Photo Nelly Monteil

23/02/2021 Dans la forêt communale de Châtel-Guyon, dédiée au tourisme, fleurissent depuis 2015 des sculptures originales sur des souches, artistiquement taillées à la tronçonneuse par un agent communal, Loïc Bertrand : sylviculteur de formation, ancien agent de l’ONF, il est chargé des coupes dites sanitaires, i.e. d’abattre les arbres morts sur pied qui menacent de tomber. Désormais plus de quarante, ces sculptures se répartissent au long des allées qui rayonnent autour du parcours de santé, dans la montée vers Loubeyrat depuis Châtel-Guyon, peu après le parc Ecureuil : elles agrémentent ces parcours balisés et accessibles à tous, faisant la joie des enfants et … des adultes. Une belle occasion de parcourir cette forêt de manière ludique tout en peaufinant sa culture scientifique en écologie forestière. 

Forêt passée

Forêt de chênes et de châtaigniers au sous-bois clair typique du site

Située sur le rebord de la faille de Limagne, installée sur un massif granitique, entre 450 et 600m d’altitude, cette forêt offre des paysages presque montagnards avec des versants marqués orientés tantôt plein sud, tantôt plein nord et coupés de ravins dont certains sont parcourus par des ruisseaux plus ou moins permanents : paysage typique de ce qu’on appelle en auvergne les pays coupés (comme les Couzes au sud de Clermont-Ferrand) au sens  de disséqués par des vallées orientées Est-Ouest qui recoupent la célèbre faille de Limagne.

Sur les versants sud pentus, la chênaie prend un aspect « rabougri » et clairsemé

Historiquement, ces collines étaient peuplées de chênaies variées mêlées de pins sylvestres : chênaies-pinèdes sèches vers les versants sud pentus et rocheux avec des arbres rabougris et au sous-bois très clairsemé où l’on trouve quelques espèces de tendance méditerranéenne comme le chèvrefeuille d’Etrurie ( ici en limite de répartition) ; chênaies châtaigneraies longtemps gérées en taillis sous futaie sur les parties moins pentues ; chênaies plus fraîches sur les versants nord avec des espèces de tendance montagnardes comme la luzule des bois en vastes tapis; enfin, le long des ruisseaux encaissés (voir la chronique sur les Frontières invisibles), on trouve des boisements plus variés avec des frênes, des peupliers noirs, des saules, des aulnes et une riche flore de bord de ruisseau. 

Ruisseau des Grosliers (versant de la vallée des Prades)

Pins en sursis

Pinède à pins sylvestres (Chemin Vert)

L’accentuation du changement climatique en cours et ses vagues de sécheresse prolongées ont profondément altéré la survie de certaines essences originelles sur ces sols sableux rocheux très filtrants, le granite fissuré ne retenant pas l’eau en surface : le pin sylvestre connaît depuis une décennie une forte mortalité qui s’accentue.

De belles pinèdes persistent sur les versants plus frais comme le long du Chemin Vert : on reconnaît bien ces pins à leur haute stature, leur feuillage assez clairsemé et leur écorce d’un beau orange dans la moitié supérieure du tronc.

Par contre, sur les versants secs et chauds comme le long des chemins des Percières, les sécheresses répétées les affaiblissent : la propagation d’une maladie due à un champignon microscopique (voir la chronique) et les attaques des scolytes, ces petits scarabées qui creusent des galeries sous l’écorce des arbres affaiblis, anéantissent chaque année des centaines d’individus dont de très vieux et beaux spécimens.

Les coups de vent et tempêtes à répétition, elles aussi sans doute liées au changement climatique, ont abattu nombre de ces arbres en les déracinant (arbres morts tombés au sol ou chablis), ou en les cassant (volis) ; d’autres meurent sur pied et restent en place sous forme de « chandelles ». C’est ainsi que, bien que ne cherchant plus à produire du bois, on doit procéder à des abattages préventifs d’arbres menaçant la sécurité des promeneurs, très nombreux à fréquenter cette forêt. Au cours des dernières années, cinq cents arbres, essentiellement des pins sylvestres, sont ainsi abattus chaque année dans le cadre de ces coupes sanitaires. 

Nouvelle forêt

Il y a moins de 50 ans, ici, c’était une forêt de chênes et de châtaigniers ; maintenant, la cédraie et son ambiance méditerranéenne s’est installée

Sur le fond originel dominé par des chênes et des châtaigniers, exploités comme bois d’œuvre pour les plus beaux et surtout comme bois de chauffage pour les autres, la gestion passée a introduit divers résineux.

Sur les versants nord frais, on a planté des sapins, des épicéas et des Douglas qui se sont bien acclimatés ; localement, ils donnent de véritables sapinières à ambiance très montagnarde comme sur le versant de la vallée des Prades où l’on croise le pic noir, hôte typique des forêts montagnardes.

Sur les versants sud rocheux, comme le long de l’Allée des Hautes Percières, on a implanté des cèdres de l’Atlas, une essence méditerranéenne adaptée à ce genre de site très sec et rocheux : on découvre donc désormais avec étonnement des cédraies pures au sous-bois tapissé de mousses comme celles que l’on trouve dans le Midi autour du Lubéron !  

Au cours des dernières décennies, on a progressivement abandonné la gestion de la forêt pour la production du bois pour aller vers une gestion tournée entièrement vers la récréation, associée au développement du thermalisme à Châtelguyon. Ainsi, les sapins et cèdres  introduits et devenus matures se sont-ils multipliés naturellement en se ressemant via leurs graines ailées qui s’échappent de leurs cônes, colonisant progressivement les peuplements de chênes périphériques depuis les zones originellement plantées. Tout laisse à penser que devant le fort déclin des pins sylvestres, ces résineux vont progressivement investir les vides créés par les arbres morts, favorisés par leurs graines très légères dispersées au loin par le vent. Ainsi, la forêt de demain (d’ici une ou deux décennies) sera sans doute assez différente avec une dominance probable de ces résineux … sauf si d’autres évènements naturels ou interventions humaines viennent perturber cette évolution en cours …

Souches sculptées 

Prête à s’envoler !

C’est donc dans ce contexte « écologique » que s’inscrivent les sculptures de Loïc Bertrand. Pour lui, elles sont une manière de prolonger la vie de ces arbres abattus en les coupant sous forme de souches hautes (voir la chronique sur les souches) qui servent de support à la créativité de cet artiste à la tronçonneuse !

C’est aussi une manière de faire accepter l’abattage de tous ces arbres ce qui peut choquer le grand public qui, à juste titre, n’aime pas qu’on « tue » des arbres. 

La diversité est au rendez-vous au long des allées autour du parcours de santé dont celles des Hautes et Basses Percières, le chemin des Bouleaux, …

De gros bolets ventrus côtoient tout un bestiaire varié : un ours, un écureuil magistral tout en haut d’un talus, des chouettes remarquables au regard envoûtant, une marmotte dressée, …

Viennent compléter cette biodiversité des figures plus ésotériques ou au contraire réalistes : un seau, un beau saxophone et juste à côté ses notes de musique, des visages étranges, des livres à feuilleter, … Le paradis pour les enfants qui vont de découverte en découverte comme dans une chasse au trésor, sans oublier les adultes tout aussi ravis. Les appareils photos chauffent un maximum ! Et régulièrement, notre artiste ajoute de nouvelles créations tandis que les plus anciennes commencent à se patiner avec le temps ; sur certaines souches des champignons se sont même installés, les rendant encore plus vivantes !

Bois mort vivant 

Ce dernier détail des champignons nous amène vers une autre belle surprise : l’abondance infinie de bois mort dans cette forêt. En effet, outre les chablis et chandelles non encore découpés, une grande partie des troncs abattus et débités sont laissés sur place ou entassés en amas formels. Horreur dirons certains ! Au contraire : une sacrée bonne initiative car le bois mort est une des grandes richesses écologiques d’une forêt vivante (voir la chronique sur ce thème). Il se décompose lentement sur place, investi par une foule de champignons comme les polypores durs comme du bois ou des corioles et stérées en forme de consoles ou d’oreilles : un festival de formes et de couleurs.

A l’intérieur, ces champignons déploient un gigantesque réseau de filaments voraces qui rongent le bois et le rendent ainsi accessibles à tout un cortège d’insectes dont les larves vivent et se nourrissent du bois mort ou de ses dérivés. Autrement dit, tous ces morceaux de troncs, toutes ces branches, regorgent de vie animale même si vous ne les voyez pas. Au final, leur lente décomposition retourne une partie de la matière organique au sol de la forêt : les racines des arbres s’en nourrissent assurant le cycle de la vie forestière ! 

Sculptures naturelles 

Ces sculptures « humaines» sont aussi une occasion d’aiguiser les sens de l’imaginaire et de l’observation ; on peut alors les reporter cette fois sur les éléments naturels que l’on côtoie au cours de la déambulation. Et de découvrir que « la nature » (sans la personnifier pour autant !), elle aussi sait se montrer très créatrice. Scrutez les vielles souches en décomposition, les troncs pourrissant gisant à terre, ceux perchés sur leurs branches mortes comme des échasses, … : on peut y voir des visages grimaçants, des animaux fabuleux, des masques totémiques, …

Surveillez aussi les arbres vivants comme les chênes en sous-bois mais tordus et déformés par les accidents de la vie (cassures, gelures, maladies, …) et la compétition intense pour accéder à la lumière : certains décrivent des lignes vraiment étranges !

Cherchez les racines mises à nu le long du talus des chemins : admirez leur puissance et imaginez les sous terre, se faufilant entre les roches fissurées ; notez ces racines curieuses qui passent par dessus leurs voisines comme pour consolider l’ancrage de l’arbre.

Traquez les anomalies comme les cavités, les creux, les bosses sur les troncs et, si vous faites des photos, cadrez serré pour voir si par hasard on ne peut pas en faire une image artistique évocatrice.

Examinez les branches ou troncs morts sans écorce pour y découvrir les hiéroglyphes et autres calligraphies laissées par les larves de scolytes qui y ont creusé leurs galeries.

Comptez les cernes des troncs coupés et appréciez le bois de cœur foncé qui se détache sur le bois périphérique plus clair. N’oubliez pas de lever les yeux vers le ciel pour apprécier les canopées des pins qui se déploient en fractales infinies. Repérerez  les mousses et lichens installés sur les troncs et leurs notes colorées souvent bigarrées : ils/elles composent des micro paysages, des forêts naines, des prairies, … sur les écorces, révélées par des photos en mode macro. Apprenez à retrouver les traces de l’exploitation passée comme ces arbres « multiples » aux troncs groupés par deux, trois, quatre, … vestiges de la taille à ras du sol et la renaissance via des rejets devenus des troncs. Bref, chassez le naturel dans tous ses recoins pour compléter la découverte des sculptures de souches !