Cette chronique rapporte quelques aspects de la biodiversité observée lors d’une mini-balade sur un espace naturel accessible au grand public ; il ne s’agit que d’un instantané très partiel pour une date donnée avec des informations complémentaires sur le site. Vous pouvez retrouver l’ensemble de ces chroniques-balades à la lettre Z, rubrique Zoom-balade. 

Vue de Château-Rocher depuis le parking supérieur de Blot-Rocher

03/07/2020 Ce zoom-balade est centré sur le site exceptionnel de la forteresse médiévale de Château Rocher perchée au sommet d’une falaise qui surplombe la vallée de la Sioule de près de 150 mètres de hauteur à pic. On peut y accéder soit par au-dessus depuis un grand parking aménagé à la sortie du village de Blot Rocher au nord de St Rémy de Blot (63) ou bien  depuis la D109 qui suit la Sioule depuis le pont de Menat en direction de Châteauneuf-les-Bains (voir la zoom-balade La presqu’île de St Cirgues sur cette commune). Ici, nous avons retenu la seconde option car d’une part elle offre une approche progressive du « vieux lion » et d’autre part, elle s’intègre dans une variante du circuit de promenade dit de Château Rocher long de 5 km. Une seconde chronique traite du reste de ce circuit depuis le village de Blot-Rocher via le vallon boisé de Busseret : voir ce second zoom-balade intitulé « Château-Rocher : Le vallon des papillons

En vert la partie du circuit décrite dans cette chronique

Coups d’œil

Dès le parking, on aperçoit Château Rocher qui émerge tout en haut au milieu des bois couvrant la base du promontoire rocheux sur lequel il se tient défiant le temps de toute sa splendeur. Cette puissante forteresse, partiellement en ruines mais encore de belle tenue, date du 11-12ème siècle avec une histoire mouvementée. Il domine les gorges de la Sioule et contrôlait le passage entre l’Auvergne et le Bourbonnais et l’axe Clermont-Bourges avec un seul passage entre Ebreuil et Châteauneuf-les-Bains, le superbe pont de Menat, du 13ème siècle, en forme de dos d’âne avec trois arches (à voir à 1,5km au nord). Depuis 1967, une association locale se débat pour sauvegarder et redonner vie à cet ouvrage remarquable. De 2013 à 2019, le site sera fermé pour entreprendre des travaux majeurs de sécurisation et de mise en valeur et depuis cette année, le site est ouvert partiellement au public ce qui permet d’en parcourir une partie et de jouir de points de vue époustouflants sur la vallée de la Sioule avec le méandre de Rochocol. 

Landes à bruyère cendrée sur l’autre versant des gorges

Avant d’entamer la montée plein sud, tournons nous vers le nord pour découvrir un beau panorama sur l’autre versant de la Sioule avec les falaises de Navoirat. Vers le sommet, de grandes étendues rocheuses ouvertes attirent l’œil par leur teinte rougeâtre : des landes à bruyère cendrée toutes fleuries, premier signe de la bascule vers le plein été ! On peut y accéder en franchissant la Sioule au pont de Menat et en prenant une petite route à gauche (direction Navoirat) qui conduit à un belvédère aménagé avec une vue vertigineuse sur les gorges et Château-rocher en face bien dégagé. Autour du belvédère s’étend une belle lande à callune et bruyère cendrée gérée par le Conservatoire des Espaces Naturels d’Auvergne, riche en insectes dont des orthoptères. 

Ascension 

Traversons la route pour monter droit sur la forteresse qui disparaît aussitôt dans les bois sombres qui peuplent les pentes de cette péninsule rocheuse que la Sioule contourne à sa base par le double méandre de Rochocol. Au bord du chemin, des grappes de fruits verts se dressent sur une tige raide et basse avec quelques feuilles en forme de fer de lance, presque fanées à la base : les baies toxiques de l’arum ou gouet tacheté qui vont bientôt virer au rouge orangé en mûrissant (voir la chronique sur l’arum). 

A droite, un haut talus pentu offre une flore forestière variée. Les fougères apprécient cette ambiance ombragée fraîche avec le polypode incontournable, la fougère mâle dominante ou la doradille noire ; une touffe plus vert foncé et d’un port plus raide accroche le regard : le polystic à aiguillons avec ses lobes en forme de faux. Des touffes en fruits d’hellébore fétide soulignent le caractère malgré tout assez chaud de cette pente exposée au sud (voir la chronique sur cette plante). Des colonies denses d’une graminée très fine colonisent des pans entiers du talus : le pâturin des bois, une espèce des bois (sylvatique).

