Aquilegia

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Depuis longtemps, les ancolies figurent parmi les fleurs ornementales les plus populaires et étaient un des éléments de base des « jardins de curé ». Il s’agissait le plus souvent des innombrables cultivars de l’espèce sauvage indigène, quoique souvent hybridés avec d’autres espèces. Plus récemment, avec la « mondialisation » de la pratique horticole, on a vu apparaître d’autres espèces nord-américaines et leurs hybrides ou cultivars ; ainsi, le grand public découvre la grande diversité des formes et couleurs dans ce genre pourtant très homogène dans l’apparence de ses fleurs où l’on compte au moins 70 espèces. Pour mieux appréhender cette subtile diversité, nous allons dans cette chronique explorer la fleur d’ancolie, sa structure et son fonctionnement notamment par rapport à la pollinisation. L’ancolie vulgaire (Aquilegia vulgaris) nous servira de fil conducteur et iconographique mais nous élargirons régulièrement aux autres espèces pour mieux cerner la diversification qui s’est opérée au sein de ce genre très étudié par les biologistes.

Régulière et irrégulière à la fois

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De loin, la fleur d’ancolie a toutes les apparences d’une fleur dite régulière au sens botanique (actinomorphe) avec cinq grandes parties identiques disposées de manière rayonnante. Mais dès lors qu’on s’approche et encore plus si on commence à « l’effeuiller », alors on réalise qu’elle est bien complexe qu’il n’y paraît et on a un peu de mal à s’y retrouver !

Partons donc de l’extérieur, depuis le pédoncule recourbé qui porte la fleur penchée. On trouve d’abord cinq pièces colorées étalées, arrondies avec une pointe émoussée : ce sont les sépales (le calice) qualifiés de pétaloïdes du fait de leur consistance ; ils respectent bien la symétrie rayonnante. Viennent ensuite les cinq pièces qui font toute l’originalité des fleurs d’ancolie : un tube creux dressé vertical terminé en crochet et prolongé vers le bas (entre les sépales) par une partie arrondie ; ce sont les pétales prolongés par un appendice en tube qui sécrète et emmagasine du nectar, un éperon nectarifère. Pris séparément, chacun de ces pétales a une structure dissymétrique du fait de la présence de cet éperon d’un côté (symétrie bilatérale) : ainsi, la fleur d’ancolie peut être qualifiée d’irrégulière au sens botanique (zygomorphe). Si on renverse la fleur et qu’on la regarde par dessus (ce que voit en fait un insecte qui se pose dessous !), on note tout de suite les cinq « trous » qui correspondent aux cinq éperons et à leur ouverture. On peut dire que la fleur d’ancolie est une « fleur-revolver » avec son barillet à cinq trous !

Viennent ensuite les nombreuses étamines (entre 40 et 60) disposées par bouquets de 5, un peu longues que la partie étalée des pétales et qui enserrent les cinq pistils. Les plus internes, celles qui se trouvent juste autour de la base des pistils, les futurs fruits, sont stériles et transformées en staminodes membraneuses, une autre innovation de la fleur d’ancolie. Pour les voir, il faut vraiment éplucher la fleur.

Enfin, tout au centre, on trouve les cinq pistils libres mais accolés entre eux en forme de poche allongée et prolongée chacune par un style terminé par l’organe capteur du pollen, le stigmate. Ces cinq pistils deviendront les fruits secs qui s’ouvrent par une seule fente (follicules) et contiennent de nombreuses petites graines d’un noir brillant intense.

 

Variations sur un thème

Toutes les espèces d’ancolies respectent ce plan floral général et sont de ce fait facilement identifiables en tant que genre. Çà devient beaucoup plus difficile pour différencier entre elles les 65-70 espèces très proches qui représentent ce genre. Les différences portent sur : la forme, la couleur, l’orientation et la longueur de l’éperon avec un rapport de 1 à 16 entre le plus petit éperon et le plus grand ; les couleurs des pièces florales souvent vives et bicolores ; la sortie plus ou moins grande des styles et stigmates par rapport aux étamines : ils peuvent largement dépasser ou au contraire être au même niveau (comme chez l’ancolie vulgaire) ; la taille de la fleur elle-même, la plupart tournant autour de 4 à 5cm de diamètre.

Toutes les espèces connues proviennent des zones tempérées de l’hémisphère nord avec une nette prédominance dans les milieux montagnards : 22 espèces en Amérique du nord ; 23 espèces en Asie et 21 en Europe. La gamme des milieux fréquentés est elle aussi remarquable (prairies de montagnes ; affleurements rocheux ; forêts tempérées ; sources en pleins déserts, ..) du niveau de la mer aux pentes de l’Himalaya, des Rocheuses ou des Alpes. La France en compte pas moins de dix espèces sauvages (2) ! Parmi celles ci, plusieurs sont très localisées sur des aires restreintes (endémiques) comme l’ancolie visqueuse (A. viscosa) des Causses ou l’ancolie de Bernard (A. bernardii) corse ; d’autres sont endémiques sur des aires plus grandes comme l’ancolie noir violet (A. atrata) alpine ou l’ancolie hirsute (A. hirsutissima) catalano-languedocienne. A l’opposé, d’autres espèces comme l’ancolie vulgaire ou l’ancolie du Canada ont de vastes aires de répartition à l’échelle continentale.

