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Troupeau de Ravas sur les pentes de la Banne d’Ordanche (Monts du Sancy)

La chaîne des Puys connaît depuis plus d’un siècle un boisement généralisé : en 2003, pas moins de 46% de ce territoire était couvert de forêts. Au point que même les formes si célèbres des volcans d’Auvergne et les points de vue panoramiques sur ceux-ci finissent eux aussi par disparaître, engloutis sous le manteau forestier qui progresse naturellement (reconquête des terres abandonnées) ou artificiellement (plantations forestières). Devant cette évolution en contradiction avec la vocation touristique (rayonnement international) et récréative (à proximité de Clermont-Ferrand) majeure de cette région, un plan d’action a été mis en place basé sur le développement du pastoralisme comme l’explique Yves Michelin, grand spécialiste du paysage de la Chaîne des Puys (1) :

« Pour préparer le paysage de demain, il est donc nécessaire de le relier au type d’agriculture que la collectivité pourra ou voudra encourager. Si elle n’intervient pas, il se créera un nouveau paysage, à dominante de bois et de landes dégradées selon l’altitude et la richesse du milieu. Simple somme de décisions individuelles à l’échelle de chaque agriculteur, il risque fort d’être incohérent. Aucune catastrophe écologique n’en découlera, mais il perdra toute sa valeur touristique et ce sera une perte pour l’agriculture locale, qui pouvait disposer d’herbe de qualité sur les sols volcaniques, en quantité, grâce à la pluviosité importante dans ces montagnes. C’est pourquoi le Parc des Volcans a intensifié son action dans les dernières années pour faire du pastoralisme une priorité. »

Une des « armes » les plus efficaces de ce plan de reconquête d’un paysage ouvert est une race locale de mouton, originale et attachante, la Rava.

Une tête de blaireau

Reconnaître la Rava ne pose pas de problème tant cette race ovine se démarque des autres. Ce qui attire l’attention au premier regard, c’est sa tête, au poil ras (sans laine), marqué de taches noires plus ou moins étendues avec le museau largement noirci. Sa tête assez fine possède un profil bien spécial un peu bombé (busqué), les oreilles portées à l’horizontale et les yeux peu saillants ; le plus souvent, elle n’a pas de cornes (au moins les brebis). Les anglais la surnomme badgerface (tête de blaireau) par rapprochement avec une race galloise portant ce nom et elle aussi avec une tête bicolore. Le cou long, le dos bien droit, les pattes tachées de noir, la toison globalement blanche qui s’arrête au ventre et aux pattes (donc sans laine) complètent le portrait. Elle est de taille moyenne, les brebis pesant entre 50 et 60 kg et les béliers de 70 à 85 kg. Sa laine d’aspect grossier présente des grosses mèches : on la qualifie de jarreuse ; chez les ovins, les poils de jarre, distincts des brins de laine, se répartissent sur la tête et les membres et parmi la laine de la toison.

Une autochtone enracinée

La Rava est originaire de la chaîne des Puys, son berceau étant probablement le secteur d’Olby sur le versant ouest des monts Dômes. Elle fait partie du groupe des six races ovines de massifs avec la blanche du Massif central, la limousine, la noire du Velay, la grivette et la Bizet. Le célèbre zootechnicien A. Sanson (1826-1902), auteur d’une classification des races ovines, avait même élaboré un nom latin de sous-espèce pour désigner au sens large ces races du « plateau central » : Ovis aries arvernensis ! Le qualificatif de race celte qui est souvent accolé à la race Rava n’a aucune base scientifique.

Le mot Rava qui peut s’orthographier aussi ravat serait d’origine occitane (2) et désigne des moutons à laine grossière et pendante ou leur toison. Par ailleurs, le même mot ravat désigne aussi en occitan, … le blaireau ; on peut voir effectivement une « certaine » ressemblance » avec cet animal bien connu à la campagne (voir ci-dessus).

Cette race a bien failli disparaître car à partir des années 1950, pour améliorer la production, on a commencé à les croiser avec des races « à viande » comme le Southdown ; rapidement, la Rava a perdu ses caractères originels dont son adaptation remarquable au milieu naturel « rugueux » de la Chaîne des Puys (voir ci-dessous). Elle ne doit son salut qu’à l’un de ses traits originaux : sa précocité sexuelle ; en effet, des agneaux Rava ont pu s’accoupler avec des brebis avant d’être abattus, perpétuant ainsi des individus de race pure. En 1971, une association se met en place pour sa sauvegarde et le standard de la race est établi en 1975. Depuis 1986, un centre de sélection s’est mis en place et actuellement les effectifs tournent autour de 40 000 animaux, dont 8000 dans la Chaîne des Puys. 70% des moutons présents sur le Parc des Volcans sont de la race Rava choisie par près de 170 éleveurs: c’est donc bien elle que vous aurez le plus de chance de rencontrer si vous randonnez à travers la chaîne des Puys.

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Beauregard : SAINT OURS LES ROCHES 63 (près d’une estive)

Rustique et plastique !

