Prunus avium

Merises mûres … prêtes à l’emploi

02/12/2021 Avec la chronique La dispersion du merisier : la voie terrestre, nous avons vu comment le merisier ou cerisier sauvage assurait une partie de la dispersion des noyaux de ses fruits ou merises par l’entremise de cinq espèces de mammifères terrestres ; ceux-ci consomment les merises mûres tombées au sol et rejettent ensuite les noyaux dans leurs déjections selon le processus d’endozoochorie ou dispersion des graines à l’intérieur du corps des animaux. Nous avons vu aussi l’impact de la structure des paysages transformés par l’homme sur le bon fonctionnement de ce service de dispersion, indispensable au maintien du merisier dans son environnement. Pour cette présentation, nous nous sommes appuyés sur une étude allemande ; or, la même équipe de chercheurs a conduit en parallèle de cette étude sur les mammifères et de la voie terrestre une autre recherche centrée cette fois sur le rôle des oiseaux frugivores, consommateurs de merises et qui dispersent aussi les noyaux après les avoir avalés. Rappelons que le nom latin du merisier, Prunus avium, veut dire « cerisier des oiseaux » ! Cette seconde chronique va donc explorer la voie aérienne de la dispersion du merisier qui a lieu de jour, contrairement à la précédente essentiellement nocturne. Nous renvoyons à la chronique précédente pour la présentation du merisier et du contexte général. 

Un merisier fleuri isolé : promesse d’une multitude de fruits pour les oiseaux locaux en été

Nouveau protocole 

Avec les oiseaux, les chercheurs ont dû évidemment adopter un protocole très différent tout en conservant les grandes lignes, notamment en ce qui concerne l’approche à différentes échelles de paysage (voir la voie terrestre). L’étude, cette fois, a été étalée sur deux années consécutives : en 2006, onze merisiers ont été suivis et 27 en 2007. En amont de la période de fructification qui dure de mi-juin à début août, on a d’abord procédé au printemps à des recensements d’oiseaux nicheurs autour des merisiers sélectionnés afin de connaître le nombre d’espèces présentes (richesse en espèces) et leur abondance. Ensuite, à partir du moment où les merises mûrissent, un suivi individuel des merisiers a été mis en place : chaque arbre a été suivi 8 heures d’affilée sur une journée à partir du lever du jour. Depuis un abri-tente installé à moins de 20m du merisier, à l’aide de jumelles, on a identifié tous les oiseaux qui viennent manger les merises sur l’arbre, noté le nombre de fruits avalés ou emportés dans le bec. Effectivement, la grosse majorité des oiseaux cueillent les merises pour les emporter et les consommer un peu à l’écart : ce comportement vise à éviter la prédation des rapaces diurnes (épervier, autour) qui peuvent être attirés par les nombreuses allées et venues. Dans ce cas, l’observateur suit l’oiseau aux jumelles et cherche à localiser l’endroit où il se pose pour manger son fruit et évalue la distance au merisier. Avec ce suivi méticuleux, les chercheurs disposent ainsi d’une série de données chiffrées : nombre moyen de merises enlevées par minute ; nombre de fruits enlevés par visite ; distance de transport avant de le consommer ; … Ces données peuvent ensuite être mises en parallèle de la structure des paysages environnants à différentes échelles pour voir si ces derniers ont un impact sur cette activité.  

Guilde d’oiseaux frugivores 

Les 304 heures d’observation directe devant des merisiers ont permis d’observer 1830 visites, avec récolte d’au moins une merise, de 17 espèces différentes ; le tableau ci-joint résume ces résultats. 

En moyenne, pendant les 8 heures d’observation par arbre, 31 merises étaient récoltées : ce chiffre à lui seul donne une idée de l’intensité de ces prélèvements et aussi de l’attractivité exceptionnelle des merises, fruits très nutritifs, assez faciles à récolter et suffisamment petits pour être consommés par tous les passereaux dont l’ouverture limitée du gosier ne donne pas accès aux fruits plus gros. 

Dans 70% des visites, l’oiseau a prélevé une merise et l’a emporté pour la consommer à une distance moyenne de 70m du merisier et jusqu’à presque 150m ; ce détail a une grande importance quand on compare les oiseaux aux mammifères. En effet, ils en diffèrent globalement à deux niveaux : des temps de transit intestinal courts à très courts ; des territoires bien plus petits pour la grande majorité des petits passereaux qui se trouvent encore alors en phase de reproduction. Ainsi, en consommant les merises préférentiellement à une certaine distance, cela augmente les chances que l’oiseau ne rejette des noyaux dans ses excréments à cet endroit ; s’ils restaient longtemps sur le merisier, ils auraient tendance à rejeter les noyaux dans leurs déjections juste sous l’arbre ce qui ne serait pas avantageux car les futures plantules se trouveraient soumises à la très forte compétition pour la lumière imposée par l’arbre adulte et sa couronne.   

