Bryonia dioica/Andrena florea

Comme pour toutes les plantes à fleurs,la réussite de la reproduction chez la bryone s’appuie sur deux étapes clés :

– la pollinisation i.e. le transfert du pollen des étamines vers les stigmates du pistil permettant ensuite la fécondation des ovules par les grains de pollen sans laquelle aucune production de fruits contenant des graines ne pourra se faire

– la dispersion des graines contenues dans les fruits permettant le renouvellement de l’espèce et son implantation dans de nouveaux milieux.

De l’efficacité de ces deux processus (entre autres) dépendra le succès reproductif de l’espèce et donc sa capacité à se maintenir et à évoluer face aux changements éventuels. Chez de nombreuses espèces, dont la bryone, des interactions avec des espèces animales se sont mises en place au cours de l’évolution dès lors qu’elles apportaient un certain avantage à la reproduction de l’espèce. Dans cette chronique, nous allons découvrir la relation entre la bryone et une abeille dans le cadre de la pollinisation ; une autre chronique abordera le cas de la dispersion des graines.

Recherche pollinisateurs

La séparation des deux sexes avec des pieds mâles et des pieds femelles chez la bryone (voir la chronique mâle ou femelle) impose obligatoirement le recours à des insectes pollinisateurs comme agents de transport du pollen, le vent ne pouvant servir d’intermédiaire avec le type de fleurs de cette espèce : le pollen produit par les étamines des fleurs mâles est transporté vers les stigmates récepteurs des fleurs femelles par l’intermédiaire des visites d’insectes pollinisateurs. Par contre, cette séparation des sexes présente l’avantage de simplifier en quelque sorte la relation avec les insectes pollinisateurs : les pieds mâles proposent surtout du pollen par les grosses étamines aux anthères sinueuses étranges tandis que les pieds femelles aux fleurs pistillées offrent du nectar (les fleurs mâles en produisent aussi un peu).

A vue humaine, les fleurs de la bryone n’ont rien de très attractif : blanc verdâtre veinées, assez petites mais avec une période de floraison relativement étalée dans le temps. Et pourtant, au vu de la production de baies qui couvrent en fin d’été les tiges des pieds femelles et de l’abondance de cette espèce omniprésente, tout indique que la pollinisation et la fécondation ne posent pas de problème pour la bryone.

Une alliée fidèle

Si les fleurs de la bryone restent régulièrement visitées par les abeilles domestiques, les petits bourdons et divers autres insectes tels que des syrphes ou des petits coléoptères comme les méligèthes, la principale responsable de leur succès reproductif semble bien être une petite abeille : l’andrène de la bryone (Andrena florea) qui butine préférentiellement les fleurs de cette plante. Relativement petite (de 1,2 à 1,5 cm de long), elle se reconnaît à sa teinte brun sombre avec un abdomen taché de rouge orangé vers l’avant et une tête et un thorax poilus. Elle est répandue dans toute la France jusque dans les milieux péri-urbains tout en étant souvent très locale et peu abondante. Si vous connaissez une belle touffe de bryone bien fleurie près de chez vous (en mai-juin) tentez l’expérience : stationnez un moment par beau temps assez tôt le matin et vous aurez de fortes chances d’y observer notre petite abeille.

Elle appartient à la famille des Andrénidés, une de ces nombreuses familles méconnues d’abeilles dites solitaires (par opposition aux abeilles sociales vivant en très grandes communautés) et qui comptent des milliers d’espèces souvent très difficiles à distinguer entre elles. Dans la sous-famille des Andréninés, le seul genre Andrena compte plus de … 1300 espèces dans le monde dont 150 en France ! On les surnomme collectivement abeilles des sables car la plupart creusent des galeries dans le sable ou de la terre tassée nue pour y installer leurs nids. C’est le cas de l’andrène de la bryone (nom masculin ou féminin selon l’usage) qui creuse des galeries verticales dans de la terre compacte dénudée allant jusqu’à dix centimètres de profondeur et menant à des loges latérales où la femelle pond ses œufs et entretient les larves en y déposant des réserves de pollen. Souvent, les femelles se reproduisent côte à côte, pouvant ainsi regrouper des centaines de nids mais où chacune mène sa vie sans se préoccuper des autres. Ce sont donc bien des abeilles solitaires sans organisation sociale véritable.

Une association étroite

La période d’activité de cette abeille coïncide avec le pic de floraison de la bryone en mai-juin ; durant cette période, elle creuse donc ses nids, pond et remplit les cellules des galeries de pollen récolté (avec un peu de nectar) si bien que les larves vont pouvoir se développer en autonomie, sous terre en juillet-août.

Cet andrène butine donc prioritairement les fleurs de bryone mais on peut l’observer aussi récoltant du nectar (pour sa propre alimentation) sur des fleurs de vipérine, de ronces, d’aubépine ou des pissenlits. Elle n’est donc pas strictement exclusive de la bryone mais très nettement attachée à celle-ci qui reste sa principale plante pourvoyeuse de pollen. Une seule touffe de bryone (mais elle peut couvrir des mètres carrés et offrir des milliers de fleurs sur toute la période de floraison !) suffit souvent à nourrir et fixer toute une population de ces abeilles ; comme les sites de nids ne sont pas très nombreux, elles sont parfois obligées de s’installer à grande distance de leur plante nourricière, jusqu’à plus d’un kilomètre.

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Un beau massif fleuri de bryone peut suffire à ravitailler une colonie d’andrènes.