Tout ceci témoigne d’un foret dynamisme au sein de ce genre ce qui n’a pas échappé aux biologistes qui en ont fait des plantes modèles pour comprendre les mécanismes de diversification au sein d’un groupe : cet aspect passionnant fera l’objet d’une autre chronique.

Floraison bien ordonnée

Une étude détaillée (1) conduite dans un jardin botanique en Pologne sur des ancolies vulgaires fournit des informations intéressantes sur la chronologie de la floraison et ses étapes. Chaque fleur dure entre 4 et 5 jours entre son éclosion depuis un bouton floral et sa fanaison. Jusqu’au début du troisième jour, la fleur est « mâle », i.e. que seules les étamines murissent et libèrent du pollen alors que les organes femelles (les pistils) ne mûrissent qu’ensuite ; cela signifie que jusqu’au troisième jour, les stigmates récepteurs du pollen mâle ne sont pas fonctionnels. On parle de fleur protandre (d’abord mâle), un dispositif temporel qui empêche ou réduit au moins les possibilités d’autopollinisation (ovules des pistils fécondés par des grains de pollen issus de la même fleur).

La libération du pollen par ouverture des anthères des étamines (les loges à pollen) commence dès l’ouverture de la fleur vers 6H du matin, donc très tôt ; ensuite, durant toute la matinée, les anthères s’ouvrent les unes après les autres. La maturation des anthères progresse depuis celles les plus au centre, donc les plus proches des stigmates encore non fonctionnels, vers les plus externes qui vont s’ouvrir à partir du troisième jour. Cette progression limite encore plus la probabilité de rencontre entre le pollen et les stigmates d’une même fleur. Pour cent anthères, la production de pollen s’élève en moyenne à 6,7mg mais ce chiffre varie selon les fleurs et d’une année à l’autre.

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Les étamines centrales ont leurs anthères ouvertes (foncées) alors que celles de la périphérie sont encore jaunes et non ouvertes

Au delà du 3ème jour, les stigmates deviennent donc capables de capter du pollen tandis que les étamines de la même fleur se sont pratiquement toutes vidées : la fleur a plus de chance d’être fécondée par du pollen extérieur. Ceci explique que, dans la nature, les ancolies s’hybrident relativement peu entre elles alors qu’en jardin, l’hybridation s’avère très facile manuellement !

Eperons et nectar

Le nectar riche en sucrose (pour l’ancolie vulgaire) est sécrété à l’extrême pointe de l’éperon dressé et s’y accumule ; cependant, pour chaque fleur, il semble que sur les cinq éperons, il y en ait toujours un ou deux sans nectar. L’éperon évolue pendant les cinq jours de la floraison : de 11mm de longueur en moyenne à l’éclosion, il s’allonge jusqu’à 17mm à la fin. La quantité de nectar change elle aussi durant ce laps de temps : elle atteint son maximum vers le troisième jour alors que ¾ des anthères sont ouvertes et ont libéré leur pollen : le pic de production semble donc coïncider avec le début de la phase femelle. L’attraction plus forte des visiteurs (bien plus attirés par le nectar que par le pollen dans leur ensemble) à ce moment là renforce les chances d’une pollinisation croisée, i.e. le dépôt de pollen extérieur sur les stigmates maintenant mûrs et réceptifs. Vers la fin de la floraison, la quantité de nectar diminue fortement. Ceci nous amène directement à envisager les pollinisateurs et leurs visites.

Au tricheur !

Chez l’ancolie vulgaire, les visiteurs les plus fréquents restent les bourdons avec aussi des abeilles domestiques et quelques abeilles solitaires ; de manière anecdotique, on peut aussi observer des syrphes (mouches) ou des guêpes. Ce ne sont pas n’importe quelles espèces de bourdons qui butinent les ancolies : selon les régions, la nature des espèces varie (il existe plusieurs dizaines d’espèces de bourdons) mais ce sont toujours des espèces avec une longue langue. En effet, pour atteindre le nectar, il faut disposer d’un organe de collecte suffisamment long pour que, même en introduisant la tête à l’entrée de l’éperon, il puisse atteindre le fond de l’éperon où se trouve la réserve de nectar. L’activité des bourdons commence dès l’ouverture des fleurs tôt le matin et jusque vers midi : 70% des visites de ces insectes sont concentrées sur la tranche matinale ; le revêtement pileux dense et le métabolisme des bourdons leur permet d’être actifs tôt alors que les températures ambiantes peuvent être encore un peu basses, même en été.

