Le bassin méditerranéen fait partie des régions du globe très affectées par la déforestation qui a commencé il y a plusieurs millénaires avec le développement des grandes civilisations tout autour de la Méditerranée. Actuellement, il y reste en moyenne moins de 10% de terres boisées et souvent avec des peuplements dégradés. Dans les zones montagneuses, sous un climat aride en été et froid en hiver, les pentes érodées, dénudées, couvertes d’une maigre végétation buissonnante souvent clairsemée avec de vastes plaques de sol nu, prédominent dans les paysages. Les tentatives de reboisement se heurtent à de forts échecs ou à des coûts élevés si on veut recourir à des techniques plus élaborées (du style gel qui retient l’eau au niveau des racines. Une équipe espagnole (l’Espagne est particulièrement touchée par ce problème dans sa moitié sud) a travaillé sur ce sujet dans la Sierra Nevada en Andalousie en menant des expérimentations grandeur nature sur plusieurs années et en s’appuyant sur un concept développé assez récemment : la facilitation entre plantes.

La mauvaise vieille méthode !

 

Il importe de bien saisir le contexte très méditerranéen : il s’agit ici reboiser des pentes arides, dénudées, colonisées par des arbustes bas ou des touffes d’herbes coriaces (végétation du type garrigue). La technique traditionnelle consistait à raser ou brûler ou arracher tous ces buissons avec l’idée bien ancrée qu’ils constituaient une source de compétition envers les jeunes plants d’arbres. On créait ainsi des espaces ouverts où les jeunes arbres allaient trouver tout l’espace pour se développer sans concurrence. Sauf que sur de telles pentes écorchées arides, c’est oublier que l’environnement stressant, presque extrême, a toutes les chances de détruire les jeunes plants la première année de plantation soit à cause de la sécheresse estivale ou des très fortes températures qui brûlent les plants ou encore au cours de l’hiver à cause du gel ou de la neige (nous sommes en milieu montagnard malgré tout).

C’est plus facile … avec la facilitation

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Jeune sureau à grappes émergeant d’un « îlot » de genévrier dans un pâturage d’altitude : l’effet « nounou » !

Face à ce constat, l’équipe de chercheurs s’est inspirée de ce qui se passe en cas de succession secondaire (par exemple après un incendie) dans de tels milieux : après l’installation rapide de la végétation buissonnante, on voit apparaître des arbustes forestiers puis des jeunes arbres (dont les graines ou fruits sont apportés par le vent ou des animaux) qui finissent par se développer au milieu de la couverture initiale buissonnante. Les arbustes bas sous forme de touffes isolées procurent dans ce contexte stressant une protection non négligeable aux plantules d’arbres ou arbustes qui réussissent à germer. L’ombre projetée par leur feuillage protège les jeunes plants contre les radiations solaires excessives, abaisse la température du sol, conserve l’humidité du sol en limitant l’évaporation ; de plus, ces arbustes apportent des nutriments via leurs feuilles mortes et protègent du froid en hiver. C’est l’effet dit de facilitation où les jeunes plants tirent profit de ce couvert sans que cela ne nuise aux arbustes protecteurs. Nous avons déjà traité un tel exemple avec le cas des jeunes ifs protégés par les arbustes épineux que nous avions qualifié de « nounous-boucliers » car ils protègent en plus contre la dent des grands herbivores ongulés. Cet effet relève des interactions dites positives ; comme l’effet est à sens unique, on le classe dans les commensalismes (voir le dossier de présentation).

Les chercheurs espagnols ont donc mis en place plusieurs expérimentations grandeur nature pour tester cette hypothèse de l’effet facilitateur des arbustes bas déjà installés.

