Oxycarenus lavaterae

Parmi les nombreuses espèces d’insectes qui, au cours des dernières décennies, ont connu une brusque expansion de leur aire de répartition originelle, la punaise du tilleul ne passe pas inaperçue par ses apparitions en masses considérables surtout en automne. Découvrons donc cette nouvelle venue et son parcours.

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Agrégat de punaises du tilleul en hiver. Artonne en Limagne (63)

Rapide portrait d’une envahisseuse

Cette punaise appartient à une famille proche des Lygaéidés, famille caractérisée entre autres par l’aspect aplati dessus et bombé dessous, des antennes avec quatre segments, des ailes antérieures durcies (élytres) avec une partie membraneuse terminale dotée de 4 ou 5 nervures et des yeux souvent assez gros. Longue de 5 à 6mm, la punaise du tilleul se reconnaît de loin à son aspect assez foncé : la tête et le thorax noirs et les pattes sombres contrastent avec la base du ventre d’un très beau rouge vif ; l’avant noirâtre se démarque du milieu rougeâtre et encore plus du bout membraneux des élytres translucide qui prend un aspect argenté typique vu de loin. Les élytres dépassent nettement le bout de l’abdomen. Les jeunes se distinguent par leur coloration rouge carmin avec l’avant noir, très voyant. Les antennes noires et courtes sont épaissies au bout.

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Deux adultes sur un tronc d’arbre : l’aspect tricolore de loin est frappant.

Mais le trait le plus typique relève du comportement hyper grégaire de l’espèce qui, en automne, forme des agrégats de centaines (ou de milliers) d’individus étroitement serrés et entassés les uns sur les autres sur les troncs des tilleuls le plus souvent.

Ce comportement rappelle celui des gendarmes ou pyrrhocores qui se regroupent aussi en amas denses, eux aussi souvent sur les tilleuls, mais presque toujours à la base des arbres alors que la punaise du tilleul se positionne au milieu des troncs ou sur la base des grosses branches, ce qui les rend encore plus visibles de loin.

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Les gendarmes se regroupent aussi mais en colonies moins denses et au pied des tilleuls.

Une progression rapide à travers l’Europe

L’aire originelle de cette espèce se situe dans le bassin méditerranéen. Depuis ce bastion, à partir des années 1980, elle a entamé une progression régulière vers le nord et l’ouest, conquérant un à un les différents pays européens comme le montre la carte ci-jointe.

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Carte de la progression vers le nord en Europe de la punaise du tilleul. les dates indiquées sont celles de la première apparition pour un pays donné. D’après diverses données recueillies sur le web et (1)

Cette expansion, qui coïncide avec d’autres du même style (comme la sauterelle méconème méridionale par exemple), est sans doute à relier au réchauffement climatique global qui rend possible la survie hivernale de cette espèce surtout en milieu urbain, au climat généralement plus chaud de quelques degrés par rapport aux campagnes environnantes. En effet, elle hiverne au stade adulte justement en se regroupant en agrégats sur des sites bien exposés. En suisse, à Bâle, on l’a vu résister à des périodes de froid à – 10°C sans subir de mortalité importante. Par contre, en Bulgarie, un épisode à – 15°C en hiver a décimé 99% d’une population suivie.

Un autre facteur de succès serait sa fécondité élevée, de l’ordre de celle des gendarmes qui sont florissants depuis longtemps en milieu urbain : une moyenne de 280 œufs par femelle a été dénombrée en Bulgarie. Les accouplements sont nombreux et répétés entre couples ce qui renforcerait les chances de reproduction. La dispersion des adultes (qui peuvent voler) se fait en mai au moment où les tilleuls commencent à fleurir.

Les modalités de cette expansion sont mal connues mais l’homme y tient sans doute une bonne part : ainsi, en Hollande, on invoque le transport de cette espèce vers le nord sur des plants de tilleurs cultivés en Italie ; autrement dit, de tels transports lui permettent de faire des « bonds » conséquents dans l’espace européen. En Bulgarie, d’autres modes de transport passif sont signalés comme le transport sur les vêtements humains à notre insu mais à plus courte distance.

Une punaise experte en malvacées !

Son nom latin spécifique de lavaterae signale que dans son milieu d’origine elle habite avant tout sur des lavatères, mauves ou hibsicus herbacées de la famille des malvacées. Or, au cours de son expansion, elle semble avoir presque partout, en dehors de son aire originelle, adopté de manière exclusive ou presque, les tilleuls sur les troncs desquels elle se cantonnent. Or, dans l’ancienne classification, on plaçait les tilleuls dans une famille à part, les Tiliacées, avant de les regrouper récemment avec les mauves et lavatères dans la famille des malvacées en raison de leurs parentés étroites. La punaise du tilleul semble donc bien avoir « flairé » cette parenté en adoptant le tilleul comme hôte de substitution. Avec leur rostre allongé, elles piquent les fruits des tilleuls pour se nourrir.

Ceci lui a permis sans doute de progresser plus vite dans son expansion car cet arbre est très répandu en milieu urbain et souvent planté en allées ou massifs dans des sites ensoleillés, donc propices à son épanouissement vu ses origines méridionales. L’écorce crevassée de cet arbre procure de plus de beaux abris. On peut l’observer aussi assez régulièrement sur l’hibiscus en arbre (Hibiscus syriacus), plus connu sous le surnom « d’oiseau bleu » et très cultivé comme ornementale. Remarquons que le gendarme, lui aussi d’origine méridionale ancienne, connaît le même comportement : cantonné dans le nord sur les tilleuls, il fréquente au sud diverses malvacées herbacées.

Pour rester dans le registre des malvacées, remarquons aussi que la punaise du tilleul pourrait dans certaines régions devenir un problème agricole car elle s’attaque aussi au coton … une autre espèce de la famille des malvacées ! Cependant, on l’a ponctuellement observé sur des plantes n’appartenant pas à cette famille (marronniers, platanes ou peupliers).En ville, elle ne semble pas poser de problème même lors de ses rassemblements spectaculaires sauf l’éventuelle gêne limitée pour le public.

Il va donc falloir s’habituer à cette nouvelle venue dans le paysage urbain et à ses rassemblements spectaculaires en hiver sur les troncs des tilleuls.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Life History of the Invasive Bug Oxycarenus lavaterae (Heteroptera: Oxycarenidae) in Bulgaria. Oldřich Nedvěd, Evgeni Chehlarov, Plamen Kalushkov . Acta zool. bulg., 66 (2), 2014: 203-20

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la punaise du tilleul
Page(s) : 315 Le guide de la nature en ville
Retrouvez le gendarme
Page(s) : 302 Le guide de la nature en ville