Passage de milans royaux en automne : 6 individus dans un groupe de 16

De la migration automnale des oiseaux (le départ de nos régions vers les zones d’hivernage plus au sud), le grand public ne connaît souvent que de rares exemples emblématiques comme les rassemblements d’hirondelles sur les fils électriques ou, pour ceux qui ont la chance de se trouver sur leur couloir de migration étroit, les grands vols de grues qui sillonnent le ciel d’automne. Très peu de gens savent que parmi les rapaces diurnes nicheurs de notre pays, plusieurs espèces sont des migrateurs au long cours qui quittent notre pays en automne pour aller hiverner au sud du Sahel ; d’autres espèces qui nichent plus au nord (ou des populations nordiques d’espèces présentes chez nous) survolent aussi notre pays lors de leurs migrations d’automne. Mais les mouvements de ces rapaces passent facilement inaperçus car ils demandent des conditions d’observation particulières dont le choix des points d’observation et être muni de bons outils optiques pour saisir les rapaces qui passent souvent très haut dans le ciel ; pourtant, une fois ces conditions réunies, cependant, les rapaces offrent, du fait de leur taille et de leur migration diurne dans le ciel, concentrée en certains sites, la possibilité d’un suivi régulier et assez précis de leur migration. 

Les vols de grues cendrées forment souvent un V typique

Comme c’est busard ! 

La buse variable ne migre que partiellement et à courte distance ; des oiseaux venus du nord d l’Europe traversent néanmoins notre pays ; ici, 5 individus dans un groupe de 18 en migration active.

Depuis quelques décennies, avec l’avènement des nouvelles technologies de géolocalisation, l’étude fine des migrations des oiseaux a fait un bond considérable avec la mise au point de balises de localisation satellite, suffisamment miniaturisées pour que des oiseaux tels que les rapaces diurnes puissent les supporter à long terme. Plusieurs espèces ont fait l’objet de telles études dont le balbuzard pêcheur (voir la chronique sur un exemple spectaculaire de suivi par balise de la migration de ce rapace) ou les aigles criard et pomarin (voir la chronique Gènes et migration chez deux aigles) ; nous allons explorer, avec deux études différentes, l’exemple d’une espèce plus répandue et plus facilement observable : le busard cendré. La France héberge une part importante de la population nicheuse de ce rapace à répartition limitée, hôte des milieux ouverts à végétation basse dont les grandes plaines cultivées ; il niche à terre souvent au milieu des champs de céréales ou de colza. Il arrive au printemps en avril-mai et repart en août septembre pour aller hiverner en Afrique sub-saharienne ; à la belle saison, on repère facilement le mâle en chasse, très clair avec la pointe des ailes noires, qui survole très bas les champs et chemins d’un vol souple et léger. 

Une première étude a été menée aux Pays-Bas avec deux femelles équipées de balise et suivies lors de leur migration d’automne. Si toutes les deux ont vogué vers l’Afrique, elles ont suivi chacune une voie bien différente : l’une (nommée Béatrice, Pays-Bas obligent !) a traversé la Méditerranée à l’Est du détroit de Gibraltar tandis que l’autre (Marion) a gagné la pointe de l’Italie pour rejoindre la Tunisie. Ce comportement de traversée de la Méditerranée aux points les plus étroits, avec le moins de mer possible à survoler (140km pour Béatrice et 80 km pour Marion), tient au mode de déplacement des rapaces en migration : ils pratiquent le vol à voile en utilisant les courants ascendants qui les portent ; or, ceux-ci ne se forment qu’au-dessus des terres (voir la chronique sur la technique de vol des vautours). Mais le busard cendré se déplace beaucoup en vol battu à faible altitude (voir ci-dessous) et semble capable de s’affranchir partiellement de cette contrainte. 

Busard cendré mâle en chasse (photo J Lombardy)

Partie en août, Marion a couvert en moyenne 100km/jour au début avant de passer à des distances journalières plus importantes début septembre (623km/jour sur 2 jours mi-septembre) avant de ralentir à nouveau et d’atteindre sa première destination le 21 septembre au Niger. Ces valeurs obtenues ici sont du même ordre que celles connues pour des rapaces bien plus grands tels que aigles et balbuzard : bel exploit pour ce rapace plutôt frêle d’aspect ! 