Les deux méthodes au banc d’essai

Dans une première expérimentation (1), ils ont planté de jeunes pins d’origine locale soit selon la technique classique (enlever la végétation présente pour planter en espaces ouverts), soit selon la nouvelle technique (les planter juste au pied des arbustes sauvages présents). Les résultats sont sans appel : au pied des arbustes supposés protecteurs, la survie et la croissance des jeunes plants est bien meilleure qu’en milieu ouvert. Et pourtant, le mode de plantation semble largement favoriser les seconds : en milieu ouvert, la tarière utilisée pour les plantations creuse des trous larges (30cm diamètre) profonds avec beaucoup de terre remuée favorable a priori au développement des jeunes racines et, en plus, on retravaille le sol pendant l’été qui suit ; pour planter au pied des arbustes sauvages, on creuse des trous limités (12cm de diamètre) avec peu de terre remuée. La majorité des jeunes plants en milieu ouvert meurent soit à cause de la sécheresse estivale, soit à cause du gel hivernal qui les soulève de leurs trous trop meubles !

Des arbustes facilitateurs

Pour tester cet effet facilitateur, des jeunes pins ont été plantés au pied de deux types d’arbustes protecteurs : des touffes basses de sauge à feuilles de lavande (très proche de la sauge officinale de nos jardins) ou bien des arbustes épineux et plus élevés (aubépine, épine-vinette ou prunier épineux locaux). La première saison qui suit la plantation est la plus critique avec 50% des pertes. Au bout de quatre ans de suivi, la survie sous l’abri des sauges est de 1,8 à 2,6 fois meilleure selon les deux espèces de pins testées (pin sylvestre et pin de Salzmann) qu’en milieu ouvert. La sauge obtient les meilleurs taux de réussite (28 à 40%) devant les buissons épineux et bien devant les plantations classiques en milieu ouvert. Pour les épineux, l’expérimentation avait différencié deux types de plantations : soit du côte nord de l’arbuste (donc plus longtemps ombragé), soit du côté sud. Or, les résultats des plantations sont meilleurs du côté nord que du côte sud ce qui confirme l’hypothèse que l’effet facilitateur se fait via la création d’un microclimat plus favorable aux jeunes plants.

Pour expliquer la meilleure facilitation fournie par les touffes de sauge, on peut invoquer leur système racinaire très peu profond et étalé en surface qui n’entre pas en concurrence avec le pivot des pins  qui s’enfonce en profondeur; le feuillage réduit et peu élevé des sauges projette une ombre suffisante pour avoir un effet facilitateur mais pas trop excessive pour gêner les jeunes plants avides de lumière (les pins sont des essences héliophiles).

Ajoutons à tous ces résultats que la croissance moyenne des jeunes plants ne se trouve nullement affectée en dépit d’une petite part, malgré tout, de concurrence inévitable ; l’effet facilitateur évite aux jeunes plants d’avoir trop souvent leur photosynthèse bloquée momentanément lors des épisodes chauds ce qui compense largement les petites pertes induites par la présence du protecteur. Tout est donc affaire de compromis.

Une méta-analyse

Voilà donc une application durable et écologique pour reboiser en milieu méditerranéen aride et très dégradé, notamment après les incendies et éviter aussi la forte érosion qui affecte ces pentes écorchées. Au moins, avec cette nouvelle technique, on n’a plus à détruire la végétation préexistante ; au contraire, on conserve celle qui existe fût-elle assez pauvre (en général il y a peu d’espèces qui s’accrochent dans ces situations extrêmes) et avec elle son cortège de faune associée et d’interactions diverses. Cependant, ne replanter que des pins, même si ce sont des essences locales, n’est guère satisfaisant écologiquement. Aussi, l’équipe de chercheurs espagnols a t’elle élargi dans une troisième étude (3), le spectre des essences forestières replantées ainsi que celui des arbustes potentiellement protecteurs en les testant sur le même type de terrain. Ils ont donc planté toute une série d’arbres et d’arbustes forestiers ou pré forestiers (aubépine monogyne, nerprun alaterne, chêne zéen, chêne tauzin, chêne vert, pin d’Alep, pin de Salzmann, érable opale) en choisissant les sous-espèces locales pour certains.

