Cette chronique est dédiée à la biodiversité des communes des coteaux du val de Morge en Limagne auvergnate. Vous pouvez retrouver toutes ces chroniques locales en cliquant ici

08/10/2020 14H25 Alors que je photographie une vieille porte de grange burinée par le temps près de la place de Loche, mon attention est attirée par un insecte noir qui atterrit : une grande guêpe (pas loin de 3cm de loin) aux ailes fumées et aux pattes jaune citron très contrastées. Comme elle se laisse observer, j’ai tout loisir de lui tirer le portrait et je note rapidement son incroyable « taille de guêpe » occupée par un long pétiole. Ceci est la signature typique d’une famille de guêpes, les Sphégidés. De retour à la maison, j’ai peu de mal à l’identifier ; je tape sur un moteur de recherche « sphégidé noir à pattes jaunes » et elle apparaît tout de suite dans les premières images proposées. Il s’agit de la pélopée maçonne, une belle espèce impressionnante, une première pour moi ! J’ai donc cherché à en savoir plus sur cette espèce.

Portrait robot 

Le corps est tout noir profond sauf des taches jaunes : sur le premier article à la base des antennes (scape), sur la pièce du thorax où s’articulent les ailes (tegulae), la pointe du thorax ; une rayure orange apparaît sur le début de l’abdomen (gastre) séparé du thorax par le long pétiole tout noir. Les pattes sont jaune citron avec des taches noires près de certaines articulations. Signalons tout de suite que bien qu’on la nomme « guêpe », elle ne présente aucun danger ; elle ne fait pas partie de la famille des vraies guêpes ou vespidés. 

Le genre Pélopée (Sceliphron) compte trois espèces indigènes en France mais strictement méditerranéennes auxquelles sont venues s’ajouter au cours du dernier demi-siècle, trois autres espèces introduites et naturalisées dont la pélopée maçonne et la pélopée courbée (d’origine asiatique), en pleine expansion. Cette dernière se distingue de la pélopée maçonne par ses pattes tirant sur l’orangé et son abdomen rayé de jaune ; elle serait désormais présente dans une bonne partie de l’Europe. Il ne faut pas les confondre non plus avec une autre guêpe indigène, l’eumène inguiculé, avec elle aussi une super taille de guêpe, dont la coloration rappelle celle d’un frelon et que j’observe chaque année dans mon jardin. 

Eumène inguiculé, une autre guêpe maçonne indigène celle-ci et photographiée dans mon jardin à Saint-Myon

Nord-américaine. 

La pélopée maçonne est originaire d’Amérique du sud du Canada jusqu’en Amérique centrale et aux Antilles. Elle a été introduite en Europe, en Australie et dans certaines îles du Pacifique. 

En France, la première mention date de 1945 dans les Yvelines mais est restée ensuite sans lendemain : on pense qu’elle elle avait alors été apportée par les troupes américaines sans doute via un nid accroché sur un objet (voir ci-dessous). Puis, à partir d’une nouvelle introduction accidentelle dans les années 1970, elle a commencé à s’installer dans le sud de la France au climat plus favorable pour son maintien. De là, elle a lentement colonisé le Midi avant de se propager en direction du sud-ouest ; plus récemment, à partir des années 2000, elle a entrepris une expansion vers le nord ; dès 2009, on la signale dans le Jura ou en Alsace. Depuis 2007, les observations se multiplient en Allemagne. En 2017, elle est notée pour la première fois en Belgique. Autrement dit, elle doit désormais avoir conquis une grande partie de notre pays à la faveur du réchauffement climatique. Sur le site Faune-Auvergne (voir en bibliographie), on peut éditer la carte des données actuelles recueillies et on voit que l’espèce a déjà été rencontrée en plusieurs points de la région (l’un des points blancs en haut à gauche correspond à l’observation de Saint-Myon que j’ai rentrée sur le site). L’espèce doit donc être bien installée en Auvergne et sa présence ici n’a donc rien d’exceptionnel !

Carte des données recueillies en Auvergne entre 2011 et 2020 sur le site Faune Auvergne

Une autre espèce de la même famille est elle aussi désormais installée dans toute la France et abondante sur la commune : la guêpe mexicaine (Isodonta mexicana), toute noire : elle bâtit des nids de paille dans des cavités dont des rebords de fenêtres et dans lesquelles elle stocke des sauterelles arboricoles paralysées pour ses larves (voir la chronique). 