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Bourdon (avec sa pelote de pollen) en train de prélever le nectar directement sur l’éperon percé

Cependant, au moins dans les jardins, on observe souvent un curieux manège des bourdons (et des abeilles qui leur emboîtent le pas) : ils percent avec leur langue forte les éperons vers le crochet terminal, en se posant sur le dos de la fleur penchée, ce qui leur permet d’accéder plus vite et avec moins d’efforts au nectar. Leur passage en force reste bien visible sous la forme d’une perforation ; on parle de tricherie de la part des bourdons dans la mesure où, ce faisant, ils prennent le nectar mais sans aucunement participer à la reproduction de la fleur puisqu’ils l’abordent en dehors de la zone des organes reproducteurs (étamines et pistils). Ces effractions peuvent paraître anecdotiques mais leur fréquence peut fortement influencer la reproduction de l’espèce et joue en tout cas un rôle dans l’évolution de l’interaction fleur/pollinisateurs.

Qu’en est-il pour les autres espèces d’ancolies ? Là encore, on constate une forte diversité au niveau des pollinisateurs principaux qui, selon les espèces (et les pays aussi) peuvent être, outre les bourdons déjà mentionnés : des syrphes (mouches à trompe courte) ; des sphinx, papillons nocturnes à très longue trompe ou enfin des colibris (uniquement en Amérique du nord évidemment). Ces relations privilégiées avec tel ou tel ont façonné l’évolution au sein du genre et expliquent une bonne part de la diversification constatée auparavant.

Pigeons, aigles et femmes !

L‘aspect inhabituel et hautement esthétique de cette fleur a évidemment suscité dans l’imaginaire populaire une foule de lectures et de symbolismes qui se traduisent dans les noms populaires et scientifiques. On en retrouve la trace comme ornementale dès le Moyen-âge avec une gravure où elle apparaît qui remonte à 1410. A partir des années 1800, l’apport des ancolies nord-américaines (dont certaines avec de longs éperons) va conduire à des hybridations et à une popularité croissante des ancolies ; ce n’est qu’à partir de 1900 que la mode va passer avant de repartir au cours des dernières décennies.

La structure si particulière de la fleur a suscité plusieurs types de noms populaires. En anglais, elle est columbine, repris sous la forme colombine en français car les cinq pétales et leurs éperons font penser à un cercle de cinq pigeons ou colombes regardant vers le centre de la fleur ; on retrouve cette image dans un vieux nom saxon de culverwortwort désigne une plante et culver dérive de culfre pour pigeon ; on le retrouve aussi dans le nom aragonais de palometas !

L’autre oiseau qui revient par ailleurs, c’est l’aigle, Aquila en latin. D’aucuns prétendent que le nom latin Aquilegia dérive de Aquila car les éperons feraient penser à des serres d’aigle ; mais pour d’autres il s’agirait d’une altération à partir de la racine aqua pour eau : aquilegius signifierait alors « qui recueille l’eau » ; le seul hic c’est que les fleurs sont penchées et seul le nectar épais reste au fond des éperons ? Une autre version passe par alleluja, la fleur de la Sainte-Trinité qui aurait donné acoleia ? En tout cas, cette filière a donné en dérivation des formes telles que aiglantine, aglantine, galantine, aquiline

Dans l’esprit populaire, on lui attribuait une connotation sexuelle un peu débridée avec l’idée de séduction, d’amour secret. En Berry, on la surnomme la malcoiffée à cause de l’aspect échevelé mais avec cette arrière-pensée de « fille de mauvaise vie » ! Ceci explique en partie qu’on l’ait aussi beaucoup associée aux femmes à travers divers vêtements : bonnet de grand-mère (Granny’s nightcap) ; sabot de femme (Lady’s slipper) ; gants de bergère (comme la digitale d’ailleurs) ; manteau royal ; etc.. L’image de la cloche revient aussi à cause de la position de la fleur sur son pédoncule : clochette ; cloche de Marie.

J’espère que tout ceci vous donnera envie de semer des ancolies dans votre jardin ; ce sont des fleurs rustiques, élégantes qui se ressèment très facilement et sauront attirer les bourdons dans votre jardin.

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Vive les ancolies au jardin !

BIBLIOGRAPHIE

  1. FLOWERING, NECTAR SECRETION, POLLEN SHED
AND INSECT FORAGING ON Aquilegia vulgaris L. (Ranunculaceae). Bożena Denisow, Sebastian Antoń. ACTA AGROBOTANICA Vol. 65 (1): 37-44 2012
  2.  FLORA GALLICA. J.M. Tison ; B.  De Foucault. Société Botanique de France. Biotope Ed. 2014

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les ancolies cultivées
Page(s) : 580-582 Guide des Fleurs du Jardin
Retrouvez l'ancolie sauvage
Page(s) : 504 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages
Retrouvez l'ancolie sauvage
Page(s) : 98-99 Guide des Fleurs des Fôrets