virevoltant-kalidepart

En route pour le grand voyage : deux virevoltants de soude brûlée se mettent en marche dans l’arrière dune en Vendée. 02/11/2001

La Belle Henriette : la Faute-sur-mer. 2 novembre 2001 ; 10H. Dans la grande dépression en arrière de la dune, un peu partout, des grosses boules renversées parsèment le paysage de leurs silhouettes de hérissons jaune paille ; ce sont des touffes sèches fructifiées de soude brûlée (Kali soda) reconnaissables aux courtes feuilles épineuses mais aussi quelques belles touffes de coquillier maritime (Cakile maritima). L’hiver dernier, à la faveur d’une tempête, un gros paquet de mer a déferlé dans la dépression, déposant sel et débris divers qui ont favorisé l’installation et l’exubérance de ces plantes halophytes (qui poussent sur les terrains salés) ; l’automne venu, elles meurent et sèchent sur pied et finissent par se détacher. Le vent se lève progressivement ; et, là, j’assiste médusé au « départ » des touffes qui, une à une s’animent doucement, commencent à rouler de ci de là dans une démarche chaotique sautillante. Le vent forcit un peu : deux touffes de soude brûlée se détachent et escaladent la dune partiellement éventrée ; arrivées au sommet, elles accélèrent profitant du maximum de vent. L’une d’elles dévale la dune et roule sur la plage, un peu zigzagante ; elle finira sa course dans les vagues et sera emportée par le courant. Je viens d’assister au spectacle rare de la course folle des virevoltants, ces plantes qui se dispersent toutes entières, après avoir séché sur pied et brisé leur tige sous l’effet du vent, semant en chemin leurs graines ou fruits secs ! (voir la chronique « les virevoltants, des plantes qui roulent » à propos de ce mode de dispersion).

Mais qu’en est-il exactement des performances de ces virevoltants et quel avantage apporte ce mode de dispersion pour les espèces concernées ?

Un suivi au GPS !

Une équipe américaine (1) a étudié la dispersion d’une espèce très proche de la soude brûlée mentionnée ci-dessus,la soude ibérique (Kali tragus) connue sous le surnom de « chardon russe  » , très problématique aux U.S.A. depuis son introduction dans les années 1870 du fait de son caractère ultra-invasif dans les pâturages secs des grandes plaines du Midwest entre autres. Les chercheurs ont disposé des pieds secs détachés au centre de parcelles de chaumes de céréales et les ont suivi dans le temps par GPS. Logiquement les plantes se sont déplacées selon les directions des vents dominants. Les chercheurs ont noté un déplacement record de plus de 4kms en 6 semaines ; à l’opposé certaines touffes ne se sont pas déplacées de plus de 60m, soit à cause de vents variables, soit suite à une chute de neige ou à un « accrochage » dans du chaume de blé (les touffes sont très épineuses et donc accrochantes).

Une étude du même type menée en Australie sur d’autres espèces de soudes fournit des résultats du même type : les distances parcourues varient de moins de 2m à 1,25km mais la moitié des plantes ne parcourent pas plus de 100m car les touffes (très nombreuses car ces plantes sont là aussi invasives) s’emmêlent entre elles et finissent par se fixer sur place en devenant trop lourdes.

On voit donc qu’une partie au moins des virevoltants peut parcourir des distances considérables (pour une plante bien sûr !) ce qui assure une dispersion à grande échelle qui explique entre autres la capacité de colonisation de ces plantes et leur potentiel invasif hors de leur aire d’origine dans des milieux favorables très ouverts, sans obstacles à leur course folle.

Je roule et je sème

Pour comprendre l’intérêt d’un tel mode de dispersion, il faut évaluer son efficacité et notamment vérifier si le virevoltant ne perd pas toutes ses graines ou fruits dès ses premiers « bonds » ce qui enlèverait tout avantage à parcourir de grandes distances.

L’étude américaine fournit à ce propos des données intéressantes : en moyenne, après avoir parcouru plus de 2kms, les touffes sèches de « chardon russe » portaient encore 51% de leurs graines ; une autre année, ils ont trouvé des valeurs plus faibles : seulement 25% de retenues après un déplacement de 1,8kms ce qui souligne la variabilité du processus. Néanmoins, il reste bien une proportion significative de graines portées par les virevoltants même après un net déplacement ; autrement dit, même si seulement quelques touffes arrivent à parcourir de grandes distances, leur potentiel de distribution de graines (et donc d’assurer une descendance) reste élevé.

Or, pour ces plantes qui vivent dans des environnements très secs, pouvoir s’installer « ailleurs » présente un avantage certain car cela augmente la probabilité de conquérir un endroit un peu plus humide et donc plus favorable. De même, les soudes brûlées citées en introduction vivent dans des milieux souvent très instables et « imprévisibles » (par exemple suite à une tempête comme dans le cas évoqué) et pouvoir conquérir de nouveaux milieux fraîchement perturbés et enrichis en sel et en déchets devient un avantage pour pallier à l’incertitude du milieu.

L’étude australienne apporte cependant un bémol à cette dispersion à longue distance : les graines qui restent longtemps sur la plante sèche voient leur capacité à germer diminuer : moins de 2% d’entre elles conservent cette capacité après deux mois. Mais il faut relativiser ces chiffres en prenant en compte le nombre initial de graines qui peut atteindre 66 000 graines par touffes de « chardon russe » ; un rapide calcul donne environ 600 graines encore aptes à germer après un parcours de 2kms avec 50% de pertes en route. il y a donc de la marge !

Rouler ou ne pas rouler ?

En fait, toutes les plantes sèches ne se détachent pas forcément ou plus ou moins tôt selon leur état ; un certain nombre restent en place assez longtemps, le vent ne réussissant pas à les casser au ras du sol pour diverses raisons. Pour ces plantes, il y a quand même une dispersion des graines mais tout près de la plante mère quand le vent secoue les tiges. Or, ces plantes en place perdent leurs graines bien moins vite que celles qui roulent (15 à 25% de perte contre 48 à 66% respectivement). Autrement dit, une plante restée longtemps en place aura toujours une bonne réserve de graines si elle vient, tardivement, à se détacher et à être roulée au sol. Et si elle ne se détache pas du tout, elle dispersera quand même ses graines autour d’elle même si c’est moins avantageux pour la survie de l’espèce.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Plant Movement and Seed Dispersal of Russian Thistle (Salsola iberica). George P. Stallings, Donald C. Thill, Carol A. Mallory-Smith and Lawrence W. Lass. Weed Science. Vol. 43, No. 1 (Jan. – Mar., 1995), pp. 63-69
  2. Tumbleweeds in the Western Australian cropping system: seed dispersal characteristics of Salsola australis. C P D BORGER, M WALSH, J K SCOTT andS B POWLES. Weed Research. Volume 47, Issue 5, pages 406–414, October 2007

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la soude brûlée
Page(s) : 160 Guide des plantes des bords de mer