Falcaria vulgaris

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La falcaire commune est une ombellifère assez commune en France ; elle reste méconnue du grand public et souvent négligée par le monde de la conservation de l’environnement car elle fréquente des milieux plutôt perturbés par les activités humaines. Elle tend à décliner en diverses régions et pourtant, paradoxe fréquent dans le monde végétal, outre-Atlantique, elle est en train de devenir une invasive notoire dans les Grandes plaines du Midwest américain après y avoir été introduite dans les années 1920. Elle y fait l’objet d’études approfondies car l’invasion ne fait que commencer et concerne notamment les rares restes de l’ancienne Grande Prairie que l’on tente de maintenir ou de restaurer. Ce sera donc l’occasion d’une part de découvrir un peu cette presque inconnue et de mieux comprendre comment une même espèce peut se comporter de manière aussi différente selon son contexte environnemental.

La faucillaire

Au sein des Ombellifères ou Apiacées, le genre Falcaria n’est représenté que par cette seule espèce. Il se démarque nettement des autres genres par la structure très particulière des feuilles, une signature qui la rend facilement identifiable même au stade végétatif. Chaque feuille de divise une à deux fois en trois parties à chaque fois, donnant des lobes allongés, recourbés en faucille aux extrémités et bordés de petites dents pointues, un peu dures (cartilagineuses)et très serrées. Cette architecture n’a pas d’équivalent dans notre flore ! La forme courbée des lobes lui vaut donc ce nom de falcaire dérivé de falca pour faux avec la version populaire de faucillaire, équivalente au nom anglo-saxon de sickleweed (herbe à la faucille).

Le feuillage présente par ailleurs une teinte bleutée (glauque) cireuse typique. La plante élabore en été de grosses touffes rondes formant souvent des massifs étalés ne dépassant pas un mètre de haut. La floraison qui a lieu de juillet à l’entrée de l’automne voit apparaître une foule d’ombelles peu fournies, d’aspect très vaporeux et élégant avec des fleurs blanches très petites. La falcaire fait alors irrésistiblement penser à une gypsophile bien qu’il n’y ait aucune parenté entre elles (cette dernière est une Caryophyllacée).

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Ombelle peu fournie de falcaire

En fin d’été, les ombelles fructifiées portent des centaines de fruits très petits (3 à 5mm de long), allongés et ornés de cinq côtes fines arrondies.

Des talus à la Grande Prairie

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La falcaire affectionne les talus eta accotements des bords de routes bien exposés comme ici en Limagne auvergnate (63)

L’aire originelle de cette espèce court depuis l’Europe occidentale méridionale, inclut le Bassin Méditerranéen et l’Europe centrale, s’étend vers le Caucase et l’Asie Mineure jusqu’en Iran et en ex URSS occidentale. Elle recherche les sites plutôt chauds, bien exposés et tolère assez bien la sécheresse. Elle préfère nettement les terrains calcaires ou argilo-calcaires enrichis en nutriments. En France, on la trouve dispersée entre le Nord-Est, le Centre, l’Auvergne et le Midi au sens large (1). Elle peuple, souvent en colonies fournies, les milieux perturbés : talus des routes ; bords des chemins et des champs de céréales jusque dans les friches urbaines ou les talus ferroviaires. Elle était autrefois largement présente en bordure des cultures mais avec l’avènement de l’agriculture intensive et des pesticides, elle s’est désormais repliée vers les friches où elle est aussi menacée par l’uniformisation et l’entretien effréné de tout ce qui ressemble à un bout de nature sauvage !

Aux U.S.A., là où elle a commencé à devenir invasive, notamment dans la grande Prairie restaurée de Fort Pierre (Sud Dakota) qui couvre près de 47 000 hectares (2), on retrouve en sa compagnie une bonne partie des plantes qui l’accompagnent chez nous dans ses milieux et qui ont été elles aussi introduites : liseron des champs ; adonis ; caucalis ; chiendent rampant ; … Ceci laisse à penser que par son écologie d’origine, la falcaire était en quelque sorte préadaptée à l’environnement des Grandes Plaines. En France, elle prospère encore par exemple dans la Grande Limagne auvergnate autour de Clermont-Ferrand, au climat continental steppique (chaud en été et froid en hiver).

