Dendrocopos major/Dryobates minor

En milieu forestier, la guilde des animaux cavernicoles, nichant dans des cavités des arbres morts ou vivants inclut de nombreux oiseaux (mésanges, sitelles, gobe-mouches, rouges-queues, pigeon colombin, chouettes, ..) et mammifères (loirs, lérots, fouines, …). Son maintien dépend fortement des grands fournisseurs de cavités que sont les pics qui creusent eux-mêmes leurs cavités pour y nicher, peuvent s’y reproduire plusieurs années mais les abandonnent rapidement au bout de quelques années.

Cette activité de creusement dépend elle-même largement de la disponibilité en bois mort ou dépérissant plus facile à creuser que du bois sain vivant. Il existe donc un réseau complexe d’utilisation des cavités que l’on peut intégrer parmi les réseaux mutualistes (voir la chronique sur ce sujet) et qui génère des interdépendances en cascades. La Grande-Bretagne a la particularité de n’avoir que trois espèces de pics indigènes : le pic vert, le pic épeiche et le pic épeichette. Ces deux derniers sont de loin les plus présents en milieu forestier, le pic vert étant surtout répandu dans des milieux semi-boisés plus ouverts de type bocage.

Une belle occasion de pénétrer dans ce réseau d’interactions par rapport aux cavités (1) de fait un peu moins complexe qu’ailleurs en Europe.Le pic épeiche (34-39cm de long) et le pic épeichette (24-27cm de long) sont deux pics noirs et blancs . Ils connaissent actuellement en Grande-Bretagne une évolution très contrastée de leurs populations : alors que le pic épeiche ne cesse d’augmenter, le pic épeichette décline rapidement avec 50% de baisse au cours des 25 dernières années.

Pic épeiche explorant des branches mortes d’un orme

Sites de nid

Arbre mort sur pied et cassé à mi hauteur dans une hêtraie.

Pour comprendre ce phénomène, une étude (1) a suivi ces pics sur quatre forêts test du pays suivies depuis très longtemps.
Le premier point étudié concerne les sites choisis pour creuser une cavité. Pour ces deux espèces, le bois mort sous forme arbres morts sur pied (« chandelles » ; snags en anglais) ou de branches mortes sur des arbres encore vivants reste la ressource la plus utilisée surtout pour l’épeichette ; ce dernier montre une forte préférence pour les bouleaux morts sur pied, sans doute à cause de la tendreté du bois de cet arbre vu la petite taille du bec de ce pic. Cette préférence a été aussi observée dans divers autres pays européens. Pour l’épeiche, dans les bois étudiés, la moitié des nids sont dans du bois mort et l’autre moitié dans des arbres matures vivants (souvent des essences au bois plus tendre) ce qui démontre sa plus grande plasticité à cet égard.

Dans une des forêts, le nombre de nids recensés d’épeiche est passé de 7 à 25 alors que le nombre d’arbres morts sur pied (ceux que recherche l’épeichette) reste constant. On voit donc se dessiner une certaine compétition avec un net avantage à l’épeiche plus imposant (deux fois plus grand) et plus compétitif, capable même de piller les nichées de son congénère. On observe même ailleurs en Angleterre et en Allemagne une tendance des épeichettes à nicher dans des vieux arbres fruitiers dans des vergers proches des lisières des bois : ils nichent là mais vont se nourrir dans la forêt proche !

Sites de nourrissage

Pour ces deux pics, les arbres morts sur pied semblent peu importants comme sites de recherche de nourriture (insectes xylophages qui vivent dans le bois mort) ; ils prospectent avant tout sur les branches des arbres avec des niches écologiques différentes en lien avec leurs tailles respectives. L’épeiche se nourrit surtout sur les branches mortes de gros diamètre ou sur le bois mort au sol alors que l’épeichette chasse essentiellement sur les petites branches, mortes ou vivantes, vers la cime, où il picore tout en progressant. La dynamique du bois mort « suspendu » sur les arbres vivants est donc importante.

Or, on constate sur les forêts étudiées une tendance à l’augmentation lente mais régulière de la quantité de bois mort du fait de l’abandon de la gestion en mode taillis (des coupes répétées) ou de toute exploitation ; ainsi dans un bois non exploité depuis 50 ans (en réserve), la quantité de bois mort au sol est passée de 4 à 7 m3/ha en 20 ans, ce qui est encore loin de ce que l’on trouve dans des forêts anciennes semi-naturelles. Cependant, cette quantité de bois mort, souvent mesurée par rapport à celle qu’on trouve tombée au sol (plus facile à recenser !), ne dit rien sur la qualité de ce bois mort vis-à-vis des besoins respectifs des pics. Ce qui importe c’est la dynamique du bois mort avec par exemple le renouvellement des arbres morts sur pied qui finissent par tomber au sol.