Née et sélectionnée dans les monts Dômes, la Rava présente évidemment des caractéristiques adaptées au contexte climatique montagnard et pluvieux de cette contrée. Elle ne craint pas non plus les brusques variations de température sur une journée ou d’une saison à l’autre, typiques de cet environnement situé au dessus de 900m d’altitude et où les principaux parcours se trouvent entre 1100 et 1450m.

La toison grossière et dense qui pèse autour de 2kg la rend résistante aux intempéries : la Rava « n’a pas peur de la pluie ». C’est une bonne marcheuse, qualité indispensable dans un environnement naturellement assez pauvre au faible potentiel fourrager : elle parcourt de juin à octobre ainsi les estives, ces vastes pâturages d’été qui émaillent le plateau et les Puys des Dômes (autour du Pariou et au pied du Puy-de-Dôme, la plaine de Laschamps, près du puy de la Vache et les abords du puy des Gouttes). Elle ne craint pas les terrains escarpés et rocailleux comme les pentes des Puys.

Les éleveurs apprécient beaucoup ses qualités maternelles : les brebis même jeunes s’occupent très bien de leurs agneaux : la mise bas (l’agnelage) ne demande même pas d’assistance. Elle est prolifique (souvent deux agneaux à la fois) et adopte volontiers les agneaux d’une autre en cas de nécessité.

L’art du désaisonnement

La Rava est connue pour être facilement  « désaisonnée » ! Pour comprendre ce terme et son intérêt, plongeons nous un peu dans la zootechnie ovine et ses arcanes (domaine que j’ai découvert à cette occasion pour ma part !). Normalement, les brebis deviennent fertiles quand les jours raccourcissent en automne : le cycle menstruel dure de 14 à 19 jours et s’achève avec la période de chaleurs ou oestrus (qui correspond au moment de l’ovulation) qui ne dure qu’une trentaine d’heures ; c’est là que l’accouplement (la lutte en terme d’éleveur !) peut avoir lieu. Ce cycle naturel n’arrange pas les éleveurs car d’une part il conduit à des naissances (après 147 à 155 jours de gestation) à une période peu propice pour la vente des agneaux et la brebis ne produit qu’un jeune par an. La seule solution consiste à recourir au désaisonnement, i.e. à faire apparaître des chaleurs plusieurs fois par an. Or, la race Rava, comme d’autres races rustiques s’avère assez facile à désaisonner (elle semble moins influencée par la durée du jour) sans avoir recours à des méthodes chimiques (application d’hormones sexuelles sous forme d’éponges vaginales) ; ainsi, on peut par exemple utiliser « l’effet bélier » (sic !) : on présente aux brebis un bélier inconnu (jamais vu ou senti auparavant) ce qui déclenche la survenue d’un cycle ! Avec ce système, on met en place ce que les éleveurs appellent le « système d’agnelage accéléré du 3 en 2 » ! On fait agneler les brebis tous les huit mois, si bien qu’en deux ans elles produisent 3 agneaux ! En combinant cette méthode sur deux troupeaux gérés différemment, on peut ainsi avoir des agneaux quatre fois par an. Passionnante la vie sexuelle des moutons, non !

Une paysagiste efficace

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Une estive de la plaine de Laschamps avec vue sur la chaîne des Puys.

L’action du pâturage des troupeaux sur le maintien de paysages ouverts n’a lieu que pendant la période d’été dans les estives. Or, la Rava se distingue comme étant une des races nationales les plus adaptées aux fourrages grossiers et maigres, typiques des estives des Dômes ; elle « mange de tout » et ne craint pas les graminées dures et coriaces comme les canches.

 

Elle n’hésite pas à compléter soin alimentation en s’attaquant aux feuillages et branches des arbres et arbustes. Elle est de ce fait capable de limiter très efficacement l’expansion des plantes conquérantes tels que le genêt à balais, la callune fausse-bruyère ou la fougère-aigle ; en l’absence d’intervention, ces espèces investissent le milieu ouvert et préparent à plus ou moins brève échéance l’installation de ligneux, annonciateurs du retour de la forêt. Les Rava ne peuvent pas déboiser, bien sûr, mais elles empêchent le retour inéluctable de la forêt.

En plus, la Rava présente la capacité peu répandue pour une race ovine de puiser dans ses réserves corporelles en période « maigre » (par exemple, un épisode sec, très sensible sur les sols volcaniques de la zone) pour les reconstituer très rapidement dès qu’on lui offre un fourrage de meilleure qualité (en hivernage). La production de viande n’est donc pas impactée par la piètre qualité des parcours entretenus.

Ainsi, la Rava a tout pour être l’autre emblème de la Chaîne des Puys (après le Puy-de-Dôme, bien sûr) car sa présence garantit donc la pérennité des superbes paysages de cette région. En tant que promeneurs, n’oubliez pas de respecter toutes les consignes indispensables pour permettre le bon déroulement de son élevage dans les estives.

BIBLIOGRAPHIE

  1. UN EFFORT D’ADAPTATION RATIONNELLE DES PRATIQUES PASTORALES
 dans le Parc naturel régional des volcans d’Auvergne. Y. MI CHELIN. Aménagement et Nature N°108. 1992
  2. Sites internet : https://fr.wikipedia.org/wiki/Rava ; http://www.races-ovines-des-massifs.com/fr/description-races/rava/origine-standard.php