Grimmia pulvinata

Cette chronique s’inscrit dans une série intitulée Bryoscopie (voir l’ensemble du thème) consacrée à la présentation d’espèces de mousses et hépatiques très communes et relativement faciles à identifier de notre flore. Elle s’adresse à un public de profanes ou d’ultra-débutants par rapport aux mousses et hépatiques (comme moi) avec un double objectif : présenter l’espèce et ses caractéristiques et apporter un maximum d’informations sur sa biologie et son écologie pour aller au-delà de la simple identification. 

06/12/2021 Elle est sans aucun doute la mousse la plus commune vivant au plus près des hommes jusqu’au cœur des villes mais aussi une des plus faciles à identifier. En plus, elle a un look vraiment adorable à faire craquer et ses capacités d’adaptation à la survie en milieu extrême forcent le respect. Bienvenue donc à la grimmie en coussins. 

Pulvinée 

Comme l’écrasante majorité des mousses, la grimmie ne porte pas de nom populaire mais un nom directement hérité de son nom scientifique Grimmia pulvinata. Le nom de genre Grimmia dérive du nom d’un botaniste et médecin allemand J.F. Grimm (1737-1821). Seul l’épithète latin pulvinata, pulviné en français, apporte une information pratique visible sur la plante mais encore faut-il être sérieusement initié à la langue botanique pour en comprendre le sens ! Ce mot provient du latin pulvinus : un pulvinar désignait un coussin sur lequel les Romains plaçaient les statues de leurs dieux en action de grâce d’une victoire ; il désignait aussi la loge impériale dans un cirque romain. Et si une plante mérite ce qualificatif, c’est bien la grimmie avec son port remarquable en coussinet compact, presque hémisphérique de 2 à 4cm de diamètre sur 1 à 2cm de haut : un coussinet que l’on a envie tout de suite envie de toucher et de caresser tant il fait penser à une adorable petite bestiole à fourrure ! Cela dit, nombre d’autres mousses du groupe des acrocarpes comme elle (voir la chronique générale sur les mousses) partagent ce port en coussinet qui permet à ces plantes de lutter contre le dessèchement en resserrant leurs tiges feuillées et en retenant de l’humidité à l’intérieur ; mais peu d’espèces ont un port aussi compact et presque rond ! 

Du gris au vert 

Selon les conditions météorologiques ambiantes, l’aspect de ces pulvinars change beaucoup : par temps sec, ils prennent une teinte grisâtre terne avec une surface argentée du plus bel effet en dépit de l’aspect rabougri. Du fait de l’aspect hérissé de ces coussinets secs, les anglais surnomment cette espèce la mousse-hérisson ! Après une pluie conséquente, en peu de temps, le coussinet se métamorphose en absorbant l’eau : la mousse reprend vie et déploie ses feuilles qui se réhydratent (voir la chronique sur les mousses et l’eau) ; le coussinet devient alors d’un beau vert foncé et la nuance argentée en surface disparaît ou presque. En même temps, il s’est gonflé comme une éponge absorbant jusqu’à trois fois son volume d’eau ; une partie de cette eau va être stockée à l’intérieur du coussinet entre les tiges et ainsi servir de réserve pour ralentir le dessèchement inéluctable dès que l’épisode pluvieux est passé. 

Pour comprendre l’origine de ces variations de couleur, il faut observer de très près (loupe !) ce qui se passe au niveau du feuillage en lien avec les variations d’humidité. Les feuilles hydratées mesurent de 3 à 4mm de long ; les bords ou marges sont retournées vers l’intérieur (récurvées) ce qui donne un aspect plus épais. Elles se démarquent de la majorité des autres espèces communes par leur forme elliptique lancéolée et brutalement resserrée au sommet en un poil hyalin blanc qui prolonge la nervure. Ce poil, souvent aussi long que le reste de la feuille, apparaît denticulé sous un fort grossissement ; il est généralement un peu courbé. Attention : de nombreuses autres espèces, vivant elles aussi sur les murs et en coussinets, arborent un tel poil hyalin au but de leurs feuilles ! Ce caractère a sans doute à voir avec la lutte contre le desséchement via le pouvoir réflecteur de ces poils ? 

Par temps humide, les feuilles s’étalent autour des tiges et leur écartement relatif fait que les poils hyalins deviennent alors peu visibles : d’où l’aspect vert sans teinte argentée. Par contre, par temps sec, les feuilles se déshydratent rapidement et tendent à s‘enrouler entre elles si bien que les longs poils blancs s’emmêlent et se rapprochent devenant alors au contraire très visibles sur le fond sombre du feuillage sec.

