Bryonia dioica

Commune et répandue partout jusqu’à 1500m d’altitude, la bryone prospère dans de nombreux milieux pourvu qu’elle y trouve des sols riches et frais : haies, talus, fourrés, friches, dunes, jardins et vergers, bords des rivières, lisières et clairières des forêts, ….. Elle colonise très rapidement de « nouveaux » milieux fraîchement ouverts par des perturbations (humaines le plus souvent) notamment après des défrichements ou un simple brûlis de haie par exemple. Elle est ainsi devenue une « mauvaise herbe » dans les vergers où elle s’installe au pied des arbres fruitiers. Une fois implantée, grâce à son puissant appareil souterrain (voir chronique sur les racines), elle va pouvoir persister tant que le milieu ne se referme pas trop lui laissant accès à un minimum de lumière.

Dans cette chronique, nous allons découvrir les interactions tissées entre la bryone et certains animaux permettant une meilleure dispersion des graines et la colonisation de nouveaux milieux.

Des baies rouges

Chez la bryone, les sexes sont séparés (voir la chronique mâle ou femelle) : seuls les pieds femelles portant des fleurs avec un pistil contenant des ovules peuvent produire des fruits. Ainsi présenté, ce caractère pourrait passer pour défavorable vu que seulement la moitié des pieds de bryone peuvent fructifier, les pieds mâles étant exclus. Cependant, dans une autre chronique nous avons vu l’efficacité de la pollinisation via une interaction avec une espèce d’abeille solitaire qui permet une abondante production de fruits et compense largement ce « handicap » supposé.

Aussitôt fécondées, les fleurs femelles fanent et il ne va subsister que l’ovaire basal vert foncé avec les ovules fécondés devenus des graines. Cet ovaire va grossir pour devenir un fruit charnu avec une peau assez épaisse, une pulpe liquide claire à l’odeur nauséabonde et, réparties par deux dans des loges, 4 à 6 graines, ovales, plates et de coloration variable allant du beige clair à marbrées de noir et blanc.

A partir de mi juillet, la maturation progressant, les baies virent au rouge ; dès fin septembre, ou plus tôt encore lors des périodes de sécheresse marquée, toute la plante sèche sur pied progressivement, les feuilles prenant d’ailleurs au passage un aspect de vieux cuir très esthétique ! Les baies qui ne sont pas consommées (voir la suite) restent accrochées et se dessèchent progressivement, pouvant persister ainsi jusqu’en décembre.

Des fruits toxiques

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Dès que les fruits commencent à virer au rouge vif, ils disparaissent très vite, surtout par temps sec, récoltés par des animaux. Sous nos climats, qui dit fruits charnus, dit le plus souvent dispersion soit par des mammifères (surtout des petits carnivores qui mangent des fruits en automne comme les mustélidés), soit par des oiseaux qui consomment ces fruits et rejettent les graines dans leurs excréments ; c’est le processus de l’endozoochorie (voir la chronique : voyager par transit intestinal). La taille des fruits (en moyenne 8,5mm de diamètre), leur forme ronde, leur aspect lisse pointent d’emblée vers une dispersion par des oiseaux qui peuvent facilement les avaler et les récolter compte tenu de leurs positions sur les tiges grimpantes escaladant toutes sortes de supports (voir la chronique sur les vrilles).

Mais, cette hypothèse se heurte à un problème majeur : ces baies sont très toxiques (tout comme les autres parties de la plante et notamment les racines abordées dans une autre chronique). Ainsi, des faits divers historiques indiquent que l’ingestion de quinze baies serait mortelle pour un enfant et quarante pour un adulte. Cela dit, il faut avoir un sacré appétit pour consommer ces fruits à l’odeur fétide et au jus âcre ! L’intoxication se manifeste par une diarrhée, de fortes pertes en eau puis des convulsions pouvant conduire à la mort. N’oublions pas cependant que toxicité pour un mammifère ne signifie pas forcément toxicité pour un oiseau, les systèmes digestifs étant très différents. Des cas de volailles empoisonnées auraient pourtant été signalés. On ne sait pas d’ailleurs si les toxines se trouvent concentrées plutôt dans la pulpe ou dans les graines ce qui fait que selon la manière dont le fruit est consommé (graines écrasées ou pas), la toxicité pourrait on non s’exprimer.