Maçonne ? 

Mais au fait, pourquoi ce qualificatif de maçonne ? Comme un certain nombre de membres de sa famille, la pélopée femelle construit des nids à l’aide boue qu’elle récolte dans des flaques d’eau ou au bord de l’eau. D’ailleurs, dans son pays d’origine, elle se localise souvent non loin de zones humides et ce n’est peut-être pas un hasard si le lieu de cette observation, la place de Loche, se trouve tout près de la Morge. Avec des boulettes de boue, elle bâtit donc des cylindres de terre assez volumineux les uns à côté des autres, collés sur des supports variés : sous un pont, sous un proche, sous un auvent, … Elle utilise en fait la même technique que l’hirondelle de fenêtre qui bâtit des coupes en boulettes de boue accrochées sous les rebords des toits. 

Capture d’écran sur le site Aramel (voir bibliographie) montrant les cellules de boue séchée.

Son nom étrange de pélopée est d’ailleurs dérivé de son ancien nom latin (Pelopeus) fabriqué à partir des mots grecs pelos pour boue ou argile et poeio pour confectionner. Les anglo-saxons les appellent mud dauber que l’on peut traduire par « barbouilleuse de boue » ! Notez aussi son qualificatif latin de caementarium qui parle de lui-même ! 

En Amérique du nord, une étude a montré que la pélopée participait indirectement à la dispersion d’algues microscopiques et de micro-organismes vivant dans les flaques d’eau : ils se collent sur son corps ou ses pattes et ses ailes quand elle s’active à récolter une boulette de boue qu’elle malaxe entre ses mandibules. Elle les transporte donc avec elle et les dissémine ainsi dans son environnement !

Arachnophile 

Chacun de ces cylindres ou cellules va recevoir un œuf qui va donner une larve en forme de gros asticot. Avant de pondre, la femelle part à la chasse aux araignées qu’elle paralyse d’un coup d’aiguillon. Elle en stocke ainsi une dizaine (de 6 à 15 par cellule) qui vont rester vivantes sans pouvoir bouger et serviront de réserves de nourriture pour la future larve. Une fois la cellule bien chargée, la femelle pond un œuf sur une des araignées entreposées puis bouche l’entrée avec une couche de boue comme un couvercle. Elle construit une autre cellule et ainsi de suite, pouvant ainsi en bâtir plus de vingt les unes à côté des autres ! A l’intérieur, la jeune larve se repaît des araignées en dévorant surtout l’abdomen et une partie de l’avant du corps laissant les pattes et la tête. Quand elle a achevé son développement (et dévoré toutes ses provisions !), elle se métamorphose en nymphe immobile. Elle passe l’hiver à l’intérieur de la cellule close et, au printemps suivant, un adulte éclot et sort en découpant le couvercle. 

Dans une étude réalisée en Italie des chercheurs ont analysé le contenu de ces cellules et constaté que cette espèce présentait une certaine spécialisation dans ses choix. Elle choisit préférentiellement des araignées de la famille des Aranéidés (celles qui font de grandes toiles circulaires ou orbitèles) dont les argiopes frelons (voir la chronique sur cette belle araignée) ; et pourtant dans son environnement immédiat où elle chasse ce sont des araignées du type lycoses, se déplaçant au sol, qui prédominent largement mais sont délaissées. Elle semble de plus choisir de jeunes araignées, sans préférence de sexe, d’une taille comprise entre 4 et 6mm. 

Reste donc à découvrir ces nids à Saint-Myon : ouvrez l’œil, peut-être avez-vous déjà ces nids de boue séchée près de chez vous ; si c’est le cas, prenez les en photo, et faites moi passer une image que je publierai en complément de cette chronique !

Bibliographie

Factors affecting spider prey selection by Sceliphron mud-dauber wasps (Hymenoptera: Sphecidae)
in northern Italy. CARLO POLIDORI et al. Animal Biology, Vol. 57, No. 1, pp. 11-28 (2007) 

First observation of another invasive mud dauber wasp in Belgium: Sceliphron caementarium (Drury, 1773)(Hymenoptera: Sphecidae). Jorgen RAVOET, Yvan BARBIER & Wim KLEIN Bulletin de la Société royale belge d’Entomologie/ 153 (2017): 40–42 

Site aramel.free.fr

Site Faune-Auvergne