Voyage avec les busards 

Dans une autre étude conduite dans le Nord-Est de l’Espagne, on a équipé dix busards cendrés adultes  de balises satellites pour un suivi détaillé de leur voyage : il en ressort une image assez variée des modalités de voyage et l’impression que ces oiseaux « prennent leur temps » : on les comprend ! 

Busard cendré mâle en migration ; la barre alaire noire le distingue de son très proche cousin, le busard Saint-Martin, migrateur à courte distance

Les premiers oiseaux sont partis dès le 25 juillet alors que le dernier a attendu le 3 septembre, mettant au total de 10 à 30 jours pour atteindre le site d’hivernage : ceci traduit la forte variabilité individuelle en dépit du faible effectif étudié ici. Cette fois, tous se sont rendus dans la même région de l’ouest africain : à la frontière de la Mauritanie et du nord Mali et du Sénégal, soit à 3000km des sites de reproduction espagnols. Ce secteur les attire sans doute à cause des concentrations de criquets migrateurs, leur nourriture principale en hiver en Afrique. On pense que les populations européennes occidentales hivernent en Afrique de l’Ouest tandis que celles de l’Est européen vont vers l’Afrique de l’est et ceux nichant en Asie iraient vers le Sri Lanka et le subcontinent indien. On sait aussi que les jeunes de l’année restent sur les terrains d’hivernage l’année suivante et ne remontent qu’à l’âge de deux ans. Cette orientation correspond à une tendance générale chez les rapaces. Cette partition Ouest/Est se retrouve chez de nombreux autres oiseaux. Il semblerait aussi que la plupart d’entre eux remontent selon un chemin plus central en traversant au milieu de la Méditerranée au printemps. Ceci correspondrait au chemin suivi (à l’envers) par Marion ci-dessus. 

Ils suivent une trajectoire plutôt décentrée vers l’Ouest se rapprochant de la côte marocaine mais certains survolent l’extrémité ouest du Sahara algérien Ces oiseaux se retrouvent sur un secteur restreint mais avec quand même jusqu’à 1000km d’écart entre certains d’entre eux. La majorité a franchi la Méditerranée via le détroit de Gibraltar mais au moins deux individus ont coupé nettement à l’Est survolant un long secteur maritime. On peut dégager quelques statistiques générales vu l’effectif plus important traité. Certains oiseaux s’arrêtent parfois plus d’une semaine en cours de route tandis que d’autres ne le font que 1 ou 2 jours au plus ; les pics de vitesse atteignent 65 km/h. Après avoir traversé la mer, ils doivent monter en altitude pour franchir l’Atlas marocain mais ensuite ils en profitent pour se laisser glisser sur une longue distance d’un coup, pouvant alors parcourir 450 km au-dessus du désert en une journée. Après le désert, ils ralentissent nettement et mettent de une à deux semaines pour parcourir les 1000-1500 kms restants : la distance journalière parcourue varie alors entre 93 et 219km. Ils ne voyagent que de jour et plutôt en fin d’après-midi : l’essentiel de la distance parcourue en une journée s’effectue entre 15 et 20H. Ils se déplacent alors à faible hauteur (pour des rapaces !) entre 40 et 100m, ce qui indiquerait qu’ils en profitent parfois pour chasser. Cependant, dans d’autres études, on a observé des traversées de la Méditerranée en début ou en fin de nuit. 

Le busard des roseaux est la troisième espèce de busard en France ; chez nous il se comporte en migrateur à courte distance mais les populations nordiques sont migratrices au long cours

Traversée du désert 

Le tableau dressé jusqu’ici donne une impression idyllique de « long fleuve tranquille », de voyage sympa, … Mais la réalité semble toute autre : si le survol de la Méditerranée ne semble pas trop problématique vu les passages raccourcis choisis, celui du Sahara peut poser de gros problèmes aux rapaces au long cours en général. Une étude a fait le point à partir de 90 voyages d’oiseaux équipés de balises satellite au-dessus du Sahara concernant quatre espèces de rapaces diurnes aussi bien pour la migration de printemps que d’automne : la bondrée apivore, le balbuzard pêcheur, le faucon hobereau et le busard des roseaux, ce dernier n’étant migrateur au long cours que pour les populations nordiques. Ces 90 traversées concernaient 43 individus de ces 4 espèces : la distance moyenne parcourue au dessus du Sahara était de 1600km, durait en moyenne 6,5 jours à une vitesse moyenne journalière de 270km/jour. En six jours, il peut se passer bien des choses ! 

