Graphosoma lineatum

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La punaise arlequin porte bien son nom avec sa livrée très contrastée rouge à rayures noires ; même son nom scientifique Graphosoma lineatum , pour une fois ne requiert aucune explication étymologique tant il est transparent dès le premier coup d’œil à cet insecte. Du fait de son ancien nom latin G. italicum, les anglais l’ont surnommé « l’Italienne au corps-peint », certains suggérant que c’était à cause des couleurs identiques à celles du maillot du club de foot Milan AC … sauf que le nom latin italicum remonte à 1766 à une époque (bénie ?) où les clubs de football aveint encore « relativement » très peu d’importance ! Elle a aussi reçu outre-Manche le surnom de punaise ménestrel (Minstrel bug) car certains archers ménestrels jongleurs portaient des tuniques bicolores rouge et noir.

Nous allons revenir à des considérations plus scientifiques pour interroger la fonction d’une telle livrée aussi spéciale et les mœurs de cette punaise arlequin très commune et en plus très facile à observer et photogénique à souhait.

Un pentatome

Au premier abord, on se dit que cette punaise n’a pas d’ailes et ne vole pas à cause de ce bouclier qui s’étend juste en arrière de la plaque thoracique large (qui donne l’apparence qu’elle a des épaules « carrées ») et de la tête : c’est le scutellum, une plaque dure en chitine issue du thorax qui recouvre presque tout l’abdomen. Mais si on enlève ce scutellum (sur un animal mort !), on constate qu’il y a bien deux paires d’ailes entièrement cachées. La paire supérieure, croisée à plat sur le dos, possède une base rouge dure prolongée par une expansion membraneuse nervurée : on parle d’hémélytre (« à moitié élytre »), type d’ailes caractéristique des Hémiptères et plus particulièrement du vaste groupe des Hétéroptères (mot à mot : ailes hétérogènes), les « vraies » punaises. La paire inférieure est presque entièrement membraneuse, sauf les nervures très renforcées. Pour voler, la punaise arlequin déploie ses ailes sur les côtés du bouclier, grâce à leur articulation basale à la jonction avec le thorax.

Le corps ovale à presque rond et aplati dessus (1cm de long environ), les antennes à cinq articles signent son appartenance à la famille des Pentatomidés, « les punaises puantes » (Stink bugs en anglais) ; pentatome fait allusion aux antennes découpées (tomos) en cinq (penta) articles. On y trouve notamment la punaise verte (Palomena prasina), très commune. La punaise arlequin se démarque des autres membres de la famille par son scutellum hyper développé qui lui procure une protection efficace contre les attaques des oiseaux qui n’ont pas un bec très fort.

Coucou, on est là !

Venons en à la fameuse livrée qui détone par son fond rouge vif brillant sur lequel se détachent quatre larges bandes noires longitudinales sur le scutellum, six sur le thorax dont deux qui se prolongent en V sur la tête. Sur les bords de l’abdomen qui « déborde » du scutellum, on note aussi des traits larges noirs en travers cette fois. Même les pattes à dominante noire portent un peu de rouge. Le maquillage rouge et noir ne s’arrête pas là et reprend dessous sous la forme de grosses taches noires régulièrement réparties et les yeux noirs placés sur le côté avec une tache … rouge au centre !

Comme si leur livrée n’était pas assez voyante, les punaises arlequins adoptent en plus un comportement lui aussi « voyant » : elles sont très souvent en groupes parfois denses sur les ombelles de leurs plantes nourricières (berces, angéliques, anthrisques, coriandre, fenouil, panicauts, panais, peucédans, carottes, …) dont elles sucent le jus des fruits à l’aide de leur rostre piqueur-suceur. Là, elles se tiennent au sommet des ombelles blanches ou jaunes, circulent au milieu des rayons des ombelles, vont et viennent visiblement sans chercher aucunement à se cacher …. ce qui serait bien difficile avec un tel motif coloré ! Ce comportement frise l’exhibitionnisme avec les accouplements qui durent longtemps, bien en vue !

Devant une telle débauche de signaux visuels, on se dit que cette espèce là devrait avoir disparu depuis longtemps car plus voyant et facile à capturer, y’a pas ! Il doit donc y avoir une astuce quelque part ?

Ca sent mauvais

Comme l’énorme majorité des membres du groupe des Hétéroptères dont font partie les Pentatomidés, la punaise arlequin possède une paire de glandes odorantes qui s’ouvrent par un minuscule orifice situé à la base de la troisième paire de pattes sous le thorax, une signature évolutive de ce groupe. Ces glandes secrètent un mélange complexe de dizaines de substances chimiques volatiles, à base d’aldéhydes et des molécules complexes à base de carbone et d’hydrogène (alcènes, alcanes, …) dont l’odeur et la puissance varient d’une espèce à une autre, même si il y a des points communs. C’est l’odeur désagréable associée qui vaut aux punaises leur nom, à partir de l’adjectif punais (dérivé de puer, putere en latin), peu usité, signifiant « qui sent mauvais ». Dans mon Berry natal, cet adjectif reste bien connu et on y appelle les punaises des « jopunais » !