Au sommet d’une murette de pierres abandonnée, des baies rouge vif comme de petits cerises ressortent au milieu feuillage vert d’un arbrisseau aux branches arquées plus ou moins retombantes : le groseillier alpin, assez mal nommé car répandu bien au delà des seules hautes montagnes. Ces petites groseilles très acidulées sont immangeables (sauf pour les oiseaux) et se distinguent de celles des autres groseilliers par le port dressé des grappes peu fournies avec seulement quelques baies. 

Les troncs cannelés et tachés de blanc sur un fond cendré signalent la présence du charme, une essence bien représentée dans la partie aval des gorges de la Sioule. L’autre essence marquante est l’érable champêtre avec de gros individus aux troncs multiples, sans doute hérités d’une gestion ancienne de coupes régulières pour le bois de chauffage. Alors que l’on commence à entrevoir le château entre les frondaisons, un arbre tout fleuri interpelle : un tilleul sauvage facile à reconnaître à ses petites feuilles presque rondes en forme de cœur, le tilleul à petites feuilles (Tilia cordata). Il se distingue de son proche cousin sauvage, le tilleul à grandes feuilles, par ses inflorescences qui se tiennent redressées au milieu du feuillage et non pas pendantes. On entend le bourdonnement des abeilles affairées sur cette manne providentielle riche en nectar, même si ses fleurs sentent peu contrairement à son cousin. Ce tilleul signe l’ambiance « ravin » avec un sol assez riche et profond qui s’est développé sur ces pentes de roches métamorphiques. 

Tronches de trognes

Trogne tourmentée d’érable qui vous surveille !

Tout au long de cette montée et aussi après avoir dépassé le château (pour rejoindre le point de départ), on croise plusieurs « tronches » vénérables de vieux arbres de type têtards très anciens, autrefois taillés régulièrement mais qui maintenant vieillissent sans être « rajeunis » régulièrement (voir la chronique sur les arbres têtards). De ce fait, plusieurs d’entre eux ont fini par succomber à leurs caries internes qui ont creusé et fragilisé leurs troncs difformes. Une grosse souche tronçonnée porte un long « bec » recourbé : même morte, elle continue à servir de milieu de vie pour toute une cohorte d’insectes amateurs de bois mort (saproxyliques), une part essentielle de la biodiversité forestière (voir la chronique).  Un vieux têtard ceinturé de grosses tiges de lierre telles des varices monstrueuses s’est lui cassé à sa base en travers du chemin offrant sa carcasse en spectacle. D’autres tiennent bon comme cet érable champêtre au tronc bas et qui peine à porter ses énormes branches qui vont finir par le déséquilibrer et le faire chuter un jour de tempête. La palme de l’originalité revient à ce superbe têtard un peu plus haut que le château : ses énormes branches arquées ont « réitéré » des troncs verticaux (voir la chronique sur cette notion de réitération). Un monument naturel qui mériterait la même attention que le Château mais que peu de visiteurs doivent remarquer : il mériterait à tout le moins une petite signalétique pour le mettre en valeur et assurer sa protection. 

Certains de ces vieux arbres situés en bordure supérieure éclairée du côté du château se distinguent de plus par leurs branches couvertes de manchons de lichens « buissonnants (frutescents), indicateurs de la qualité de l’air et d’une certaine humidité atmosphérique : pour en savoir plus, voir la zoom-balade de St Cirgues, elle aussi au bord de la Sioule.

Aux pieds du monstre 

Nous voici arrivés à hauteur du château maintenant bien visible ; un sentier se détache à droite  montant vers la forteresse. Pour apprécier les dimensions impressionnantes de la « bête », nous allons d’abord longer vers la droite ses imposantes parois abruptes. Cà et là des trouées crèvent les tourelles et laissent entrevoir des colonisateurs impénitents dont les graines ont été apportées par le vent ou par les déjections des oiseaux : là un cornouiller sanguin ou ici une belle touffe de vipérine. On peut aussi admirer le remarquable travail de restauration entrepris pour consolider ces ouvertures béantes très fragilisées. 

On atteint ainsi l’extrémité de la forteresse par en dessous avec une butte rocheuse colonisée par une pelouse dense de brachypode penné fleurie d’hélianthèmes nummulaires et de belles touffes d’origan, une plante hyper attractive pour les papillons demi-deuils, myrtils ou procris très présents. . Des pans rocheux massifs s’élèvent vers la base du château avec les rosettes bleutées du grand orpin, les colonies jaune vif des orpins réfléchis et les pompons soyeux du trèfle des champs.