Attention : ce n’est pas parce que la falcaire est invasive aux USA qu’il faut la combattre en France où elle est indigène !! Localement, effectivement, elle tend à prospérer sans doute favorisée par l’enrichissement des bordures de champs par les engrais.

Atouts de conquérante

Etre introduite ailleurs est une chose, y réussir et devenir invasive en est une autre et suppose que l’espèce dispose d’atouts lui permettant de s’installer durablement et de prospérer en terre inconnue. La falcaire produit un grand nombre d’ombelles couvertes de fruits : une touffe peut ainsi en libérer près d’un millier. Mais son principal atout semble bien être ce que les écologistes appellent la plasticité phénotypique. Selon les circonstances, elle peut se comporter comme une annuelle fleurissant puis mourant, ou comme une bisannuelle qui étoffe la première année sa souche à partir d’une rosette de feuilles ; mais, surtout, elle peut devenir vivace là où la compétition lui permet grâce à sa longue racine pivotante charnue et qui s’enfonce sur plus d’un demi-mètre de profondeur. Celle-ci porte de nombreux bourgeons adventifs dormants qui au bout de la seconde année commencent à émettre de nouvelles tiges (drageons), conduisant à la formation de massifs arrondis étalés. Si la racine vient à être coupée en surface (rongée par exemple), elle repart d’autant. Aux U.S.A., elle semble ainsi favorisée par les « gophers » ces gros rongeurs fouisseurs au look de marmotte : ils découpent des morceaux de racine qu’ils emportent dans leurs terriers : une partie de ceux-ci réussissent à repartir sous terre et à redonner de nouvelles touffes ! Cette capacité de multiplication végétative qui ne s’exprime que modérément chez nous semble devenir prépondérante sur ces nouvelles terres dans un contexte différent de compétition.

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La falcaire tend à former des colonies étalées très voyantes en été

Traverser l’Atlantique

Evidemment, le passage outre-Atlantique est du fait de l’Homme. La première mention vient de Pennsylvanie en 1923 mais selon le fermier sur les terres duquel elle apparut, elle y était depuis au moins cinq ans. Deux hypothèses existent quant à l’origine de cette importation. Comme les premières observations qui suivirent concernaient presque toutes des terres cultivées, on peut penser qu’elle ait été introduite à partir de graines qui « contaminaient » des semences de cultures venues d’Europe. Mais une autre hypothèse peut être plus plausible a été émise dès 1942 à partir d’une population florissante dans le Missouri non loin d’une communauté humaine comptant de nombreux émigrés Allemands ; or, en Europe centrale, la falcaire est réputée et cultivée dans les jardins comme médicinale pour traiter des problèmes de peau, de reins, d’estomac ou de foie. On consomme aussi (plutôt en Europe du sud) les jeunes pousses comme légume au goût épicé. Il est donc possible qu’elle ait été apportée par des émigrés nostalgiques de leur contrée d’origine.

Des études d’après herbiers (3) indiquent qu’il y aurait eu deux centres d’introduction indépendants : un dans l’est où l’espèce s’est ensuite peu étendue et dans les grandes plaines où elle a commencé à se propager.

A l’assaut des plaines

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En pleine floraison, elle prend vraiment un aspect de gypsophile très élégant !

Une fois sur place, comment s’est elle propagée ? Ses fruits ne possèdent pas de dispositifs de type ailes (comme ceux des grandes berces par exemple) permettant la dispersion par le vent, ni de crochets (comme ceux des carottes sauvages) facilitant un transport à la surface des animaux (voir la chronique : la dispersion sur les animaux). Sa présence fréquente le long des routes pointe l’hypothèse des corridors : les graines tombant sur la route se collent avec de la terre sur les roues des véhicules et peuvent ainsi voyager à grande distance. Les plantes qui croissent dans des sites herbeux peuvent être récoltées lors de la fauche et leurs graines se retrouvent dans le foin qui peut ensuite être exporté assez loin selon les besoins.

Mais la belle falcaire dispose d’un atout original : à maturité, les touffes fructifiées sèchent sur pied ; les tiges pleines et dures (caractère rare chez les ombellifères) persistent avec les ombelles chargées de fruits et se cassent aux nœuds : elles deviennent ainsi des virevoltants ou tumbleweeds qui peuvent rouler au loin poussées par les coups de vent (voir la chronique sur ce mode de dispersion). Or, les grands espaces ouverts sans obstacles arborés des plaines américaines constituent un terrain idéal pour une telle dispersion au long cours !

