Achillea maritima

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Lors d’un récent séjour automnal en Vendée, j’ai eu l’occasion de découvrir dans le long cordon de dunes qui borde la forêt d’Olonne une superbe station de diotis maritime, une de ces plantes que l’on n’oublie pas et strictement inféodée à ce milieu. D’emblée, je me suis dit qu’il fallait partager cet émerveillement que je ressentais devant ce petit bijou végétal que je n’avais pas revu depuis fort longtemps. Aussi, dès mon retour, je m’attache à rédiger une chronique sur cette plante pleine de surprises.

Tout de blanc vêtu

Là où il n’est pas trop malmené, le diotis maritime tend à développer de fort belles colonies : en trouver une s’avère une tâche des plus faciles si l’on omet sa rareté croissante qui va vous demander de la ténacité dans vos recherches ; cette plante est voyante même de très loin avec son revêtement blanc pur intégral qui ne laisse guère poindre que les petits capitules jaune d’or au moment de la floraison en fin d’été (ou en été dans le Midi) sur la côte atlantique. Les botanistes nomment indument (du latin indumentum, vêtement !) ce manteau cotonneux qui enveloppe tiges et feuilles au point de masquer la forme de ces dernières qui paraissent entières alors qu’elles sont en fait crénelées. Nous avons déjà eu l’occasion dans une autre chronique consacrée à trois plantes des dunes (dont le diotis) d’en détailler la structure et les rôles dans la vie au sein de ce rude milieu balayé par les vents, les projections de grains de sable et les embruns et d’une extrême aridité une bonne partie de l’année.

Ce n’est pas une immortelle

On pourrait confondre le diotis avec une autre plante très commune dans les dunes atlantiques et de la même famille (les Astéracées ou Composées) : l’immortelle des sables (Helichrysum stoechas), elle aussi aux tiges et feuilles revêtues d’un indument blanchâtre mais bien plus ras et offrant de petits capitules jaunes en été. Mais cette dernière forme des touffes étalées à la base, avec des feuilles très étroites et espacées et dégage une indicible odeur épicée de curry que l’on perçoit de fort loin.

Le diotis maritime se présente sous forme de touffes de tiges dressées, plus ou moins ensablées à leur base selon le contexte, robustes, ligneuses et pouvant atteindre 50cm de haut. Les feuilles ovales, de 5 à 20mm de long, semblent un peu charnues mais restent peu distinctes donc sous leur indument blanc. La plante dégage une odeur aromatique qui n’a rien à voir avec celle de l’immortelle et perceptible seulement d’assez près. Les capitules globuleux de fleurs jaunes en forme de tube, groupés en corymbes (au même niveau), se trouvent eux aussi encadrés à l’extérieur par des bractées laineuses. Un subtil détail, visible seulement à la loupe, justifie le nom étrange (et peu parlant !) de diotis (« deux oreilles » ; voir le mot otite) : à la base du tube de la corolle de chacune des fleurs très serrées entre elles, il y a deux minuscules oreillettes ! Les anglais, plus pragmatiques, la surnomment cottonweed, la cotonnière mais ce nom s’applique aussi à nombre d’autres composées proches des gnaphales.

Finalement, c’est une achillée !

Jusqu’à récemment, le diotis avait connu plusieurs noms scientifiques successifs dont celui de Diotis maritima à l’origine de son nom « commun » ou bien de Diotis candidissima (« blanchissime » !) puis de Otanthus maritimus (avec de nouveau la racine oto pour oreille). On tendait donc à le classer dans un genre (Diotis ou Otanthus) à part où il se retrouvait seul. Plusieurs analyses ADN récentes (1) démontrent de manière constante qu’en fait le diotis n’est qu’une achillée à la morphologie un peu extrême suite à son adaptation au milieu dunaire ; de ce fait, il se nomme désormais Achillea maritima mais pour l’usage courant on lui conserve plutôt son ancien nom de diotis pour mieux le singulariser. Deux des caractères supposés auparavant distinctifs, la forme des feuilles et l’absence de ligules périphériques, se retrouvent en fait par exemple chez l’achillée très odorante (A.fragrantissima) ; plusieurs autres espèces d’achillées des hautes montagnes présentent elles aussi un indument cotonneux.

Bientôt plus qu’un fantôme ?

Le diotis fait partie de cette flore très spécialisée des sables maritimes comme le liseron des dunes, le lis de mer ou l’euphorbe des dunes (voir la chronique qui leur est consacrée). Il a une répartition limitée sur la façade atlantique depuis les côtes du Portugal jusqu’en Normandie au nord (au nord-est du Cotentin) avec une station excentrée en Irlande (il a disparu du reste de la Grande-Bretagne) ; il peuple aussi les sables des côtes méditerranéennes, Corse comprise et au delà. Il a connu au cours des dernières décennies une très forte régression surtout sur la façade atlantique en France et est désormais inscrit sur la liste des espèces protégées dans toutes les régions où il est présent ; il a disparu de Charente et s’est beaucoup raréfié de la Vendée au Finistère.

Ses principaux ennemis restent les grands aménagements (campings, infrastructures, lotissements) aux dépends des zones dunaires mais aussi la fréquentation touristique via le piétinement répété très destructeur pour accéder aux plages.