Le faucon hobereau, un migrateur au long cours : il se nourrit d’insectes (libellules) et d’oiseaux migrateurs notamment (hirondelles, …)

Ainsi, l’enseignement le plus édifiant concerne les « soucis de parcours » rencontrés. 40% des traversées ont inclus des comportements aberrants tels que de brusques changements de directions, de forts ralentissements dans la progression, des arrêts prolongés, et pour certains une issue fatale avec la mort en plein désert ! Ces aberrations correspondent sans aucun doute à des conditions météorologiques particulièrement mauvaises du type vents très violents et tempêtes de poussière.  Ainsi 4 individus au cours de 5 traversées ont même fait demi-tour ce qui semble être une réponse extrême à une situation exceptionnelle. Même ceux qui réussissent à passer dans ces situations doivent ensuite être pénalisés pour leur survie hivernale et le voyage de retour l’année suivante, surtout lors du voyage de retour au printemps. 

Milan noir : un migrateur trans-saharien qui part très tôt dès la fin août

Les taux de mortalité totale estimés atteignent 50-60% pour les jeunes de première année moins expérimentés et 15-30% pour les adultes ; or, ici, sur 6 oiseaux décédés lors de la traversée du Sahara, 4 étaient des jeunes et 2 des adultes. Le Sahara prélève donc une bonne part du tribut de mortalité qui affecte les migrateurs de long cours. Il constitue donc de facto un obstacle majeur affectant la démographie des populations. Il y a seulement encore 5000 ans, le Sahara était nettement verdoyant et plus hospitalier. L’évolution vers un milieu très aride et hostile a donc du profondément affecter les migrateurs transsahariens dont les rapaces. Pour autant, il ne semble pas qu’actuellement le désert saharien progresse mais les évènements violents y seraient plus nombreux. Les auteurs de l’étude font observer que la mortalité due au Sahara reste encore sans doute en deçà de celle due au tir illégal mais fréquent lors de la traversée de la Méditerranée dans des pays comme Malte par exemple, tristement célèbre pour le zèle criminel de ses « protecteurs de la nature » armés ! A noter que lors de la traversée du désert, les rapaces peuvent faire aussi de « mauvaises rencontres naturelles » comme le montre l’exemple sidérant de ce balbuzard suivi par balise dans la chronique « Dans la tête d’un balbuzard ».

Le circaète jean-le-blanc va hiverner au sud du Sahara : il se nourrit presque exclusivement de serpents et de lézards (photo J. Lombardy)

Organdibexka

Les grues survolent le col avec les rapaces

Ce nom basque d’un col pyrénéen français parle tout de suite aux ornithologues chevronnées amateurs de toute l’Europe de l’Ouest : il s’agit d’un site majeur pour l’observation des passages migratoires des rapaces diurnes, des grues, des cigognes et des pigeons ramiers (les palombes du Sud-Ouest). Situé sur la commune de Larrau, culminant à 1268m, ce col fait l’objet d’un suivi ornithologique sans faille depuis le début des années 1980 du 15 juillet au 15 novembre (et aussi au printemps) ; de plus, c’est le seul col pyrénéen libre de chasse, une activité intensive et meurtrière pour les oiseaux migrateurs (y compris les espèces protégées souvent !) qui sévit dans cette région. Environ 40 000 rapaces y sont observés chaque année ! Comme pour traverser la Méditerranée, la majorité des rapaces et grands oiseaux utilisant le vol à voile choisissent les passages les plus bas possibles pour franchir les chaînes de montagne, sans trop dévier de leur route. Une surveillance du matin au soir permet donc de compter de visu tous les oiseaux qui passent dans l’espace aérien de ce col : un travail titanesque effectué par des dizaines de bénévoles très motivés (mais eux ce sont des « écolos », pas des protecteurs de la nature vu qu’ils n’ont pas d’armes !). 

