Wollemia nobilis

Septembre 1994 : quelque part dans les Montagnes Bleues à 150-200km au nord de Sydney en Nouvelle-Galles du Sud (Australie), un ranger du parc national Wollemi (créé en 1979), David Noble, explore un des nombreux profonds canyons qui découpent les plateaux gréseux de cette région inaccessible autrement qu’à pied ou en hélicoptère. Il remarque quelques grands conifères « bizarres » et récolte un rameau. Ainsi débute l’histoire de la découverte d’une nouvelle espèce pour la science, fait en soi banal puisque plus de 10 000 nouvelles espèces d’êtres vivants sont répertoriées chaque année mais qui allait prendre une dimension médiatique incroyable et comme souvent, largement surfaite et entachée d’erreurs d’appréciation scientifique.

Le long chemin de l’identification

A.Farjon, spécialiste mondial des conifères, relate cette histoire en détail dans son remarquable et passionnant ouvrage sur les conifères (1). Nous avons simplifié un peu l’histoire vu les nombreuses péripéties qui l’ont accompagnée mais elle reste très intéressante pour comprendre le travail qui entoure la description d’une nouvelle espèce.

De retour à Sydney, le ranger confie son échantillon à plusieurs botanistes qui avouent ne pas connaître cet arbre. Ils retournent donc sur place et récupèrent un vieux cône tombé au sol ; dans un premier temps, ils penchent pour une espèce introduite du genre Cephalotaxus mais rapidement, ils réalisent qu’il s’agit d’une espèce nouvelle.

En décembre 1995, soit un an plus tard (ce qui est relativement rapide pour une nouvelle espèce, les trois botanistes ( W.G. Jones, K.D. Hill et J. M. Allen) publient dans la revue botanique australienne Telopea un article : « Wollemia nobilis, a new living australian genus and species in the Araucariaceae » . Ils officialisent ainsi la découverte de cette espèce nouvelle pour laquelle ils créent donc un genre nouveau, Wollemia, compte tenu de ses originalités , et la classent dans la famille des Araucariacées au sein des Conifères.

Histoire d’un nom scientifique

Le nom de genre Wollemia se réfère au lieu de la découverte, le parc national Wollemi. Ce nom dérivé d’un terme aborigène wollumii qui signifie » regardez autour de vous » convient bien par rapport aux conditions de la découverte de cet arbre à moins de 200 kms de la grande métropole de Sydney (quatre millions d’habitants).

L’épithète d’espèce, nobilis, était censé honorer le découvreur D. Noble sauf que on aurait dû le nommer alors noblei pour respecter les règles en usage ; ultérieurement, on s’est « rattrapé » en arguant que nobilis allait bien à ce grand arbre au port altier (il existe aussi par exemple un sapin noble, Abies nobilis) tout en évoquant indirectement son découvreur !

Les anglo-saxons l’ont surnommé Wollemi pine, traduit par pin Wollemi, appellation pas très heureuse pour un arbre de la famille des Araucariacées ; c’est pourquoi nous avons préféré conserver le nom scientifique de Wollemia pour le désigner en français.

L’emballement médiatique et ses dérapages

Le jardin botanique de Sydney a vite flairé l’intérêt de cette découverte pour « faire du buzz » ; la diffusion dans la presse n’a pas tardé avec des manchettes alléchantes à la une du genre « la plus grande découverte du siècle  nouvelle espèce » ou «  un véritable dinosaure vivant retrouvé en Australie ou une relique du Jurassique » par allusion à Jurassic Park.

La première appellation est largement surfaite : on s’appuyait sur le fait qu’il s’agissait d’un arbre de grande taille et d’un nouveau genre. Or, depuis 1950, plusieurs nouvelles espèces de conifères ont été découvertes pour lesquelles on a créé là aussi de nouveaux genres, sans que l’on fasse un tel tapage médiatique : Cathaya en Chine ou Xanthocyparis au Vietnam ; en 1941, il y avait aussi eu le cas resté célèbre du Metasequoia trouvé en Chine.