Pour tester l’effet facilitateur, ils ont planté ces essences soit en milieu ouvert (ancienne technique) soit au pied de toute une série d’arbustes pionniers sur des parcelles qui avaient été ravagées par des incendies ; ils ont varié les situations : exposition, nature du sol, altitude, … de manière à réaliser une véritable méta-analyse. Les résultats confirment une fois de plus la réalité de cet effet avec une forte mortalité pour les plantations en milieu ouvert due dans 98% des cas à la sécheresse estivale. Pour les jeunes plants installés au pied d’arbustes pionniers, dans 75% des cas, l’effet est bénéfique avec une amélioration de la croissance et de la survie dès la première année ; seulement 20% de ces plants ont eu à souffrir de cette situation.

Des effets différenciés

Du côté des arbustes « protecteurs », dans la longue liste testée, il ressort que les espèces de la famille des légumineuses (ajonc à petites fleurs, adénocarpe et genêts locaux) ont un effet très positif car ils fixent l’azote de l’air via les nodosités de leurs racines (un autre mutualisme !) et améliorent la richesse en nutriments du sol. Les arbustes épineux ont un effet moins marqué mais par contre, les cistes (ciste blanchâtre, ciste de Montpellier) montrent un effet nettement négatif sur les jeunes plants ; on sait que leur feuillage contient des huiles essentielles toxiques qui se retrouvent dans la litière de feuilles mortes et ont des effets inhibiteurs sur les autres végétaux ligneux (allélopathie : une interaction antagoniste).

Du côté des essences plantées, l’effet positif s’avère le plus fort chez les arbustes pré-forestiers comme les aubépines et les nerpruns ; ensuite viennent les arbres feuillus comme les chênes et les érables. Ceci conduit donc à suggérer une amélioration de la méthode de plantation en vue d’une reforestation écologique : planter d’abord de tels arbustes (qui naturellement s’installeraient en fin de succession) puis dans un second temps planter des arbres variés ; on accélère ainsi le processus de succession tout en garantissant un succès maximal et en réduisant les coûts.

Parmi les autres enseignements de cette étude figurent les conditions climatiques : l’effet facilitateur est plus fort à basse altitude et sur les pentes sud ce qui s’explique par la faiblesse des précipitations et la chaleur estivale plus importante. Ceci confirme aussi une tendance générale connue en écologie : l’effet facilitateur des plantes « nounous » semble plus marqué dans les situations de stress et en milieu extrême. D’autre part, l’étude s’étant étalée sur trois ans, il a été constaté que lors des deux années sèches l’effet a été bien plus marqué que lors de l’année humide.

Vers une reforestation écologique

Voilà donc un très bel exemple d’écologie appliquée dans le domaine du développement durable qui ouvre des perspectives de reforestation dans ces milieux très difficiles. On notera qu’en plus, dans le cadre du changement climatique en cours, le recours à cette nouvelle méthode sera d’autant plus précieux car les problèmes vont être exacerbés par la multiplication des sécheresses estivales et des fortes températures.

D’un point de vue strictement scientifique, cet exemple illustre la puissance des interactions positives (longtemps laissées de côté) dans l’évolution des milieux. On peut dire que ces arbustes pionniers, via l’effet de protection qu’ils procurent aux jeunes plants d’arbres et arbustes forestiers, peuvent être considérés comme des espèces fondatrices ou ingénieurs de l’écosystème : ils sont capables indirectement de modifier les communautés végétales en termes de composition, de structure et de succession dans le temps.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Use of shrubs as nurse plants: a new technique for reforestation in Mediterranean mountains. Restoration Ecology, 10, 297–305. Castro, J., Zamora, R., Hodar, J.A.& Gomez, J.M.(2002)
  2. Benefits of using shrubs as nurse plants for reforestation in Mediterranean mountains: a 4-year study. Restoration Ecology, 12, 352–358. Castro, J., Zamora, R., Hodar, J.A., Gomez, J.M. & Gomez-Aparicio, L. (2004)
  3. APPLYING PLANT FACILITATION TO FOREST RESTORATION: A META-ANALYSIS OF THE USE OF SHRUBS AS NURSE PLANTS. Lorena Gómez-Aparicio ; 


Regino Zamora ; 

Jose M. Gómez ; 


Jose A. Hódar ; 

Jorge Castro ; 


Elena Baraza. Ecological applications. Vol. 14, p.1128–1138 ; 2004