Ficaria verna

La ficaire est cultivée comme ornementale depuis au moins le 19ème siècle aux U.S.A., importée par les colons européens ; dès 1867, on notait sa naturalisation ponctuelle. A partir des années 1980, elle a entamé une progression spectaculaire à partir du centre et de l’ouest vers le sud du pays. Depuis les années 2000, la ficaire a acquis le statut d’espèce indésirable à éradiquer dans de nombreux états où elle tend à former des tapis exclusifs recouvrant des sous-bois entiers dans les forêts alluviales ; on lui reproche de concurrencer , voire d’éliminer, la flore indigène de ces milieux forestiers.

Cependant, comme c’est souvent le cas pour les plantes catégorisées comme invasives, la condamnation ne repose sur pratiquement aucune preuve scientifique. Devant ce constat, deux chercheuses américaines ont étudié l’effet réel de la ficaire sur des plantes indigènes (1).

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En France, la ficaire, espèce indigène, forme souvent des tapis en bordure des ruisseaux mais ne se comporte pas comme une espèce invasive.

Le protocole expérimental

L’espèce cible retenue dans cette étude est une plante annuelle indigène, à germination printanière, et qui habite les mêmes sous-bois humides : la balsamine du Cap (Impatiens capensis). Elle se caractérise par un cycle court : germination/croissance/floraison puis disparition totale après libération des graines en quelques mois au plus : on parle de plante éphémère. Ironie de l’histoire, cette même espèce est elle-même qualifiée d’invasive en Europe !

Les auteurs de l’étude ont donc mené des cultures expérimentales en croisant plusieurs facteurs : semis et culture de balsamine en présence ou absence de ficaire ; ajout ou pas de nutriments (engrais à diffusion lente ajouté) pour tester l’hypothèse d’une compétition pour les ressources minérales du sol ; ajout ou pas de charbon actif (charbon de bois activé) qui a la propriété de fixer les substances chimiques. L’emploi de ce dernier élément, curieux a priori, vient d’études antérieures où on a constaté que son ajout atténuait nettement l’impact de certaines plantes invasives en captant des substances émises par les racines des plantes et qui influencent négativement les autres espèces : on parle d’allélopathie.

Les effets de la présence des ficaires

L’analyse des résultats montre un effet net de la présence de la ficaire sur la balsamine du Cap au niveau de la durée du cycle de celle-ci : les balsamines cultivées en présence de la ficaire meurent en moyenne 10 jours plus tôt qu’en son absence.

L’étude du nombre de graines produites (et donc indirectement de la capacité de l’espèce annuelle à se maintenir à moyen terme) apporte des enseignements plus précis. Si on ajoute des nutriments au sol de culture, que ce soit avec ou sans la ficaire, la balsamine produit trois fois plus de graines. Ceci montre qu’apparemment, il n’y a pas de compétition pour les ressources minérales du sol entre les deux espèces car sinon en l’absence de ficaire la balsamine devrait produire plus de graines encore. Cependant, cela n’exclut pas d’autres formes possibles de compétition indirecte : par le prélèvement d’eau dans le sol ? par la compétition pour la lumière au moment de la germination de la balsamine sous les tapis de feuilles de ficaires ?

L’effet du charbon actif est encore plus explicite : en l’absence de charbon ajouté, la production de graines de la balsamine baisse de 50% en présence de ficaires ; si on ajoute du charbon, la production de graines ne change pratiquement pas qu’il y ait des ficaires ou pas.

Le charbon et l’hypothèse de l’allélopathie

L’effet « charbon ajouté » avait déjà été noté par exemple avec la centaurée maculée (Centaurea maculosa), autre plante européenne très invasive aux U.S.A. et on avait alors montré le lien avec des secrétions racinaires de substances toxiques pour les autres espèces. Le charbon actif fixerait ces substances et atténue ainsi les effets délétères de ces substances. Cependant, le charbon ajouté pourrait avoir d’autres effets : il pourrait modifier le sol en apportant des éléments nutritifs mais on a vu que cette possibilité était en partie écartée ; il pourrait aussi affecter l’absorption par les racines en agissant sur les relations mutualistes avec certains microorganismes.

On sait que la ficaire contient de nombreux composés secondaires actifs qui en font une plante médicinale réputée et surtout avérée depuis longtemps et que, en laboratoire, elle a des effets directs sur la germination de certaines espèces de plantes mais cela n’a pas encore été vérifié en conditions naturelles. Tout ceci conduit donc à conforter l’hypothèse de l’allélopathie qui en ferait une plante invasive hors de son aire d’origine selon la théorie de la « nouvelle arme chimique » évoquée à propos de l’alliaire , les espèces locales n’étant pas armées pour résister à la libération de ces substances dans le sol (alors qu’en Europe, un équilibre a du se mettre en place au cours du temps par coévolution avec la flore locale et qui fait de la ficaire une plante normalement intégrée dans les milieux forestiers sans être invasive). D’ailleurs, des tests ont été menés pour utiliser l’apport de charbon de bois dans le sol comme moyen de freiner l’expansion de certaines espèces invasives.

L’étude menée montre un autre aspect intéressant : l’effet négatif de la ficaire se prolonge bien au-delà de sa présence « externe » : rappelons que la ficaire, plante vivace par son appareil souterrain, présente par contre un cycle court pour ses parties aériennes (feuilles, tiges et fleurs) qui fanent et disparaissent avant la fin du printemps. Or, de ce fait, les deux tiers du cycle de la balsamine testée ici se passent en l’absence « externe » de la ficaire. On avait déjà noté par ailleurs que même après éradication locale de tapis de ficaires, la flore locale ne revenait que très lentement et que l’impact négatif ne concernait pas que les plantes éphémères printanières mais aussi les vivaces. Pour expliquer cet effet rémanent, on peut invoquer soit la persistance des substances chimiques libérées par les ficaires pendant la période végétative, soit des modifications induites du sol ou que dans le cas de la balsamine au moins, c’est la phase de germination qui soit surtout affectée et diminuerait la longévité relative de l’espèce.

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La ficaire possède des tubercules souterrains qui la rendent vivace même si les feuilles disparaissent dès le milieu du printemps.

Avant de crier haro sur le baudet ….

Cette étude, outre, ses enseignements intéressants, amène à reconsidérer l’attitude générale des milieux naturalistes de la conservation vis-à-vis des plantes dites invasives. Presque systématiquement, on accuse une espèce introduite en expansion d’être nuisible et donc classée invasive et indésirable avant d’avoir entrepris la moindre étude scientifique. Le cas de la ficaire classée dangereuse depuis 2000 aux U.S.A. illustre bien ce fait : aucune étude avant celle-ci (2011) n’avait étudié l’impact réel de la ficaire ; certes, visuellement, on voit bien que des tapis exclusifs en sous-bois « doivent » être négatifs pour la biodiversité mais cela ne suffit pas. Les auteurs de l’étude ajoutent avec bon sens que même leurs résultats ne doivent pas conduire à exagérer l’impact de la ficaire outre mesure : des études complémentaires sont à entreprendre. De plus, rien ne dit que dans le cadre du changement global (climat mais aussi eutrophisation généralisée), la présence de la ficaire soit forcément négative ou tout au moins entièrement négative ?

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Touffe fleurie de ficaire.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Guilty in the Court of Public Opinion: Testing Presumptive Impacts and Allelopathic Potential of Ranunculus ficaria. KENDRA A. CIPOLLINI AND KELLY D. SCHRADIN. Am. Midl. Nat. (2011) 166:63–74

A retrouver dans nos ouvrages

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