Col de cygne 

La reproduction sexuée (voir la chronique sur les mousses) a lieu essentiellement en automne et les organes sexuels (à ne pas confondre avec les sporogones !) apparaissent : les organes femelles ou archégones se forment au sommet des rameaux dressés, situation classique pour une mousse acrocarpe tandis que les organes mâles ou anthéridies se trouvent à l’aisselle des feuilles en-dessous ou sur d’autres rameaux du même individu ; on parle d’espèce autoïque, i.e. presque hermaphrodite. Après fécondation, les oosphères dans les archégones se transforment en embryons qui entament aussitôt leur croissance pour donner les sporogones porteurs d’une capsule à spores (voir la chronique sur les sporogones). 

Chez la grimmie, pratiquement toutes les touffes produisent tôt ou tard des sporogones ce qui facilite grandement son identification car ils apportent un autre critère décisif. La soie (la « tige ») porteuse de la capsule est en effet courbée en col de cygne très gracieux à l’état jeune si bien que la capsule ovale se trouve enfouie un peu au milieu du feuillage ; on dirait que sa pudeur la pousse à cacher ses sprorogones ! Par temps très sec et au bout d’un certain temps, la soie finit par se redresser et porte haut la capsule en général alors ouverte. En tout cas, si vous voyez une mousse en coussin sur un mur avec des capsules vertes portées verticalement, vous pouvez être sûr que ce n’est pas la grimmie !

La capsule verte porte un opercule (« couvercle ») doté d’un rostre prononcé. Sèche, sa paroi présente huit striations dans le sens de la longueur et la « bouche » ouverte (le péristome) possède 16 dents rougeâtres. Chaque capsule peut contenir jusqu’à 300 000 spores chacune, microscopiques et dispersées par le vent. 

Saxicole 

Sans ambiguïté, la grimmie est une mousse saxicole, i.e. qui pousse sur des substrats rocheux nus. Si elle semble s’accommoder de toutes sortes de roches, elle reste plus répandue sur calcaire y compris à travers les ciments ou mortiers à base de chaux. Mais surtout, elle est une des espèces de mousses saxicoles les mieux adaptées aux milieux rocheux artificiels crées par l’homme : béton, vieux murs, ciment, toit de tuiles, fibrociment, ardoises, briques, … rien ne lui échappe et comme elle tolère relativement bien la pollution atmosphérique, elle prospère jusqu’au cœur des villes. Cependant, dans les endroits les plus pollués, elle tend à se localiser assez strictement sur les joints en ciment calcaire car l’alcalinité de ce support lui permet de neutraliser en partie l’acidité souvent extrême du milieu ambiant pollué. Elle recherche les supports cités en situation bien éclairée et sèche ce qui en fait une espèce dite xérophile. Elle reste rare ou exceptionnelle sur les écorces d’arbres sauf peut-être sur les arbres fruitiers dans les vergers où elle profite des particules nutritives déposées (comportement nitrophile). En Allemagne, on a testé son emploi pour couvrir des toits comme moyen d’améliorer la qualité de l’air et limiter le réchauffement. 

Elle partage souvent son habitat sur les murs avec d’autres espèces de mousses communes comme la tortule des murailles avec qui elle partage le poil hyalin au bout des feuilles ; mais celle-ci forme des touffes plus amples en gros monticules et possède des feuilles plus larges en forme de langue. 

On la trouve presque partout en France mais elle reste plus commune en plaine et ne dépasserait pas 1000m en altitude. Son aire de répartition couvre pratiquement toute la planète sauf l’Arctique et l’Antarctique ! Il existe de nombreuses espèces de grimmies (une trentaine en Europe) mais presque toutes sont rares ou inféodées dans des milieux spécifiques. Leur identification est affaire de super-spécialistes car ces espèces sont très proches d’aspect et il faut le plus souvent recourir à des coupes de feuilles sous microscope pour discriminer les espèces ! 

Les pierres tombales anciennes sont un paradis pour les grimmies : il y a des vies après la mort !