Une fidélité bien récompensée

Sur les fleurs mâles de la bryone, l’andrène récolte le pollen qui va servir surtout à garnir les cellules larvaires des nids. Elle utilise le revêtement de poils sous son corps et de ses pattes qui se retrouvent barbouillés de poudre jaune ; il n’y a pas de brosses à pollen spécialisées comme chez les abeilles domestiques ou les bourdons mais sur le premier segment des pattes postérieures près de la hanche (le trochanter), il y a un pinceau de poils raides aidant à la collecte du pollen. Autrement dit, on n’observe pas de boules de pollen attachées aux pattes comme chez les bourdons ou abeilles domestiques.

Sur les fleurs femelles surtout, avec sa langue courte, l’andrène puise le nectar et ce faisant, elle va éventuellement transférer du pollen accroché sur son corps ou ses pattes sur les stigmates saillants, si elle a auparavant visité un pied mâle ! Donc, pour que la relation fonctionne au bénéfice de la bryone, il faut que les andrènes visitent des pieds mâles et des pieds femelles ! Il semble que cet andrène ait un pic d’activité plus matinal ce qui lui permet de récolter un maximum de pollen avant l’arrivée des abeilles et bourdons, sérieux concurrents.

Ainsi, la bryone peut bénéficier d’un transfert de pollen fidélisé et peu mélangé avec d’autres pollens qui viendraient encombrer la surface des stigmates et gêner la germination de ses propres grains de pollen. Du côté de l’andrène, la relative spécialisation optimise la récolte et les abeilles savent où trouver les quelques touffes nourricières qui offrent chaque jour des fleurs nouvelles. Ainsi, en dépit d’une période de floraison assez étroite, ces abeilles réussissent à boucler leur cycle par une efficacité accrue.

Gare à la caricature

On qualifie d’oligolectique une telle espèce qui ne butine que quelques espèces de plantes à fleurs, caractère que l’on retrouve chez une majorité d’espèces d’andrènes inféodées chacune à une ou quelques plantes particulières. Ainsi, l’andrène de la scabieuse (A. hattorfiana), largement répandue elle aussi, butine uniquement des plantes de la famille des Caprifoliacées et particulièrement la scabieuse colombaire et la knautie des champs.

Cette relation relativement étroite s’est établie au cours du temps par coévolution : ceci a été possible compte tenu de la relative ancienneté des bryones européennes (environ 8 millions d’années : voir la chronique mâle ou femelle). Parfois, de manière caricaturale et dogmatique, on présente cet exemple pour illustrer l’extrême spécificité de la coévolution : deux espèces qui évoluent ensemble et s’adaptent l’une à l’autre pour un bénéfice réciproque, en harmonie, … dans le meilleur des mondes ….. Or, les cas d’espèces d’abeilles (ou d’autres insectes pollinisateurs) monolectiques, i.e. ne visitant qu’une seule espèce de plante, restent très rares dans les relations plantes à fleurs/insectes pollinisateurs. La coévolution se met en place non pas entre une espèce de plante à fleur et une espèce d’insecte mais dans le cadre d’un réseau d’interactions complexes impliquant simultanément de nombreuses espèces des deux côtés et ce dans un environnement donné ; au fil du temps, ce réseau se stabilise plus ou moins au niveau de certaines des interactions mais de manière différente selon les conditions locales ce qui peut conduire à des interactions différentes selon les contextes régionaux. C’est le modèle dit de la mosaïque géographique de la coévolution (3) bien plus subtil et complexe que les relations « one to one » caricaturales mas tellement tentantes pour nos esprits cartésiens.

Enfin, notons que même si ponctuellement, certains andrènes de la bryone ne butinent sans doute que des bryones, il n’empêche que ces dernières peuvent se passer parfaitement de l’abeille puisqu’elle n’est pas présente partout (mais peut être avec alors un succès reproductif moindre pour la bryone ?). Moralité de cette fable de la biodiversité et des interactions durables : les mécanismes évolutifs se laissent rarement enfermer dans des schémas trop réducteurs et anthropocentrés.

L’andrène au jardin

Terminons avec un message destiné à ceux qui possèdent un jardin, même en ville : si un pied de bryone vient à s’installer (voir la chronique sur la dispersion), conservez le soigneusement et, année après année, vous pourrez, peut-être, profiter du spectacle des andrènes butinant les fleurs de bryone et participer ainsi, même modestement au maintien de cette espèce d’abeille. D’ailleurs, une bonne partie des photos qui illustrent cette chronique ont été réalisées en même temps que sa rédaction : il m’a suffi d’aller guetter les touffes de bryones (des deux sexes : avantage !) installées au milieu de ma haie pour photographier ces abeilles ; tâche pas si facile car elles sont plutôt méfiantes et passent vite d’une fleur à l’autre !

bryone-grillage

Un grillage constitue un excellent support pour un pied de bryone et pourra, peut-être, accueillir les visites des andrènes du quartier !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Guide des abeilles, bourdons, guêpes et fourmis d’Europe. H. Bellmann. Ed. Delachaux et Niestlé. 1999
  2. Sur le site de l’OPIE : http://www7.inra.fr/opie-insectes/pdf/i150-gadoum-didier.pdf
  3. The geographic mosaic of coevolution. J. N. Thompson. The University of Chicago Press. 2005

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la bryone
Page(s) : 28-29 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus
retrouvez l'andrène de la bryone
Page(s) : 284 Le guide de la nature en ville
Retrouvez les idées fausses sur l'évolution
Page(s) : 98-129 Guide critique de l’évolution