Rumex obtusifolius

rumex-panorama

Colonie très dense de patience sauvage dans une prairie pâturée.

A l’échelle mondiale, la patience sauvage est classée comme l’une des « mauvaises herbes » les plus problématiques surtout dans les prairies mais aussi dans les cultures. Elle réduit fortement la quantité et la qualité du fourrage dans les prairies. Ce caractère invasif et nuisible concerne les pays où elle a été introduite assez récemment comme au Japon où 60% des prairies permanentes sont infestées mais aussi, fait plus inhabituel, des pays de son aire d’indigénat en Eurasie. Ainsi en Europe centrale, elle pose de sérieux problèmes dans les prairies où, une fois installée, il devient très difficile de s’en débarrasser sauf par des méthodes chimiques très nocives pour l’environnement. Sa présence devient un frein pour la conversion en agriculture biologique ! En Allemagne, on estime que 7 fermes sur 10 sont touchées par ce fléau ; en Suisse son arrachage est obligatoire.

Quelles sont les raisons de ce succès et comment a t’elle pu devenir une plante envahissante dans son aire naturelle ?

Une reproduction sexuée débridée

La patience sauvage concentre une série de traits biologiques(3) au niveau de sa reproduction qui en font une colonisatrice idéale.

Dès la première année, elle peut atteindre 1,50m de haut, preuve de sa capacité de croissance étonnante. Elle peut fleurir dès sa première année et plusieurs fois par an, jusqu’en automne voire même en début d’hiver s’il fait doux. Elle produit un grand nombre de graines : de 100 à plus de 60 000 par plante et par an (selon la taille). Ces graines s’accumulent pour une part dans le sol et constituent une banque de graines particulièrement fournie puisque des estimations donnent 5 millions de graines par mètre-carré pour les 15 premiers centimètres du sol ! Cela dit, la mortalité de ces graines reste très élevée avec 90% de pertes. Par contre, elles peuvent rester viables sur de longues périodes, jusqu’à 80 ans. Mais, la viabilité diminue avec le temps : après 3 ans dans le sol, 94% des graines germent mais après 21 ans, on descend à 83%.

Dès la fin de la floraison, dans la semaine qui suit, 15% des graines peuvent déjà germer ; 18 jours après la fin de la floraison, on passe à 90% ! Autrement dit, la patience sauvage peut très rapidement investir le moindre espace vide par la germination presque immédiate de ses innombrables graines ; dans les prairies, ces vides proviennent souvent du piétinement du bétail (surtout en cas de surpâturage) mais aussi des bouses ou tas de crottins qui créent des taches en plus enrichies en nutriments.

Toutes les graines ne tombent pas au pied des plantes mères. Elles peuvent être entraînées à grande distance par le vent grâce aux excroissances du fruit (valves dentées) ou par l’eau en flottant ; si elles sont consommées par le bétail ou des oiseaux, elles traversent le tube digestif sans être altérées et peuvent donc germer après, éventuellement, avoir été déplacées avec, en prime, du fumier pour germer !

Sa botte secrète : la racine !

La patience sauvage est une vivace par sa racine puissante qui peut descendre jusqu’à 2,50m de profondeur. Mais son gros avantage réside avant tout dans son pouvoir de régénération. A la partie supérieure, des bourgeons dormants repartent au printemps et assurent la pérennité. Dès l’âge de trois ans, la racine principale créé des racines secondaires latérales qui grossissent, se ramifient et finissent par devenir à leur tour des racines principales : le pied originel a donc ainsi tendance à s’étaler, un peu de manière clonale, ce que les botanistes appellent « la stratégie de la phalange » !

En cas de cassure de la racine, notamment dans les cultures, le moindre fragment de racine peut redonner une plante nouvelle et très rapidement, à condition qu’il ne soit pas trop profond et que ce soit un morceau de la partie supérieure.

Cet appareil souterrain puissant lui confère une supériorité notamment face au pâturage ou à la fauche, deux traitements auxquels elle résiste bien, étant capable de repartir très vite.

Une compétitrice hors pair

La patience sauvage ne devient envahissante que dans des conditions d’enrichissement artificiel du milieu en nitrates notamment par épandage de purin dans les prairies. elle est donc globalement favorisée par l’eutrophisation générale des milieux terrestres et aquatiques. Néanmoins, elle doit affronter la compétition des autres espèces, dont les graminées, qui elles aussi se trouvent stimulées par ces apports. Mais sa racine lui procure alors un avantage décisif.