Passeurs de graines

Et pourtant, les observations méticuleuses menées par David et Barbara Snow en Angleterre (1) montrent clairement que ce sont des passereaux qui consomment activement ces baies ! Le fait que la consommation soit encore plus forte par temps sec indique peut-être l’intérêt principal de ces baies : fournir un apport d’eau au cœur de l’été ! On ne mesure pas à quel point le manque d’eau peut vite devenir un problème pour des oiseaux confinés dans leurs territoires qui ne disposent pas forcément de point d’eau ! D’ailleurs, dès la fin de l’été et des grosses chaleurs, les fruits non récoltés tendent à être délaissés, d’autant qu’entre temps, d’autres arbustes présentent des fructifications bien plus attirantes comme le sureau noir par exemple qui fréquente les mêmes milieux que la bryone. Une fois de plus, on voit qu’une interaction comme celle-ci (plante-fruits/oiseaux) évolue y compris au cours de la saison en fonction des autres acteurs environnants.

Les données collectées par le couple Snow et consignées dans un livre passionnant (1) indiquent que la majorité des fruits disparaissent entre fin juillet et début septembre avec comme principal consommateur la fauvette à tête noire (54% des observations) ; trois autres espèces de fauvettes (pour 9% des observations) consomment aussi ces baies : la fauvette grisette, la fauvette babillarde et la fauvette des jardins. Parmi les autres consommateurs réguliers, on note le merle noir et la grive musicienne.

Le rythme des récoltes est très soutenu en juillet avec une moyenne de 3,6 visites par heure, puis diminue en août (1,6 visite par heure) pour atteindre 1 visite par heure début septembre. Comme ces passereaux sont des oiseaux migrateurs, dès la fin juillet, ils peuvent commencer à se déplacer hors des territoires et participent ainsi à la dispersion à plus grande échelle des graines de la bryone. Il n’est d’ailleurs pas anodin que cette plante soit particulièrement répandue le long des rivières et des vallées qui sont des couloirs de migration actifs.

Au delà de cette période clé, la consommation diminue rapidement, d’autant que les fruits se dessèchent ; lors des coups de froid, ils peuvent de nouveau attirer d’autres oiseaux tels que des étourneaux, des grives musiciennes ou litornes.

Facilitateurs ou prédateurs

Comme toujours, tout n’est pas aussi simple : tous les oiseaux consommateurs de baies de bryones ne lui sont pas forcément favorables pour la dispersion de ses graines. Ainsi, le couple Snow note qu’à partir de septembre, des mésanges s’intéressent à ces fruits en cours de dessèchement mais cette fois directement pour leurs graines qu’elles extraient des fruits. Ils relatent ainsi le cas d’une mésange nonette observée à deux reprises en septembre prélevant des fruits pour les emmener et les cacher à une vingtaine de mètres de là. Pour chacune des observations, l’oiseau est revenu trois fois emportant un fruit à chaque fois. Ils ont aussi observé une mésange boréale extrayant des graines d’un fruit sec pour aller les cacher. En fin d’automne, de nombreux fruits secs présentent des signes d’attaques par des mésanges. Un tel comportement a aussi été observé en Europe centrale avec des sitelles.

Ce comportement de « cache » rappelle celui du geai des chênes qui disperse les glands des chênes ; ces fruits ou graines cachées servent de provisions en vue de l’hiver ; par temps très froid ou neigeux, les mésanges savent retrouver une bonne partie de ces caches et consomment alors les graines, définitivement perdues pour la bryone. De ce point de vue, les mésanges sont donc des prédateurs de graines (à retardement !) de bryone. Mais comme il reste toujours quelques graines non retrouvées (ou si l’hiver n’est pas rigoureux et que les provisions ne sont pas exploitées), les graines rescapées pourront germer au printemps suivant si l’emplacement choisi s’avère favorable.

Gérard GUILLOT.  Zoom-nature.fr

BIBLIOGRAPHIE

  1. BIRDS AND BERRIES. B. et D. Snow. Ed. T. and AD Poyser. 1988

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la bryone
Page(s) : 28-29 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus