Reseda luteola

22/07/2020 Avec sa stature à la fois longiligne et imposante, le réséda jaunâtre ou gaude ne passe pas inaperçu dans la nature d’autant qu’il fréquente presque toujours des lieux proches des hommes ou perturbés par leurs activités. Cette herbe reléguée désormais au rang de rudérale des terrains vagues et tas de déblais a eu une histoire liée à l’homme des plus prestigieuses en tant que plante tinctoriale : pendant des siècles, elle a été « l’or jaune » qui permettait de teindre la soie d’un jaune mordoré sublime. Elle appartenait au cercle très restreint des tinctoriales majeures du Moyen-âge et de la Renaissance avec le pastel ou guède (et aussi l’indigotier, un arbuste) pour les bleus et la garance tinctoriale pour les rouges. Mais l’histoire a surtout retenu ces deux dernières et la gaude a été progressivement oubliée avec l’avènement des teintures chimiques. Ce n’est que grâce à son aisance à se naturaliser à partir de ses graines qu’elle s’est propagée auprès des hommes hors des cultures, nous rappelant sa gloire passée … pour qui sait la voir ! 

Résédacée  

Entrons dans l’intimité de la gaude via sa famille, les résédacées, et son genre, les résédas (Reseda). Réséda dérive du latin Reseda issu de resedare, calmer la douleur car ces plantes étaient censées calmer les inflammations et donc les douleurs associées. 

Les moutons ont soigneusement évité de brouter ces gaudes alignées le long de la clôture électrique

Cette petite famille renferme environ 80 espèces avec le genre Reseda qui en regroupe l’écrasante majorité ; elle se se classe dans l’ordre des Brassicales aux côtés des Crucifères ou Brassicacées.  Une des « preuves » pratiques indirectes de cette parenté pas évidente de visu concerne la présence dans ces plantes de substances chimiques toxiques, les glucosinolates, connus pour leur odeur piquante de moutarde et typiques des Brassicacées. Ils confèrent aux plantes qui les possèdent une protection chimique redoutable contre une majorité d’herbivores selon le principe « de la bombe M » (voir la chronique sur ce sujet). Seules quelques espèces d’insectes ont acquis la capacité de consommer sans risques ces plantes toxiques dans un processus de coévolution classique avec notamment les chenilles des piérides, ces papillons blancs à points noirs bien connus. Or, justement, les chenilles des piérides se nourrissent sur des brassicacées mais aussi sur des résédas !  Les résédacées possèdent par ailleurs des alcaloïdes toxiques, sources de la fameuse couleur jaune qui transparaît notamment quand ces plantes vieillissent et fanent. 

Cette punaise du chou est normalement inféodée aux seules brassicacées mais peut se rencontrer sur le réséda jaunâtre !

Les résédas sont des plantes herbacées ou buissonnantes avec des fleurs par contre très différentes : au lieu des fleurs presque régulières à quatre pétales en croix des brassicacées, on a ici des fleurs très irrégulières avec une symétrie verticale. Les pétales, libres et dotés d’un onglet basal, généralement au nombre de quatre (mais parfois 3 ou 5 !) sont découpés en trois lobes eux-mêmes à lanières courtes : un lobe supérieure non divisé porte sur son dos un appendice découpé en lanières. Les étamines nombreuses (20-30) se disposent en cercles successis. Tout ceci donne des fleurs petites mais assez extravagantes quand on les regarde de très près. A noter en plus la présence d’un disque nectarifère très visible. 

L’autre caractère surprenant des résédas touche au fruit : une capsule dressée, petite au sommet trilobé avec des ouvertures persistantes entre l’emplacement des styles : autrement dit des fruits « ouverts » alors que nous sommes chez des angiospermes, les plantes à fleurs aux fruits « fermés ».

Résédas 

A gauche le réséda jaunâtre ou gaude et à droite le réséda jaune « en contrebas » !

Si on se cantonne aux seules espèces assez communes, on trouve  quatre espèces de résédas dans notre flore : deux ont des fleurs jaunes (résédas jaune et jaunâtre) et deux des fleurs blanches (blanc et raiponce).

Le réséda jaunâtre se démarque nettement de tous les autres par ses feuilles presque toutes entières (bords ondulés) et ses fleurs jaunes à quatre pétales et quatre sépales ainsi que des capsules globuleuses petites. Les trois autres ont des fleurs avec 5 ou 6 (parfois jusqu’à 8) pièces florales, donc d’apparence encore plus complexe. Son port souvent grand et élancé n’a d’égal que celui du réséda blanc (R. alba subsp. alba). Ce dernier, une espèce méridionale mais souvent cultivée ou se naturalisant notamment sur le littoral dans les friches, atteint 1m de haut contre 2 pour la gaude (mais elle peut aussi rester peu élevée !) ; il n’en a pas moins un aspect robuste. Les feuilles du réséda blanc sont très divisées avec de nombreux segments latéraux et les capsules sont dressées et plaquées contre les tiges. 

Réséda raiponce

Le réséda raiponce (R. phyteuma) possède des fleurs blanches mais adopte un port bas ne dépassant pas 40cm de haut. Les feuilles supérieures sont entières alors que les basales sont découpées. Les capsules se rabattent à maturité (écartées des tiges donc) et conservent en dessous le calice (accrescent) et ont trois pointes au sommet (au lieu de quatre chez le réséda blanc). Cette espèce peu commune fréquente les cultures et les friches des régions chaudes depuis le midi et tend à se naturaliser plus au nord jusqu’en région parisienne et dans l’Est. On cultive souvent par ailleurs une petite ornementale annuelle, la mignonette ou réséda odorant (R. odorata) qui lui ressemble (elle en serait dérivée par culture) mais avec des feuilles toutes découpées, des fleurs plus jaunâtres avec des étamines contrastées teintées de rouge.

Enfin reste le plus commun des quatre, le réséda jaune (R. lutea subsp. lutea), hôte des friches y compris en milieu urbain, des jachères et cultures jusque dans les pelouses sèches avec des plaques de sol dénudé. Bien que son nom soit très proche de la gaude ou réséda jaunâtre (lutea versus luteola !), le réséda jaune est très différent : un port étalé presque buissonnant en touffes ramifiées, des grappes de fleurs bien plus voyantes et bien moins allongées, des feuilles très découpées de manière irrégulière, des capsules grosses et allongées plus ou moins écartées à dressées. 

Bisannuelle 

La superbe rosette basale de la gaude !

La gaude se comporte en bisannuelle, très rarement en vivace de brève longévité. La première année qui suit la germination, la jeune plante élabore une racine pivotante assez puissante et une superbe rosette de feuilles très étalées et plaquées au sol. On peut les reconnaître assez facilement par leur forme allongée étroite, d’un beau vert foncé luisant et surtout à leurs bords presque parallèles, un peu épaissis cartilagineux et le plus souvent ondulés. Comme ces rosettes se développent presque toujours sur du sol nu, elles n’en sont que plus visibles et repérables de loin.

L’année suivante, dès le printemps, la rosette fabrique une tige dressée, très raide, côtelée, qui ne se ramifie que dans sa moitié supérieure (un peu à la manière de nombreuses molènes ou bouillon-blanc) qui peut atteindre 1,50m à presque 2m de haut mais rester aussi à des dimensions modestes. De nombreuses feuilles simples, alternes, sans pétiole (sessiles), toutes entières, allongées et étroites, couvrent la tige montante et renforcent la silhouette longiligne de la plante. 

De mai à septembre, au bout des ramifications ultimes, apparaissent de très longues grappes étroites faites de petites fleurs très serrées décrites ci-dessus. A ce stade, la rosette basale de l’année précédente sèche et disparaît. Les nectaires des fleurs attirent divers pollinisateurs dont des mouches et des abeilles domestiques ou solitaires. L’ouverture et l’orientation de ces petites fleurs suivent la course du soleil : on parle d’héliotropisme. 

Les fruits petits (au plus 5mm), très serrés comme les fleurs initiales, sur de courts pédicelles, restent entourés à leur base par les filets persistants des étamines fanées et s’ouvrent à leur sommet, révélant la structure à trois lobes de l’ovaire.

Toutes ces grappes denses de capsules persistent longtemps même après la mort sur pied de la plante en bout de cycle.

Les capsules libèrent des graines noires luisantes et lisses minuscules qui germent dès l’automne et donnent ainsi les plantules à l’origine de la rosette.

Archétype d’archéophyte !

Colonie de gaudes

La gaude apparaît le plus souvent en colonies plus ou moins denses, avec parfois des populations de centaines de pieds, mais aussi parfois en pieds isolés. La liste des milieux que peut fréquenter la gaude s’avère plus que conséquente et assez déconcertante de prime abord : bords des cultures ; champs récemment abandonnés ; jachères sur des sols caillouteux ; friches à grands herbes ; terrains vagues ; espaces verts enrichis en nutriments ; bords des chemins ; décombres et tas de remblais ; voies ferrées ; talus dénudés ou rocheux ; accotements à végétation basse ; vieux murs ; grèves sableuses des rivières ; abords des villages et des vieux châteaux ; …

La friche à grandes herbes (dont des chardons aux ânes) : un milieu typique de la gaude

Il y a quelques dénominateurs communs à cette liste à la Prévert : des sols enrichis en matières nutritives par les activités humaines (déchets, engrais, labours) soit un comportement de plante rudérale ; des sols remués ou perturbés récemment ou régulièrement ; des milieux secs et chauds en pleine lumière à végétation clairsemée ; des substrats sableux ou calcaires ou volcaniques surtout. Si on ajoute sa répartition diffuse et ses apparitions souvent temporaires, on arrive à une plante dite archéophyte, i.e. une plante introduite depuis longtemps par l’homme suite à des cultures. Son apparition en masses à l’occasion de grands travaux ou de défrichements, autour des carrières et des tas de terres des chantiers confirment cette hypothèse, renforcée par son histoire ancienne évoquée ci-dessous. 

Tous ces milieux cités ci-dessus seraient donc des habitats dits secondaires où il peut échapper temporairement à la compétition à la faveur des perturbations induites par l’homme dont il dépend. Qu’une friche vienne à se stabiliser si les interventions humaines cessent, et la gaude disparaît très vite du paysage étouffée par les ligneux et les grandes plantes vivaces. On le trouve quand même dans ce qui semble être son habitat primaire : les pelouses et rocailles calcaires ou volcaniques très sèches et écorchées : là, ce sont souvent les terriers ou les grattées des lapins qui lui permettent de se ressemer spontanément et de profiter des apports azotés par les excréments déposés.

Gaudes au milieu d’une pelouse à hélianthème des Apennins en situation quasi primaire

C’est peut-être par cette prédisposition aux terres remuées et enrichies qu’il s’est dans un premier temps acclimaté autour des installations humaines néolithiques avant d’être « repéré » plus tard comme tinctoriale et alors cultivé en grand : le prélude à son expansion générale à grande échelle. 

Piste archéobotanique

Pour remonter l’histoire de cette association homme/gaude, nous disposons de deux types de ressources : pour le passé lointain, les « fossiles » de graines trouvées lors de fouilles archéologiques (archéobotanique) ; pour le passé plus récent, les textes et témoignages historiques ainsi que d’éléments archéobotaniques. 

Trouver des graines ou des fruits de gaude lors de fouilles n’implique pas obligatoirement que la plante était cultivée pour la teinture. Elles peuvent tout autant provenir de gaudes « sauvages » qui poussaient autour des installations humaines. De plus, on sait que la récolte de la plante entière (sans les racines, seule partie sans colorant) se faisait au stade fructifié certes mais avant que les graines ne soient mûres. Pour attester de son usage comme tinctoriale, il faut donc découvrir, associés aux graines ou fruits, d’autres vestiges comme des paquets de plantes sèches ou des feuilles empilées en « pains ». Ainsi en Grande-Bretagne, on a trouvé des graines sur plusieurs sites du Yorkshire datant de l’époque anglo-saxonne mais seules celles découvertes en grande quantité à Beverley indiquent vraiment un usage tinctorial ; de même pour celles exhumées de latrines en Ecosse (15ème). En Belgique, on a découvert un entassement de tiges et de feuilles près de Gand daté du 12-13ème siècles. 

Un autre exemple pédagogique concerne des fouilles dans la cité de Modèle en Italie. Dans 2200 litres de sol d’une strate datée du 1er siècle après JC (époque romaine impériale), on a extrait plus de 78 000 restes botaniques (domaine de la carpologie) dont 1367 graines de gaude non brûlées (donc a priori non consommées) associées à une multitude de restes clairement issus de consommation humaine (raisins, pêches, noix, mûres, fenouil, olives, figues, …). Mais, le plus intéressant ici, c’est la découverte concomitante de 5214 graines de lin pointe vers un usage des gaudes pour teindre la toile de lin. Pourtant, la gaude est actuellement rare dans cette région confinée au bord des rivières ce qui indiquerait de plus qu’il devait exister un important commerce de gaude séchée, propice à sa dispersion. 

Pistes historiques 

Cette dernière découverte indique que cette plante devait être connue des Romains. On pense qu’elle l’était déjà du temps des Grecs mais les textes ne permettent pas d’identifier clairement les plantes citées comme sources de teinture jaune. On en retrouve des traces dans des textiles coptes datant de la fin de l’Antiquité. 

Le Moyen-âge et la Renaissance vont voir l’avènement de la gaude comme teinture jaune. Une première mention se trouve dans un manuscrit datant de l’époque carolingienne (800). En 1548, un manuel italien (Plictho de larte de Tentori ) détaille pour les teinturiers l’usage de la gaude. Dès la fin du Moyen-âge, on signale de vastes cultures de gaude dans plusieurs provinces d’Allemagne. Au 16ème, la culture intensive est attestée en Angleterre dans le Kent : elle concerne aussi le Yorkshire, le Lincolshire et l’Essex. En Grande-Bretagne, il semble évident que la gaude a été importée par les Romains et peut être même dès le Néolithique ; elle n’y a sans doute jamais été indigène L’accroissement de l’activité textile et du commerce vont favoriser l’essor de la culture de la gaude à l’échelle de toute l’Europe de l’Ouest. 

En France, elle devait être présente a minima dans le Midi à l’état sauvage. Là aussi, on l’a cultivé en grand pour l’usage local mais aussi pour exporter cette production vers les autres pays européens. P-J. Garidel, médecin et botaniste provençal, rapporte en 1715 que les Juifs du Comtat (région d’Avignon) avaient l’obligation de porter des vêtements colorés en jaune par la gaude dont des chapeaux ; cette tradition discriminatoire lui avait valu le surnom d’erbo del Judiéou ou « herbe des Juifs » encore en usage au début du 20ème dans la région de Forcalquier. 

A partir du 19ème, l’avènement des teintures synthétiques va signer le déclin rapide de la gaude tout comme ses deux congénères, le pastel et la garance. L’arrivée du coton va accélérer ce désamour car elle est moins efficace pour ce textile. 

Son nom populaire (féminin) de gaude remonte au 12ème siècle (gaudum, gauda) et serait issu du germanique walda qui se retrouve dans le nom anglo-saxon de weld, proche en consonance d’ailleurs du nom du pastel, woad ! Ce nom de gaude se retrouve en italien, en espagnol et en portugais sous les formes gualde ou gualda.  Notons que gaude désigne aussi en Bresse une bouillie de farine de maïs … jaune ! 

Mode d’emploi 

Sa frugalité et sa grande tolérance vis-à-vis de la sécheresse en faisaient une culture facile sur des terres peu propices aux céréales avec des rendements de l’ordre de 0,7 à 2,7 tonnes/hectare. On récoltait toute la plante fructifiée avant la maturité des fruits : une fois séchées, on les mettait en bottes serrées ensuite transportées vers les ateliers de teinture ou les tanneries. On attendait la fructification car les capsules sont riches en composés colorants, des flavones dont la lutéoline et ses dérivés mais feuilles et tiges en contiennent aussi. On distinguait deux variétés : la gaude de printemps et celle d’automne réputée plus productive. Les gaudes originaires du Midi et du Proche-Orient étaient connues pour leur meilleure qualité du fait d’une forte teneur en lutéoline. 

La gaude fournit donc une teinture naturelle d’un jaune chatoyant et surtout très durable après mordançage, i.e. préparation du tissu à l’alun, à l’urine ou à la lessive de soude pour permettre la pénétration du colorant et sa fixation. Les tiges séchées et coupées étaient chauffées jusqu’à ébullition et on plongeait les tissus mordancés dans ces bains ; l’ajout de chaux permettait d’aviver la couleur jaune. Des tissus vieux de plusieurs siècles et teints en jaune par la gaude conservent leur teinte, témoins de l’efficacité de cette tinctoriale. 

On l’utilisait aussi en tapisserie et dans les enluminures des manuscrits moyenâgeux (mélangée à des coquilles d’œuf  et du plomb). Elle excellait pour teindre la soie mais se montrait moins performante pour la laine et plus tard pour le coton ce qui a accéléré son déclin par rapport à la garance et au pastel et explique peut-être l’oubli général qui la concerne. Mélangée avec le bleu du pastel, on obtenait la couleur verte dite vert Kendall, celle qui colorait le célébrissime chapeau vert de Robin Hood, Robin des bois ! 

Signalons pour terminer que la gaude avait d’autres usages. Avec les graines huileuses, on préparait une huile verdâtre utilisée pour l’éclairage. La racine (non récoltée pour la teinture) était connue comme apéritive et la plante avait la réputation d’être anti-allergique et bonne pour la digestion. Enfin, la proche cousine de la gaude, le réséda jaune contient le même colorant mais en faibles concentrations te ne semble pas avoir été utilisé au moins à grande échelle comme la gaude. 

Bibliographie 

La gaude. Une plante tinctoriale importante de l’époque médiévale et du début de la période moderne Dossier : Archéologie des textiles et teintures d’origine végétale Julian Wiethold. Les Nouvelles de l’Archéologie · 2008 

Flax and weld: archaeobotanical records from Mutina (Emilia Romagna, Northern Italy), dated to the Imperial Age, first half 1st century. A.D. Giovanna Bosi Rossella Rinaldi Marta Bandini Mazzanti. Veget Hist Archaeobot (2011) 20:543–548