De grandes ombellifères blanches en pleine floraison ponctuent ce décor sur le rebord : le peucédan noir ou peucédan des montagnes dont nous avions longuement parlé dans la chronique sur St Cirgues. Son abondance signe la conjugaison du rocher métamorphique acide et de l’exposition en plein soleil que l’on synthétise en écologie par le terme ésotérique de xérothermique ! Un grand papillon noir et blanc se déplace de son vol dansé : un silène qui patrouille et contrôle son territoire (voir la chronique sur ce papillon). 

Un petit arbre touffu se dresse au milieu de ces rochers avec un feuillage dense vert sombre : un cerisier de Sainte-Lucie. En Auvergne, ce petit arbre qui recherche la chaleur, se trouve le plus souvent à proximité d’anciens châteaux ; il s’est probablement naturalisé au Moyen-âge à partir de cultures pour son bois très dur avec un très beau poli et recherché aussi pour chauffer les fours de boulanger ; on l’utilisait aussi comme porte-greffe très rustique et résistant à al sécheresse pour les formes basses de cerisiers et pruniers. Il est sans doute le seul rescapé « vivant » de cette époque lointaine et a survécu comme les murs de la forteresse mais en meilleur état ; il a d’ailleurs depuis conquis une partie de la plaine de Limagne souvent à proximité des villages ! 

Et au fond coule la Sioule

Deux avancées sur le rebord du précipice permettent  de découvrir l’autre face du château et la panorama de la vallée de la Sioule en contrebas. Les masses rocheuses couvertes de mousses et de lichens variés se succèdent en parois abruptes et en têtes qui s’avancent au-dessus du vide. Les touffes des peucédans noirs s’accrochent dans les replats des vires.

Cherchez bien : un faucon crécerelle est perché dans les rochers !

Des chênes rabougris aux branches habillées de lichens (voir ci-dessus) composent une maigre couverture boisée en compagnie de divers arbustes dont des cerisiers de Sainte-Lucie. Sur les dalles rocheuses à plat se développent les colonies fleuries de l’incontournable orpin blanc aux tiges rougies. Sous les avancées rocheuses, dans les facettes en retrait et donc abritées on repère de grandes taches d’un jaune intense très lumineux, comme de la peinture ajoutée. Il doit s’agir de Chrysothrix chlorina, un lichen dit lépreux (formé de granulations en poussière) typique des parois verticales protégées de la pluie par des encorbellements comme ici ; il a besoin d’une atmosphère ambiante assez humide mais doit se protéger de l’exposition directe au soleil. 

150m plus bas, s’étendent de vastes prés fauchés qui soulignent le sillage majestueux de la Sioule qui coule en direction du pont de Menat. Elle attire les pêcheurs et des groupes de canoéistes tandis qu’un héron cendré la survole tranquillement. Mais nous allons devoir faire demi-tour faute d’aile volante !

Arche refuge

En revenant vers l’entrée du château, on arrive sur de grands murs faits de dalles plates de schiste avec deux arches et des escaliers qui conduisent vers le chemin supérieur de l’entrée. Faits de pierres non jointées mais soigneusement empilées, ces murs offrent un refuge idéal pour la flore dite saxicole (des rochers) typique des vieux murs et une belle leçon de survie en milieu difficile. 

Tout de suite, on remarque un petit arbuste épineux qui porte des fruits teintés de bronze : le groseillier à maquereaux sauvage ; nous vous invitons à lire la chronique consacrée à ce mini-fruitier méconnu mais vraiment intéressant. Une fougère excelle dans ces sites très secs : le cétérach officinal ; cette espèce hyper spécialisée est capable d’entrer en vie ralentie en se desséchant fortement sans mourir et de reverdir en très peu de temps à la moindre pluie importante ; on parle de reviviscence. A l’état sec comme maintenant, ses frondes recroquevillées exhibent leur face inférieure feutrée de poils roux très denses qui limitent la transpiration. En sa compagnie vivent des espèces moins spécialisées et plutôt ubiquistes mais capables de surmonter la sécheresse via de puissants appareils racinaires insinués entre les pierres : l’euphorbe petit-cyprès, la pimprenelle ou l’herbe-à-Robert (voir la chronique sur cette espèce). Au sommet du mur, les touffes sèches penchées d’une graminée, le brome des toits, symbolisent une troisième stratégie : pousser très vite tant qu’il y a un peu d’eau, fructifier puis sécher ! Enfin, parmi les touffes de mousses desséchées (elles aussi reviviscentes) se dressent des tiges droites portant des grappes de fruits pendants : une plante « grasse » qui a déjà bouclé son cycle et perdu ses feuilles charnues : l’ombilic ou nombril-de-Vénus (voir la chronique sur cette crassulacée). 