Il est possible que l’épeichette ne profite pas en fait de cette augmentation de la quantité globale de bois mort comme par exemple celle des branches mortes au sol qu’il ne visite pas pour se nourrir.

Explosion de l’épeiche

La trajectoire des populations des épeiches en Grande-Bretagne a longtemps intrigué avec une amorce d’augmentation à partir des années 70 suivie d’une accélération notable de sa progression à partir des années 90 et qui se poursuit toujours. L’auteur de l’étude précédente a analysé cette évolution toujours grâce aux données accumulées sur les forêts suivies depuis près de 50 ans (2). On avait invoqué des problèmes de quantité de bois mort avec notamment les ormes morts suite à l’épidémie de graphiose ou la maturation des forêts non gérées comme autrefois. Mais la cause première de cette curieuse explosion démographique en deux temps semble bien être l’étourneau sansonnet !

Quel rapport entre l’étourneau, oiseau des campagnes et des paysages agricoles et le pic épeiche, oiseau des bois ? Jusque dans les années 80, l’étourneau sansonnet connaissait une expansion très forte en exploitant justement les milieux agricoles ; or l’étourneau est cavernicole et s’était mis à nicher massivement dans les petits bois fragmentés, allant se nourrir à l’extérieur. Les étourneaux sont des oiseaux agressifs et ils délogent les pics épeiches venant de creuser une loge, ou s’installant dans leur loge de l’année passée. Dans les années 80, alors que les bois étudiés connaissent de fortes densités d’étourneaux, sur 11 cas d’échec de pontes d’épeiche observés 6 au moins relèvent de ce problème. Les pics épeiches délogés (on parle de kleptoparasitisme de nid) devaient alors recommencer à recreuser une loge ce qui décalait leur reproduction de 10 à 14 jours en moyenne, vers une période moins favorable à l’élevage des jeunes sans parler du stress accumulé. Ainsi la production de jeunes à l’envol restait-elle basse et la population stagnait.

Effondrement de l’étourneau

Et puis, assez brusquement, vers le début des années 90, les populations d’étourneau ont connu une forte baisse continue au point que cet oiseau est désormais classée sur la liste rouge des oiseaux nicheurs menacés en Grande-Bretagne ! Les causes de ce véritable crash semblent liées à la diminution des prairies permanentes où ils recherchent les larves d’insectes au sol et à l’intensification de l’élevage.

Les étourneaux recherchent leur nourriture dans les prés à végétation rase (donc pâturés régulièrement)

L’effet n’a pas tardé à se faire sentir sur le pic épeiche largement contraint par l’étourneau pour nicher. La modélisation de la production de jeunes à l’envol à partir des nichées réussies donne une moyenne de 1,91 jeune/couple entre 1984 et 1988 pour passer à … 3,88 jeunes/ couple en 2004-2005 ! Dans un des bois suivis où la densité d’étourneaux n’avait jamais été très forte, on a bien observé un report des pontes pendant la période « d’occupation » mais après la disparition de ces derniers, la population d’épeiches n’a pas fortement augmenté. Le bois où on constate la plus forte progression avait de fortes densités d’étourneaux dans les années 80 et est resté inexploité depuis 50 ans avec une accumulation de bois mort : la réunion des deux facteurs explique ainsi la progression continue du pic épeiche. Le changement climatique en cours ne semble pas avoir d’impact significatif sur cette espèce. Le nourrissage hivernal semble par ailleurs profiter au pic épeiche qui exploite de plus en plus cette ressource clé pour la survie en hiver (voir la chronique sur les mésanges charbonnières et le nourrissage hivernal).

Hêtre vétéran : une ressource remarquable pour les pics avec à la fois des sites de nid et des sites de recherche de nourriture.

Alors quel avenir pour le pic épeichette dans toute cette histoire de vases communicants ? La préconisation faite par l’auteur de ces études serait de favoriser la présence de bouleaux morts sur pied, très propices à l’installation des épeichettes. Mais ces arbres au bois très tendre ne restent pas longtemps sur pied et tombent très vite (voir la chronique sur les vautours des bouleaux). Il faudrait donc favoriser leur renouvellement en éclaircissant les peuplements car le bouleau ne s’installe qu’à la faveur de coupes ou de clairières (espèce pionnière). Il faudrait aussi sans doute favoriser la présence de grands arbres vivants avec des cimes propices à sa recherche de nourriture.

BIBLIOGRAPHIE

  1. The utilization of dead wood resources by woodpeckers in Britain. KEN W. SMITH. Ibis (2007), 149 (Suppl. 2), 183–192
  2. The implications of nest site competition from starlings Sturnus vulgaris and the effect of spring temperatures on the timing and breeding performance of great spotted woodpeckers Dendrocopos major in southern England. Ken W. Smith. Ann. Zool. Fennici 43: 177–185

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le pic épeiche
Page(s) : 320 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez le pic épeichette
Page(s) : 322 Le Guide Des Oiseaux De France