Il est sans doute aussi sensible au réchauffement climatique du fait de sa situation en limite de répartition. Pourtant, là où des mesures simples sont prises comme des enclosures peu coûteuses à mettre en place qui incitent à ne pas piétiner, le diotis prospère et développe même ses colonies, y compris dans le Cotentin où on pourrait le penser en situation limite. En Corse, une expérience de replantation par boutures a fourni de bons résultats avec peu de dépenses. Donc, avec un peu de volonté et de pédagogie auprès du public, le diotis devrait pouvoir garder sa place et même servir d’emblème de la fragilité et de la beauté des dunes, une sorte de … panda blanc !

Le roi de la dune blanche

Le diotis s’installe dans la partie la plus avancée des dunes, soit sur le versant externe face à la mer (« l’avant-dune » ou dune embryonnaire) soit juste en arrière dans la dune non encore fixée, mouvante, souvent remaniée par l’action des vents violents lors des tempêtes et soumise régulièrement, lors des grandes marées au moins, à des projections d’embruns salés. C’est ce qu’on appelle la dune vive ou dune blanche par opposition à la dune grise, plus en arrière, en voie de colonisation par les tapis des mousses et souvent les vastes colonies d’immortelles qui lui donnent, de loin, un aspect plus gris avec peu de sable nu.

Une étude menée en Espagne (2) sur 55 espèces des dunes dont le diotis a permis de dégager trois grands groupes de plantes définis chacun par un ensemble de traits fonctionnels. Le diotis s’inscrit dans un groupe d’espèces capable de supporter l’enfouissement partiel par le sable (voir la description des touffes semi-enterrées) : par son puissant appareil souterrain (rhizomes), il peut repousser après enfouissement et en même temps aller chercher l’eau en profondeur. Son feuillage protégé et un peu charnu lui permet de résister à l’abrasion due aux projections des grains de sable, au dessèchement et à la salinité relative du milieu. Enfin, ses fruits (non pourvus d’aigrette de poils comme ceux de nombreuses composées) sont dispersés avant tout par l’eau de mer (et un peu le vent qui les fait rouler).

Une autre étude (3) italienne montre que le diotis recherche des systèmes dunaires plutôt stables et globalement en progression vers la mer par accumulation de sable. L’érosion touristique généralisée et la montée progressive du niveau de l’océan, facteurs de recul des dunes, risquent donc de compromettre l’avenir de cette plante.

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Sur la plage du Veillon, suite à la tempête Xinthia notamment, la dune a subi une érosion considérable et a reculé tout en prenant un profil abrupt peu propice à la reconquête végétale. Vendée

 

Une mine d’or chimique

En région méditerranéenne notamment, le diotis est connu depuis longtemps comme plante médicinale à large spectre d’actions ; on l’utilisait en décoctions comme tonique, contre le manque d’appétit ou contre les rages de dents ; on l’a aussi prescrit dans le traitement des bronchites, de l’asthme, la dysenterie ou les problèmes d’inflammation de la vessie. Sous forme sèche, on l’introduisait aussi comme insecticide dans les maisons.

Les analyses chimiques modernes mettent effectivement en évidence un arsenal de substances chimiques très varié autant dans le feuillage que les racines. Une étude pharmacologique en Corse (4) a analysé l’huile essentielle que renferme cette plante riche en camphre et en monoterpènes dont plusieurs montrent une activité antibactérienne in vitro. Plus étonnant, une autre étude en Egypte (5) a identifié une nouvelle molécule, un tétrahydrofurane (acide auréonitolique) produit par un champignon microscopique endophyte (vivant dans les tissus de la plante) du genre Chaetomium : elle présente un activité cytotoxique quand on la teste sur certaines cellules cancéreuses.

Le diotis a donc encore beaucoup à nous révéler … si nous lui laissons le loisir de subsister à nos côtés, au soleil sur le sable chaud !

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BIBLIOGRAPHIE

  1. Changes in the circumscription of the genus Achillea (Compositae- Anthemideae) and its subdivision. FRIEDRICH EHRENDORFER & YAN-PING GUO. Willdenowia 35 – 2005.
  2. Plant functional types in coastal foredunes in relation to environmental stress and disturbance. García-Mora, M. Rosario*, Gallego-Fernández, Juan B. & García-Novo, Francisco. Journal of Vegetation Science 10: 27-34, 1999
  3. Coastline Dune Vegetation Dynamics: Evidence of No Stability. Daniela Ciccarelli & Giovanni Bacaro & Alessandro Chiarucci. Folia Geobot. 2012
  4. Chemical composition and antibacterial activity of Otanthus maritimus (L.) Hoffmanns. & Link essential oils from Corsica. A. Muselli et al. Flavour Fragr. J. 2007; 22: 217–223
  5. A New Tetrahydrofuran Derivative from the Endophytic Fungus Chaetomium sp. Isolated from Otanthus maritimus. A.H. Aly et al.. 2009 Verlag der Zeitschrift für Naturforschung, Tübingen

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le diotis maritime
Page(s) : 118-119 Guide des plantes des bords de mer