Balcon de l’abécédaire 

Remontons vers la passerelle de l’entrée ; avant d’entrer, sur la gauche, on peut accéder à une plate-forme aménagée en surplomb de la vallée et qui offre une vue sur la face « Sioule » du château et une nouvelle zone rocheuse. Les travaux ont été accomplis avec notamment la participation de Gilles Clément, le chantre du « jardin en mouvement ».

Balcon de l’abécédaire qui surplombe les gorges

Je ne sais s’il a conseillé les intervenants à propos de la conservation de la flore sauvage amis en plein milieu de la zone toujours en chantier et interdite d’accès trônent plusieurs pieds héraldiques de molène pulvérulente de toute beauté avec, en fond de toile, une paroi de pierres teintées de lichens orange vif ! Un pied implanté au sommet d’un mur émerge même entre les travées de la passerelle ! Chapeau pour ce respect de la flore sauvage sur un site touristique ! 

Au niveau de la plate-forme a été installé un abécédaire sous forme de plaques avec chacune une définition pour une lettre ; j’en ai retenu trois concernant plus particulièrement l’environnement naturel ; un panneau pédagogique explique aussi la notion de tiers paysage. 

De ce balcon, on peut prendre le temps d’observer la faune. Un couple de faucons crécerelles avec un jeune de l’année crient sans cesse dans la falaise et plongent en piqué avant de remonter pour survoler les tours ébréchées. Les hirondelles des rochers vont et viennent : elles ont l’embarras du choix pour accrocher leur nid sous une avancée de pierres. Les lézards des murailles se chauffent au soleil. 

Mur végétal

Revenons vers l’entrée et avançons : nous longeons un grand pan de mur restauré et rejointé mais sur lequel pousse toute une flore diversifiée qui, là aussi, a été épargnée et laissée libre de prospérer. Spectacle rare sur un monument historique où, la plupart du temps, on s’acharne à éradiquer toute trace de vivant au nom de je ne sais quel pseudo-souci d’esthétisme qui oublie que les non-humains ont autant leur place que les hommes ici ! Aucune de ces plantes ne menace l’intégrité de ce mur restauré ! 

Pour célébrer cette attitude positive rare, je ne résiste pas à présenter la galerie complète des plantes sauvages qui ont recolonisé ce mur ; chacune d’elles est, pour moi, aussi digne d’intérêt que n’importe quel tableau ou sculpture ! Parmi les raretés relatives, quelques unes interpellent : le réséda jaunâtre aux hautes tiges longilignes (fin de floraison), une tinctoriale majeure au Moyen-âge (voir la chronique consacrée à cette espèce) ; la ballote fétide, une médicinale qui recherche la compagnie des hommes ; de nouveau le petit groseillier à maquereaux ; … Un musée naturel à ciel ouvert ! 

Au lavoir

Blot-Rocher

La balade s’achève en revenant vers le village de Blot-Rocher en passant près du parking aménagé d’où on peut jeter un dernier regard sur la forteresse. De vieilles maisons « dans leur jus » vous accompagnent. On notera sur la plupart des maisons des pignons à redents (ou redans) dits encore « à pas de moineaux ». Ils sont typiques de ce secteur de la vallée de la Sioule et remontent au Moyen-âge. Ils avaient plusieurs usages : bloquer le chaume des toits pour empêcher qu’il ne soit arraché par des coups de vent ; empêcher l’infiltration d’eau dans les murs via les pierres plates posées sur chaque gradin ; faciliter l’accès au couvreur ou au ramoneur. Leur présence ici tient peut-être à la nature de la roche locale schisteuse qui se délite facilement en dalles plates imperméables. Et en plus, ces redents ajoutent un certain esthétisme et constituent autant de perchoirs faciles pour les oiseaux ! 

Passé le village, nous atteignons le lavoir un peu caché à droite au fond d’un vaste emplacement, aménagé en place de pique-nique (avec des tables ombragées !). De belles touffes de fougère mâle ont colonisé l’intérieur du lavoir abandonné. Plusieurs grands saules blancs offrent leur belle écorce en tresses cordées du plus bel effet. 

Retrouvez le début de cette balade qui part de ce lavoir et rejoint le parking de la D109 via le vallon du Busseret dans la chronique « le vallon des papillons » pour d’autres découvertes naturalistes bien différentes. 

Accès : Parking avec grand panneau sur la D 109 qui part du pont de Menat vers Lisseuil ; le sentier balisé démarre juste en face le parking de l’autre côté de la route. Départ à 375m et montée régulière jusqu’au château (477m) puis jusqu’au lavoir du hameau de Blot-Rocher (514m), point de départ du circuit complet de Château-Rocher.