Evolution sur place

Une étude génétique (4) à partir de plantes prélevées sur l’ensemble de la zone conquise aux U.S.A. apporte un éclairage intéressant sur ce qui se passe sur place. L’étude confirme qu’il y a du y avoir plusieurs introductions indépendantes (au moins six) à partir desquelles les falcaires se sont répandues aux alentours. Cette diversité constitue un facteur très favorisant car chaque nouvelle introduction apporte du « sang neuf » et évite la consanguinité originelle s’il n’y avait eu qu’une seule introduction.

L’étude révèle un autre fait inattendu : l’apparition d’individus qui ont doublé leur nombre de chromosomes (polyploïdie) ; ces évènements ont ils eu lieu une fois sur place ou résultent ils d’une des introductions ? Ce processus n’est pas a priori connu chez les falcaires en Europe et il se pourrait que ce soit un moyen d’échapper justement aux conséquences de la consanguinité. En tout cas, on sait que souvent ces nouveaux individus polyploïdes présentent des caractères de croissance accrus et de nouvelles capacités d’adaptation ; comme la plante peut former végétativement des colonies (voir ci-dessus), ces « nouvelles » falcaires vont prospérer et produire une base pour des conquérantes dopées en quelque sorte ! A suivre ! Cela montre en tout cas que la sélection naturelle génère sans cesse de nouvelles possibilités dans des contextes de contraintes différentes : l’évolution ne s’arrête jamais !

Un certain goût pour la perturbation

Dans sa patrie originelle, nous avons vu que la falcaire recherchait les sites perturbés. Cette propension lui apporte un net avantage sur ces nouvelles terres copieusement transformées par l’agriculture. Mais comment fait elle pour s’infiltrer même dans les milieux « naturels » comme les zones de Grande Prairie restaurées. Une étude sur le site de Fort Pierre (2) pointe quatre types de micro-perturbations susceptibles de favoriser son installation en créant des micro-vides dans la végétation herbacée : la pratique des feux contrôlés (pour reconstituer les conditions originelles avec des feux naturels fréquents) ; la pâturage local par du bétail ; les rongeurs et leurs terriers. Le feu notamment détruit une partie de la litière de feuilles et tiges mortes qui s’accumule au sol ; or, celle ci intercepte une partie des graines et les empêchent de toucher le sol et de germer (voir la chronique sur la primevère officinale) et bloque la croissance des plantules en les privant de lumière. La falcaire profite donc de ces micro-vides avec du sol nu pour germer et développer ses plantules : une fois installées, même si la végétation se redensifie, elles développent leur forte racine et s ‘installent durablement.

Au final, on voit que c’est la combinaison subtile de diverses particularités écologiques et biologiques de cette espèce qui lui permettent de devenir invasive. Mais bien malin qui aurait pu prédire par avance qu’elle aurait ce succès alors que des centaines d’autres espèces introduites ne font pas souche !

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BIBLIOGRAPHIE

  1. Flora Gallica. Flore de France. J-M.Tison et B. de Foucault. Ed. Biotope. 2014.
  2. Sickleweed on the Fort Pierre National Grassland: an Emerging Threat. JACK L. BUTLER and STEFANIE D. WACKER. The Prairie Naturalist 45:28–38; 2013
  3. Biology and ecology of sickleweed (Fal- caria vulgaris) in the Fort Pierre National Grassland of South Dakota. Korman BL. Biology and microbiology. South Dakota State University, Brookings, South Dakota, p 78 (2011)
  4. INFERRING INTRODUCTION HISTORY AND SPREAD OF FALCARIA VULGARIS BERNH. (APIACEAE) IN THE UNITED STATES BASED ON HERBARIUM RECORDS. Sarbottam Piya. Proceedings of the South Dakota Academy of Science,Vol. 91 (2012)
  5. Genetic diversity and population structure of sickleweed (Falcaria vulgaris; Apiaceae) in the upper Midwest USA. Sarbottam Piya • Madhav P. Nepal •
Jack L. Butler • Gary E. Larson • Achal Neupane. Biological invasions 2014

A retrouver dans nos ouvrages

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