Dès 1898, K. Miyake, dans un article consacré à la floraison du lotus sacré, signalait un net dégagement de chaleur qui faisait monter la température de la fleur de plus de 10°C au-dessus de la température ambiante. Le processus de fabrication de chaleur par des fleurs (thermogénèse) est bien connu (voir à ce propos la chronique sur la serpentaire) et se rencontre dans diverses familles : chez de nombreuses Aracées (Arums, Serpentaires, ..), certaines Nymphéacées, des Palmiers, des Cycas, des aristoloches, les rafflésias (ces énormes fleurs parasites asiatiques)… Par contre, la capacité supplémentaire de moduler cette production de chaleur en fonction de la température ambiante (thermorégulation) reste un processus très rare dans le monde végétal (mais répandu chez les animaux comme les mammifères ou les oiseaux) et documenté chez deux espèces d’Aracées : le Philodendron de Sello bien connu comme ornementale (Philodendron bipinnatifidum) et le chou puant d’Amérique du nord (Symplocarpus foetidus). Le lotus sacré est la troisième espèce thermorégulatrice répertoriée et a fait l’objet d’études en Australie (1) ou en Chine (2).

lotus-fleurs-semiouverte

Un réchauffement progressif

Dans la fleur en bouton, les pétales serrés et convergents au sommet (voir la chronique sur la visite guidée de la fleur de lotus) ménagent une chambre florale avec au centre les organes reproducteurs : étamines ; pistils logés dans les cavités du réceptacle en forme de pomme d’arrosoir. La température interne de la fleur est alors égale à la température ambiante. Deux jours avant le début de l’ouverture, on observe un début de réchauffement interne du à un dégagement de chaleur par le réceptacle central.

Avec l’ouverture progressive de la fleur étalée sur deux jours (voir chronique visite guidée), la production de chaleur s’intensifie et va durer 3 ou 4 jours. La température à l’intérieur de la fleur de maintient entre 30 et 36°C de jour comme de nuit alors qu’à l’extérieur elle varie de 8 à 10°C la nuit à 45°C dans la journée (mesures effectuées en Australie !) et que la chambre florale s’est largement ouverte le second jour. Une fois la fleur complètement ouverte au bout de 2 à 3 jours, elle entre dans une phase de refroidissement progressif avec un retour à la normale alors que les pétales tombent. Le jour, quand la température ambiante s’élève fortement au-dessus de 30°C, la production de chaleur s’atténue temporairement tandis que le refroidissement par évaporation permet d’éviter une surchauffe interne. On peut donc bien parler de thermorégulation, de maintien d’une température presque constante en dépit des variations de la température externe : les chercheurs australiens qui ont réalisé ces mesures n’hésitent pas à parler de période homéotherme, soit le même terme utilisé à propos des mammifères et de leur température interne maintenue à 37°C !

Qui chauffe ?

Le mécanisme de production de chaleur se passe au niveau cellulaire et semble directement lié au métabolisme respiratoire selon une voie dite alternative qui fait intervenir une oxydase (AOX) présente dans la membrane des mitochondries ; mais il existerait une seconde voie moins importante qui fait intervenir un cytochrome (3).

Le réceptacle en pomme d’arrosoir semble bien être l’organe clé dans cette production de chaleur ; dans toute la partie spongieuse basale, il y a de l’amidon stocké qui sert de carburant pour produire la chaleur. De ce fait, on pensait que les étamines intervenaient aussi dans le réchauffement vu leurs appendices riches en amidon, notamment dans la seconde phase de la floraison quand elles libérent leur pollen ; mais une étude plus récente (4) démontre que si elles se réchauffent effectivement au contact du réceptacle, leur contenu en amidon ne diminue pas pendant la floraison. Ces appendices jouent en fait un rôle attractif envers les pollinisateurs (voir chronique).

Réceptacle le premier jour, stigmates réceptifs saillants

Au centre de la fleur, le réceptacle jaune est l’organe qui produit la chaleur

Pourquoi avoir le chauffage central ?

La première piste, la plus évidente, concerne l’attraction des pollinisateurs comme cela est déjà bien connu chez d’autres plantes thermogènes : une chronique est consacrée à ces pollinisateurs où le rôle de ce dégagement de chaleur sera explicité (voir aussi la chronique sur une autre plante « chauffante », la serpentaire).

Une autre piste inédite a été dévoilée par des chercheurs chinois (2) qui ont expérimenté en milieu naturel en imposant des refroidissements artificiels à l’intérieur des fleurs écloses à l’aide de sachets de glaçons et ont ensuite suivi le devenir de ces fleurs ainsi (mal)traitées. Les fleurs qui subissent un refroidissement dans la journée immédiatement après la pollinisation voient leur production de graines significativement baisser par rapport à celles non refroidies ; par contre, les fleurs refroidies pendant la nuit qui suit ne connaissent pas de tel effet. Cela signifierait que les températures basses dans la journée affectent le processus de fécondation (germination des grains de pollen et élongation des tubes polliniques à l’intérieur du stigmate) mais pas ce qui se passe après cette fécondation (qui a lieu immédiatement après le dépôt des grains de pollen sur les stigmates), i.e. la transformation des ovules. Le maintien d’une température constante assez élevée favoriserait donc le succès de la fécondation et augmenterait ainsi le succès reproductif de l’espèce.

Les mêmes auteurs ont montré que dans le nord de la Chine où les températures diurnes ne dépassent pas 20-22°C (avec parfois des épisodes plus froids), les fleurs dont on enlève les pétales dès l’éclosion voient leur succès reproductif (production de graines) baisser même si l’on pratique la pollinisation manuelle pour compenser le manque d’attractivité que pourrait provoquer la suppression des pétales. La même expérience menée dans le sud de la Chine où la température moyenne ambiante estivale est autour de 29-30°C ne conduit pas à la baisse de la production de graines. Comme le réchauffement interne commence avant même l’ouverture (voir premier paragraphe), il est aussi possible que le réchauffement agisse sur la qualité du pollen et sa maturation (effet déjà observé sur d’autres plantes à fleurs) ; de plus, par temps froid, les anthères s’ouvrent environ 5 heures plus tard : la production de chaleur pourrait donc accélérer leur ouverture et la libération du pollen avant le départ des pollinisateurs.

On peut donc penser que la production de chaleur agit sans aucun doute sur l’attraction vis-à-vis des pollinisateurs (voir chronique sur les pollinisateurs du lotus) mais que, secondairement, elle ait aussi permis au lotus d’étendre son aire de répartition en permettant une reproduction efficace même dans des régions plus froides et a priori moins favorables.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Physiological temperature regulation by flowers of the sacred lotus. Roger S. Seymour and Paul Schultze-Motel. Phil. Trans. R. Soc. Lond. B (1998) 353, 935-943.
  2. Flower thermoregulation facilitates fertilization in Asian sacred lotus. Jiao-Kun Li and Shuang-Quan Huang Annals of Botany 103: 1159–1163, 2009
  3. Contribution of the Alternative Pathway to Respiration during Thermogenesis in Flowers of the Sacred Lotus. Jennifer R. Watling, Sharon A. Robinson, Roger S. Seymour. Feb 2006 in Plant Physiology
  4. Contributions to the functional anatomy and biology of Nelumbo nucifera (Nelumbonaceae) III. An ecological reappraisal of floral organs. S. Vogel , F. Hadacek. Plant Systematics and Evolution November 2004, Volume 249, Issue 3, pp 173-189

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