Cette sécrétion odoriférante a un effet dissuasif sur certains prédateurs dont les oiseaux car elle communique à l’insecte un goût très désagréable. Elle peut même être un peu toxique voire mortelle vis-à-vis d’insectes prédateurs tels que les fourmis.

La punaise arlequin ne se contente pas de répandre son odeur en cas de menace mais elle peut en plus projeter à distance cette sécrétion ce qui irrite les yeux et la bouche (ou le bec) du prédateur. Un oiseau qui a saisi une punaise arlequin et qui subit cette projection, jette la punaise sur le côté et secoue son bec et le frotte pour le nettoyer.

Un signal anti-prédateur

Maintenant, la fameuse livrée et le comportement très voyant prennent tout leur sens quand on les associe à cette odeur : elles constituent un signal dissuasif destiné aux prédateurs, une couleur d’alarme : « pas la peine de me capturer, j’ai trop mauvais goût et vous allez le regretter » ! On qualifie ces substances de sémiochimiques, i.e. chargées de véhiculer une information (semio pour signal). Pour que çà marche, cela suppose que les prédateurs naïfs (qui entrent pour la première fois en contact) apprennent à associer la livrée très typique au fait que la proie est immangeable et l’évitent par la suite. Le comportement voyant des punaises facilite cette prise de contact et augmente les chances d’un apprentissage rapide. Il y a bien de la « casse » pour que çà fonctionne (la première fois, la punaise est tuée !) mais au final le bénéfice de protection reste supérieur aux pertes pour toute la population concernée. On appelle aposématisme (apo, au loin et semio, signal) ce recours à un signal visuel « fort » dissuasif envers les prédateurs, au moins pour une partie d’entre eux.

Au sein de la famille des Pentatomidés, la plupart des espèces conservent une livrée peu voyante, voire se confondant avec l’environnement (comme celle des punaises vertes), en dépit de leur capacité toute aussi forte à repousser par l’odeur. Quelques espèces comme les punaises du chou (Eurydema) possèdent bien des couleurs vives rouges mais avec des taches et points noirs ; la punaise arlequin (et les espèces très proches du genre Graphosoma) sont les seules à posséder une livrée aussi contrastée à base de grosses rayures en long : il s’agit donc là d’une innovation évolutive propre à ce genre.

Cà marche ?

Les faits exposés ci-dessus relèvent du discours théorique, du raisonnement « logique » (selon la pensée humaine !) mais qu’en est-il dans la réalité, dans la « vraie vie » ? Effectivement, les observations montrent que la punaise arlequin, comparativement aux autres punaises, semble moins attaquée par les prédateurs dont les oiseaux. Une étude menée en Europe centrale (1) sur des jeunes au nid de 46 espèces d’Oiseaux (surtout des Passereaux), montre que les punaises en général entrent largement dans leur régime alimentaire : au moins 57 espèces de 15 familles ont été identifiées avec une prédominance de grosses espèces, dont des pentatomidés. Onze des espèces recensées sont aposématiques mais n’y figure pas du tout … la punaise arlequin pourtant bien présente dans les habitats suivis !

Par contre, des observations menées sur des merles noirs élevés en captivité (2) montrent qu’ils peuvent apprendre à contourner cette défense chimique : ils avalent très rapidement la punaise avant qu’elle n’ait eu le temps de projeter son jet malodorant et âcre ou bien la frappent sur le fond de la cage jusqu’à ce qu’elle ait vidé tout son liquide ! D’autre part, des études montrent que le comportement peut varier largement même entre espèces d’oiseaux très proches comme chez les mésanges où les unes n’y touchent pas du tout (comme les mésanges bleues) et d’autres … quand même un peu !

Autrement dit, et comme toujours, il faut se méfier des généralisations et caricatures hâtives avec « dame Nature la parfaite » dès lors que l’on parle d’un processus coévolutif (proies/prédateurs) . Cet aposématisme, « évident » a priori, mérite des investigations plus poussées qui conduisent à nuancer quelque peu la présentation globale que nous venons d’en faire. Rien n’est simple en matière d’évolution et heureusement que c’est ainsi ! Ce sera l’objet d’une autre chronique à venir !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Are gregarious red-black shieldbugs, Graphosoma lineatum (Hemiptera: Pentatomidae), really aposematic? An experimental approach. Petr Veselý, Silvie Veselá, Roman Fuchs and Jan Zrzavý. Evolutionary Ecology Research, 2006, 8: 881–890
  2. Birds as predators of true bugs (Heteroptera) in different habitats. Alice Exnerová, Pavel Štys, Anton Krištín, Ondřej Volf & Martin Pudil. Biologia, Bratislava, 58/2: 253—264, 2003

A retrouver dans nos ouvrages

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