Des chercheurs suisses (2) ont installé des écrans transparents sur des portions de prairies pour créer une sécheresse artificielle locale. Face à ce challenge, la patience sauvage augmente sa production de feuilles et de tiges au point de représenter 80% de la biomasse totale végétale au bout de deux ans de ce traitement ; grâce à ses racines qui peuvent accéder à de l’eau en profondeur, inaccessible à la majorité des autres herbacées aux racines superficielles, la patience maintient une capacité de photosynthèse qui la rend pratiquement insensible à cette sécheresse provoquée. En plus, comme les autres espèces meurent rapidement, les graines de la patience germent très vite dans les vides ainsi crées ce qui explique sa suprématie acquise en moins de deux ans. Pendant l’été caniculaire de 2003, les météorologues suisses avaient remarqué que la concentration de pollen de patience dans l’air était restée stable alors que celle du pollen des graminées avait nettement diminué.

En début de sécheresse, la patience augmente fortement le prélèvement d’azote du sol qu’elle stocke en grande partie dans ses racines ; elle épuise le sol et se prépare ainsi un stock de survie qui va lui faciliter sa survie ultérieure. Dans la perspective du réchauffement climatique avec des étés plus chauds et plus secs, il y a donc du souci à se faire par rapport à l’invasion de la patience sauvage !

En situation de compétition avec d’autres herbacées (1), on observe que la patience surinvestit dans la production de racines plutôt que dans les tiges et les feuilles ; elle peut ainsi attendre le moment où les concurrents vont avoir une petite faiblesse (par exemple lors d’un coup de chaleur) !

La toxicité comme arme ultime

A la cassure, sa racine présente une teinte jaune safran (que l’on retrouve d’ailleurs chez la rhubarbe, une proche cousine) qui indique la présence de composés phénoliques toxiques dont des anthraquinones ; cette charge chimique la protège contre les attaques des bactéries et des champignons ce qui la rend très résistante à la décomposition : en sol pauvre, une racine peut survivre plus de 4 ans. Elle se trouve aussi protégée des attaques des rongeurs en hiver notamment.

En coupe, la racine présente une teinte jaune safran très typique et qui traduit la présence de substances toxiques colorées.

En coupe, la racine présente une teinte jaune safran très typique et qui traduit la présence de substances toxiques colorées.

Le feuillage et les parties souterraines sont riches en acide oxalique, toxique s’il est consommé en grandes quantités. De ce fait, la patience possède assez peu de « prédateurs » ; quelques uns se sont spécialisés pour résister à ces armes chimiques comme la chrysomèle de l’oseille (Gastrophysa viridula) dont les larves et les adultes se repaissent du feuillage qu’ils réduisent en dentelle. Les chenilles du cuivré des marais, superbe papillon orange satiné, s’en nourrissent aussi mais leurs faibles populations n’affectent guère la dynamique de la patience. Les feuilles contiennent de la rumicine qui peut provoquer des troubles gastriques ce qui explique en partie le peu d’appétence du bétail en général pour cette plante et qui favorise encore plus son expansion dans les pâturages.

La patience sauvage a donc un bel avenir devant elle et risque de rester encore longtemps un cauchemar pour les éleveurs !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Competitive ability of Rumex obtusifolius against native grassland species: above- and belowground allocation of biomass and nutrients. J. G. ZALLER Journal of Plant Diseases and Protection 19, pp 345-351 (2004)
  2. Competitive advantage of Rumex obtusifolius L. might increase in intensively managed temperate grasslands under drier climate. Anna K. Gilgen, Constant Signarbieux, U. Feller, N. Buchmann. Agriculture, Ecosystems and Environment 135 (2010) 15–23
  3. Ecology and non-chemical control of Rumex crispus and R. obtusifolius (Polygonaceae): a review. J G ZALLER. Weed Research 2004 44, 414–432
  4. Light, temperature and burial depth effects on Rumex obtusifolius seed germination and emergence. S BENVENUTI, M MACCHIA & S MIELE. Weed Research 2001 RI, 177-186

A retrouver dans nos ouvrages

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