu plus petits, toujours verdâtres et elle ne forme pas de touffes ; il y a un critère décisif pour la distinguer : la languette membraneuse (ligule) à la base du limbe des feuilles qui, chez la brize mineure, est allongé et en forme de lance versus court et arrondi chez la brize intermédiaire. La brize mineure est une espèce peu commune des pelouses et bords de mares temporaires du Midi, de Bretagne et du sud-Ouest. Autrefois, on la trouvait dans de nombreuses autres régions hors Midi où elle peuplait comme habitat secondaire les moissons maigres sur sables (notamment les champs de seigle). Mais avec la très forte raréfaction de ces milieux sous la tendance généralisée à l’engraissement systématique des sols (eutrophisation), les traitements herbicides ou l’abandon de ces terres trop pauvres, elle a quasiment disparu de ces milieux cultivés. 

La grande brize (B. maxima) est plus connue au moins comme espèce horticole incorporée dans les bouquets secs. Originaire de la région méditerranéenne, elle se démarque par ses gros épillets, peu nombreux, répartis par un à trois sur les quelques rameaux d’une panicule toute penchée d’un côté (unilatérale). Cette annuelle recherche des sites secs et se naturalise parfois comme échappée de jardins dans les régions au climat doux et souvent sur des sites sableux. 

Folklorique 

Dès ma plus jeune enfance enfance en Berry, j’ai connu la brize que l’on cueillait pour en faire  soit des bouquets secs suspendus, soit des bouquets verts dans un vase.  Pour qu’ils se conservent bien en frais ou que les épillets une fois secs ne tombent prématurément, il vaut mieux les cueillir tant que les inflorescences ne sont pas trop épanouies. Mieux encore : nous habillions les épillets avec du papier d’aluminium qui emballait le  chocolat pour un effet flashy assuré ! C’est vrai qu’en tant qu’enfants, nous étions très attirés par cette plante élégante avec ses petits cœurs suspendus très intrigants. Nos voisins anglais lui ont d’ailleurs donné de nombreux surnoms imagés populaires en association avec l’idée d’enfance : toddling grass ou l’herbe des enfants qui font leurs premiers pas, peut-être à cause de son côté fragile ; Tom’s tottle : le jouet de Tom ; … 

On en récoltait aussi des brins pour les faire sécher entre les pages d’un livre comme objets décoratifs. En Angleterre, on rapporte que les jeunes filles utilisaient ces brins séchés pour orner leurs cartes envoyées le jour de la Saint Valentin, des valentines ! 

Il serait bon que nous fassions redécouvrir aux enfants actuels cette petite merveille de délicatesse en soulignant sa valeur de symbole écologique d’une nature certes gérée par l’homme mais non engraissée à tout va et transformée à usine à produire du vert gorgé de nitrates !  

Bibliographie 

Flora Gallica ; Flora vegetativa ; Flore d’Ile-de-France ; Flore des champs cultivés ; Flore de la France méditerranéenne continentale ; Atlas de la flore d’Auvergne.