De plus, dans les paysages d’agriculture intensive où subsistent quelques merisiers isolés, ces derniers peuvent néanmoins recevoir un taux important de visites alors que la communauté d’oiseaux nicheurs immédiatement autour d’eux est particulièrement pauvre en effectifs et en espèces comme le montrent les recensements effectués au printemps dans cette étude. Cela signifie que des oiseaux doivent, à cette période de l’année soit le plein été, élargir leur champ de déplacements tout en restant cantonnés. Ainsi, sur un des merisiers suivis situé au bord d’un grand champ de blé, sans forêt ni élément semi-naturel dans un rayon de 250m, les chercheurs ont observé neuf visites de loriots faisant la navette entre ce merisier et une rangée de peupliers (où ils nichaient) située à … 700m de là. De telles données contredisent quelque peu l’idée répandue que les oiseaux en période de reproduction ont des distances de déplacements réduites. Il se peut que cette capacité observée ici soit une forme d’adaptation à des paysages à structure très appauvrie où, pour se maintenir, il faut aller chercher des ressources intéressantes, ponctuelles, à une certaine distance du site de nid. 

Le loriot est souvent représenté avec des cerises sur les gravures anciennes

Habitats relais 

Ce merisier proche d’une forêt sera apprécié car les oiseaux pourront aller se poser en lisière pour déguster leurs merises

L’analyse des sites sur lesquels les oiseaux consomment les merises prélevées et emportées en vol montre que dans 90% des cas, les oiseaux s’envolent, la merise au bec, vers une lisière forestière ou un habitat semi-naturel (haie, bosquet, arbre isolé) alors que ces éléments ne représentent que 20% de la surface du secteur. Ainsi, les noyaux sont non seulement déposés à distance (voir ci-dessus) mais en plus plutôt dans des sites non cultivés où les chances de réussite des futurs jeunes plants issus de la germination seront bien plus élevées. Ainsi, les oiseaux frugivores assurent les échanges entre les merisiers isolés et les habitats favorables potentiellement colonisables notamment dans les paysages très transformés. Cette dispersion orientée se fait donc vers des taches d’habitats favorables mais aussi entre ces taches disséminées dans la matrice agricole le plus souvent. Mais que ceci fonctionne, il faut que dans les paysages d’agriculture intensive existent de telles taches d’habitat dans un rayon accessible aux oiseaux en période de reproduction. La situation diffère fortement de celle des arbres dont la fructification a lieu en automne, en pleine période de migration où les oiseaux se déplacent sur de grandes distances et se renouvellent sans cesse. Si un paysage est très dégradé avec un taux très faible ou nul d’éléments semi-naturels, le taux de visites baissera inéluctablement. 

Effets paysagers 

Comme pour les mammifères (voir la voie terrestre), les chercheurs ont exploré les corrélations éventuelles entre la structure des paysages dans lesquels s’inséraient ces merisiers avec l’efficacité et l’intensité de la dispersion par les oiseaux. Les recensements printaniers (en pleine période de chants et de délimitation des territoires) montrent que la communauté d’oiseaux nicheurs, composée de 17 espèces, s’appauvrit nettement quand on va vers des paysages de plus en plus simplifiés de type agriculture intensive : la disparition des éléments semi-naturels les privent de sites de reproduction et de recherche de nourriture sans oublier l’impact délétère des pesticides (voir la chronique). Pour autant, comme indiqué ci-dessus, les merisiers situés dans de telles zones réussissent à recevoir autant de visites que ceux situés dans des paysages plus hétérogènes. De ce fait, le nombre de merises emportées ne baisse quand le paysage se simplifie. 

La communauté d’oiseaux nicheurs locaux, tout comme celle qui visite les merisiers et la distance de vol avant de consommer le fruit ne dépendent guère que de la structure verticale de la végétation dans un rayon très proche (perchoirs disponibles notamment) mais très peu de la structure du paysage à grande échelle (dans un rayon de 500-2000m). Pour la communauté des visiteurs de merisiers, la richesse en espèces ni le nombre total de visites ne diminuent avec l’hétérogénéité décroissante des paysages.  Ceci corrobore le constat observé ci-dessus : même en plein cœur de monocultures très appauvries en éléments naturels où les communautés d’oiseaux nicheurs sont très réduites et peu variées, les oiseaux trouvent et visitent les arbres à fruits au cœur de ces zones dégradées. Cela en dit long sur le pouvoir attractif de ces arbres et signifie aussi qu’un seul arbre isolé doit nourrir à lui seul un grand nombre d’oiseaux locaux et aussi, on l’oublie trop, apporter une source d’eau (via le jus de fruits) à une période où souvent la chaleur rend l’accès à l’eau très difficile dans ces milieux. On retrouve des phénomènes similaires avec la pollinisation des abeilles qui augmentent leur rayon de prospection dans des paysages très appauvris en ressources florales. 

Si on combine avec ce qui a démontré à propos des mammifères terrestres (voir la voie terrestre), on aboutit à une image des merisiers placés au cœur d’un intense réseau d’interactions avec une multitude d’acteurs et des facteurs d’influence à différentes échelles spatiales. 

Les noyaux arrivés au sol peuvent être détruits par les petits rongeurs : une autre interaction !

Bibliographie 

Bird diversity and seed dispersal along a human land-use gradient: high seed removal in structurally simple farmland. Nils Breitbach et al. Oecologia (2010) 162:965–976