Les pigeons ramiers voyagent en groupes de plusieurs centaines

Automne en crise 

La bondrée apivore est un migrateur au long cours ; elle n’a pas le choix vu qu’elle se nourrit presque exclusivement d’insectes (guêpes et abeilles et leur couvain) (photo J. Lombardy)

Une étude à partir la masse considérable de données accumulées pendant 28 ans (de 1981 à 2008 pour cette étude) permet de dégager les évolutions des dates de passage des rapaces dans le contexte de la crise climatique en cours ; on sait que l’automne reste une saison-clé, bien que sous-étudiée, pour cette problématique (voir la chronique sur ce sujet en général). On dispose ainsi des dates moyennes de passage pour 14 espèces de rapaces dont 8 migratrices au long cours, les autres migrant de manière partielle et à courte distance (voir le tableau joint).

Milan royal : un migrateur qui traverse notre pays mais va hiverner en Espagne ; il commence à hiverner en petit nombre sur place

Sur ces 8 espèces, 6 montrent un changement significatif dans leurs dates moyennes de passage qui se trouvent de plus en plus avancées : jusqu’à 10 jours d’avance en 2008 par rapport à 1981 pour les busards des roseaux nordiques par exemple ! A l’opposé, une partie des migrateurs à courte distance voient leurs dates moyennes de passage reculer (sauf l’épervier d’Europe), tendance que l’on retrouve chez de nombreux passereaux. 

L’épervier d’Europe est un migrateur à courte distance mais pourtant ses dates de départ tendent à avancer

Une des hypothèses avancées pour expliquer ce décalage temporel en cours s’appuie sur le fait que les dates d’arrivée (retour) printanière de ces mêmes espèces sont aussi avancées (de plus en plus précoces) : ces espèces qui ne font qu’une nichée conserveraient un temps constant consacré à la reproduction ce qui les conduirait donc par ricochet à avancer leur départ. D’autre part, ce départ avancé aurait l’avantage de permettre la traversée du Sahara, si compliquée (voir ci-dessus) avant la détérioration météorologique défavorable en début d’automne. Les migrateurs arrivent ainsi plus tôt sur les sites d’hivernage, avant les espèces locales qui se déplacent à faible échelle et sont toujours occupées à la reproduction : ils peuvent ainsi choisir les meilleurs sites pour leur survie hivernale. Cependant, cet avancement des dates reste sous une contrainte physiologique majeure : la mue annuelle des grandes plumes des ailes (rémiges) et de la queue (rectrices), indispensable pour qu’elles soient optimales, qui les end temporairement inaptes à de grands déplacements (des « trous » dans la voilure !). Or, chez ces certaines espèces au long cours, cette mue annuelle a lieu avant la migration (aigle botté, balbuzard, circaète par exemple) et constitue donc un butoir incontournable. 

Aigle botté, un migrateur au long cours (photo J Lombardy)

Bibliographie 

Satellite tracking of two Montagu’s Harriers (Circus pygargus): dual pathways during autumn migration. Christiane Trierweiler et al. Journal of Ornithology 2007
148:178 

Autumn migration of Montagu’s harriers Circus pygargus tracked by satellite telemetry. Ruben Liminana Alvaro Soutullo Vicente Urios Dt. Ornithologen-Gesellschaft e.V. 2007 

How hazardous is the Sahara Desert crossing for migratory birds ? Indications from satellite tracking of raptors. Roine Strandberg et al. Biol. Lett. (2010) 6, 297–300 

Advanced departure dates in long-distance migratory raptors. Ondine Filippi-Codaccioni, Jean-Pierre Moussus, Jean-Paul Urcun, Frédéric Jiguet. Journal of Ornithology, Springer Verlag, 2010, 151 (3), pp.687-694. 

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le busard cendré
Page(s) : p 226 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez tous les rapaces diurnes
Page(s) : p 218-249 Le Guide Des Oiseaux De France