Quant à la seconde mention de dinosaure vivant, elle renvoie à la notion infondée mais très répandue de fossile vivant à laquelle nous consacrons une autre chronique, compte tenu de ses implications par rapport à une bonne compréhension de ce qu’est l’évolution.

Du médiatique au business

Le jardin botanique de Sydney et les autorités australiennes décident alors de mettre en place un programme de multiplication végétative par boutures de l’espèce pour vendre les jeunes plants et réunir ainsi des fonds. En 2000, le programme ambitieux est lancé avec comme objectif la « fabrication » de 500 000 plants clonés de Wollemia. La présentation des premiers spécimens plantés dans des parcs conduit à des scènes surréalistes où les arbres sont présentés dans des cages d’acier afin d’éviter tout vol ! A partir de 2005, la vente des plants commence en ligne avec même des enchères pour les 300 premiers pieds (plus d’un million de dollars obtenus ainsi !). Vous pouvez désormais commander sur internet un wollemia pour environ soixante à cent euros.

Cette opération de diffusion de l’espèce dans les parcs et jardins visait à détourner un peu la pression engendrée par les médias sur le site de découverte qui, bien que censé être secret, commençait à recevoir des visites intempestives. D’autre part, les fonds récoltés ont permis d’entamer un programme de sauvegarde pour cette espèce aux effectifs très réduits (voir ci-dessous) ou pour d’autres espèces. La morale est donc sauve malgré tout !

Une population réduite dans un environnement confiné

Au moment de la découverte, une quarantaine d’individus avaient été dénombrés. Evidemment, on s’est rapidement dit « qu’il devait y en avoir ailleurs » ….. forcément ! ». Des recherches en hélicoptères (adaptées à cet environnement de canyons très encaissés) n’ont pourtant pas permis d’en découvrir plus ; tout au plus, a t-on repéré dans le premier canyon trois sous-populations sous forme de bosquets dispersés sur deux kilomètres, réunissant au total une centaine d’arbres adultes de grande taille, aux troncs multiples. La bonne nouvelle rassurante est que ces arbres se reproduisent avec des cônes et des graines d’où la présence aussi de très jeunes arbres.

Cette configuration n’étonne pas outre mesure les spécialistes des conifères car on connaît de nombreux autres exemples de conifères ainsi localisés sur des sites ou zones très restreintes à l’échelle mondiale : citons entre autres le « pin » de Norfolk (Araucaria heterophylla) endémique de l’île Norfolk en Australie aussi ou le cyprès de Duprez (Cupressus dupreziana) présent à quelques centaines d’exemplaires dans les gorges du Tassili n’Ajjer en Algérie ou encore, plus près de nous, l’épicéa de Serbie (Picea omorika) restreint aux monts Tara en Serbie.

 

Le site unique se situe sur la côte sud-est de l’Australie, séparé de l’intérieur désertique par une chaîne de montagne, la cordillère australienne (Great Dividing Range) culminant à plus de 2000m. Cette région abrite des restes de forêts pluviales luxuriantes qui étaient beaucoup florissantes au début de l’ère Tertiaire, souvent réfugiées dans des gorges abritées. On y rencontre notamment six espèces d’Araucariacées dont le Wollemia. Sur le site même, les parois encaissées des gorges sont colonisées par une forêt d’Eucalyptus et d’arbustes ; au fond du canyon, le long du cours d’eau permanent qui y coule, se trouve une forêt pluviale de type tempéré, très dense et qui abrite donc les quelques bosquets de Wollemia découverts.

De toute cette histoire, si on devait retenir une vraie information extraordinaire, c’est de réaliser que cette espèce ait pu survivre dans un espace aussi restreint, en relative bonne santé et de se dire qu’elle aurait aussi très bien pu rester toujours inconnue de la science !

BIBLIOGRAPHIE

A natural history of conifers. A. Farjon. Timber Press. 2008

Wollemia nobilis, a new living Australian genus and species in the Araucariaceae. W.G. Jones, K.D. Hill and J.M. Allen. Telopea. Vol. 6 (2-3) : 173-176. 1995

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le Wollemia et d'autres espèces nouvelles
Page(s) : 540-546 Guide critique de l’évolution