Asplenium trichomanes

Le centre urbain de Londres héberge une grande diversité de fougères sur les vieux murs avec près de vingt espèces répertoriées, les plus communes étant la scolopendre, le polypode et la rue-de-muraille. Depuis 1998, une cartographie fine des sites à fougères a été entreprise dans le centre-ville (le district métropolitain) (1), soit une superficie de 140 km2. Ces recensements annuels ont mis en évidence l’apparition progressive à partir de 1998 de deux nouvelles espèces jusqu’alors absentes de ce secteur, bien que communes ailleurs : la capillaire des murs et la doradille noire. Ce suivi cartographique année après année (jusqu’en 2007, année de la publication (1) offre une belle opportunité de mieux analyser le mode de dispersion et d’installation de ces espèces.

Une progression par taches successives

Ces deux espèces affectionnent les murs de briques cimentés (donc avec présence de calcaire), à l’ombre dans des sites humides ; si elles préfèrent les murs anciens avec du ciment dégradé, elles restent capables aussi de coloniser les murs récents, pourvu qu’ils restent humides. La plupart s’installent vers le sommet du mur et forment des colonies denses.

On observe au fil des années de brusques apparitions très ponctuelles suivies d’une rapide expansion juste autour puis d’une autre apparition bien plus loin, etc. Ce schéma de progression laisse penser qu’il doit y avoir un ou quelques « évènements fondateurs » (première arrivée de spores de l’extérieur permettant l’installation d’une « tête de pont ») par dispersion à longue distance des spores, suivis plus tard de nouvelles dispersions à distance et expansion immédiate autour.

En tout cas, par comparaison avec des espèces très communes comme la scolopendre ou la rue-de-muraille réparties partout au hasard, la répartition de ces deux nouvelles arrivantes s’avère significativement non au hasard mais par taches successives. La progression du nombre de données nouvelles par an renforce cette idée : de 1998 à 2002, on passe pour les deux espèces réunies de une station nouvelle/an à seize ; puis de 2003 à 2006, on passe de 12 à 6. Ce déclin relatif indique que la colonisation initiale a du se faire sur les sites les plus favorables et qu’ensuite, le nombre de sites potentiels diminuant, la progression se ralentit.

Une dispersion par bonds

L’auteur de l’étude a établi un modèle testé au regard des données cartographiques : il confirme une surreprésentation des dispersions à courte distance à partir d’un pied fondateur installé et une longue « traîne » de dispersions à longue, voire très longue distance, ce qu’en jargon scientifique on appelle une distribution leptokurtique ! La distance moyenne de dispersion se situe autour de 0,75 km avec de rares évènements à 3 ou 5 kms voire plus. La vitesse moyenne d’expansion se situe autour de 1km/an.

L’observation rapprochée de pieds de fougères montre que effectivement la grande majorité des spores libérées retombe à moins de 10m de la plante mère ; mais il faut prendre en compte les quantités astronomiques de spores produites : une feuille ou fronde de capillaire peut libérer à elle seule 750 000 spores alors qu’une colonie peut compter des centaines de frondes ! De plus , ces fougères s’installent sur des murs verticaux et plutôt vers le sommet : or, la vitesse du vent augmente avec la hauteur ce qui augmente d’autant les chances que des spores s’envolent à longue ou très longue distance.

On connaissait depuis longtemps cette capacité de dispersion par le vent, à très longue distance, des spores microscopiques des fougères (tout comme celles des mousses d’ailleurs), notamment responsable de la colonisation depuis le continent d’îles océaniques volcaniques surgies de la mer, mais on a ici une belle démonstration de la réalité de ce processus et de ses modalités en milieu urbain où la progression des spores reste quand même problématique du fait des obstacles naturels que représentent les grands bâtiments.

capillaire-sores

Frondes de capillaire des murs vues par dessous avec les amas de sporanges ou spores.

BIBLIOGRAPHIE

  1. DYNAMICS OF LONG-DISTANCE DISPERSAL: THE SPREAD OF ASPLENIUM ADIANTUM-NIGRUM AND ASPLENIUM TRICHOMANES (ASPLENIACEAE: PTERIDOPHYTA) ON LONDON WALLS. J.A. EDGINGTON FERN GAZ. 18(1): 31-38. 2007 31

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la capillaire des murs
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