Dur, dur, … 

La grimmie est particulièrement tolérante à la dessiccation (voir la chronique sur les mousses) en alternant les phases humides où elle peut déployer ses feuilles et faire la photosynthèse et les phases desséchées où elle se déshydrate et entre en vie ralentie. Elle peut passer d’un stade à l’autre en très peu de temps selon le principe de la reviviscence. Un suivi au long terme mené en Angleterre sur un mur montre qu’en été les plus longues périodes sèches durent de 15 à 17 jours (étude réalisée en 1988 !) et la période la plus longue enregistrée est de 28 jours. Après une pluie, la mousse réussit à rester humide un certain temps ; la rosée ne suffit pas pour l’imbiber. L’essentiel de la croissance de ce fait a lieu en automne et en début d’hiver avec un niveau d’éclairement assez bas et tant qu’il ne fait pas trop froid. C’est à ce prix que la grimmie tient sa place, là où les plantes dites « supérieures » sont incapables pour la plupart de tenir : elle esquive en quelque sorte la difficulté en optant pour une vie discontinue et en restant comme toutes ses consœurs dans une gamme de taille très limitée. 

A l’assaut du « toit du monde » !

La taille du coussinet semble être un facteur déterminant dans le fonctionnement de la grimmie. Ainsi les grands coussinets qui ont un rapport surface/volume plus bas transpirent moins mais pour autant leur capacité de stockage d’eau reste proportionnellement la même. De ce fait, les gros coussinets restent hydratés plus longtemps et peuvent donc photosynthétiser plus longtemps. Clairement, au cœur de l’été (et sans doute de plus en plus avec le changement climatique bien avancé), la grimmie passe le plus clair de son temps en berne faute de pouvoir résister au dessèchement. En juillet, des coussins hydratés artificiellement et exposés en plein soleil, se dessèchent en quatre heures pour les plus petits contre neuf heures pour les plus gros. 

Combattante 

Déjection bienvenue pour cette colonie : de l’engrais tombé du ciel !

Outre les aléas climatiques permanents, la grimmie doit aussi affronter une rude compétition avec d’autres colonisateurs zélés de ces milieux pourtant ingrats. Les emplacements potentiellement favorables ont beau être nombreux, les candidats à l’installation ne manquent pas et, outre l’eau, la nourriture y est très rare. A part les minéraux prélevés directement dans le substrat sous le coussinet (voir la chronique sur les mousses des murs), les grimmies ne peuvent guère compter que sur des apports extérieurs très hypothétiques : les poussières fines qui se déposent avec leur part de minéraux (dont des nitrates issus des perturbations humaines) et les déjections des oiseaux qui se posent volontiers au sommet des murs. 

Les autres espèces mousses sont pour la plupart moins xérophiles et plus cantonnées dans les secteurs plus ombragées ou recevant plus d’humidité (écoulements, suintements, …) : donc, dans les secteurs recevant un peu plus d’humidité ou un peu plus ombragés, la grimmie doit souvent composer avec diverses autres espèces bien adaptées elles aussi à cet environnement ; les mousses pleurocarpes sont clairement les plus redoutables avec leurs tapis étalés très recouvrants. 

Des plantes à fleurs peuvent certes coloniser ces milieux extrêmes comme les orpins (voir la chronique) ou la joubarbe (voir la chronique) ou la cymbalaire (voir la chronique) ; mais, elles ont besoin de s’enraciner dans un sol même minime ce qui limite leur capacité de compétition. Par contre, les plantes grimpantes qui escaladent les murs comme le lierre peuvent rapidement lui être fatale en lui cachant l’accès à la lumière. 

Mais la grimmie subit surtout une forte compétition de la part d’adversaires redoutables, experts eux aussi en survie en milieu extrême : les lichens (voir la chronique sur ces êtres qui ne sont pas des végétaux). En prenant le temps d’inspecter en détail les sommets de murs, on découvrira ainsi des scènes d’affrontement saisissantes où un lichen escalade et recouvre partiellement un coussinet de grimmie ce qui condamne les tiges recouvertes à la mort faute de lumière. Inversement, des touffes de grimmies peuvent s’installer en plein milieu d’un thalle de lichen incrusté et le recouvrir. 

La petite souris grise (ou verte) fidèle de nos murs et toits mérite donc tout notre respect et toute notre admiration pour sa capacité à survivre et même prospérer en colonies souvent nombreuses dans ces milieux extrêmes que sont les sommets des murs. 

Bibliographie 

Mosses and liverworts. R. Porley ; N. Hodgetts. 2005. Ed. Collins 

Mosses and liverworts of Britain and Ireland. A field guide. BBS 2010

Guide expert des mousses et hépatiques de France. V. Hugonnot et al. Ed. Biotope 2015

How long must a desiccation-tolerant moss tolerate desiccation? Some results of 2 years’ data logging on Grimmia pulvinata. Michael C. F. Proctor Physiol. Plant. 122, 2004 

Water relations and carbon gain are closely related to cushion size in the moss Grimmia pulvinata. G. ZOTZ et al.  New Phytol. (2000), 148, 59–67