Raphanus raphanistrum

La ravenelle ou radis sauvage se classe du point de vue de la pollinisation parmi les espèces dites généralistes ; une étude menée aux U.S.A. (1) (où la ravenelle est largement naturalisée) a recensé pas moins de 15 genres d’insectes pollinisateurs soit un minimum de 27 espèces identifiables. Devant une telle diversité de visiteurs qui comprend aussi bien des syrphes (Diptères), des papillons (Lépidoptères) que des abeilles et bourdons (Hyménoptères), on peut se demander si tous se valent en termes d’efficacité et d’importance pour la reproduction de cette espèce. De plus, il s’agit d’une espèce auto-incompatible qui ne peut être pollinisée par son propre pollen et a donc besoin de recevoir du pollen d’une autre fleur portée sur un autre pied, autrement dit, elle dépend entièrement des visites des insectes pollinisateurs pour assurer sa descendance.

Une autre particularité de la ravenelle comme toutes ses congénères de la famille des Brassicacées ou Crucifères tient à ses six étamines inégales : 4 grandes qui dépassent d’environ 2 mm en hauteur 2 petites étamines.

Mesurer et comparer l’efficacité des pollinisateurs

Comme toutes les plantes à fleurs hermaphrodites, le succès de la reproduction de la ravenelle se mesure à deux niveaux correspondant aux deux sexes réunis en une même fleur. Le succès de la reproduction du côté mâle de la fleur se mesure à la quantité de grains de pollen (porteurs des cellules reproductrices mâles) produite et surtout emportée vers d’autres fleurs. Le succès reproductif côté femelle correspond à la production d’ovules et à leur fécondation réussie par les grains de pollen qui donnera les graines incluses dans un fruit (issu de la transformation du pistil).

Les chercheurs américains cités ci-dessus (1) ont mis au point un protocole expérimental très sophistiqué pour mesurer ces deux aspects et nous le présentons ici pour montrer toute l’ingéniosité développée en matière de recherche et aussi l’énergie et le travail requis pour obtenir des résultats fiables et rigoureux !

Pour évaluer le succès « femelle » (la production de graines qui pourront donc en germant engendrer une descendance), ils ont cultivé des ravenelles en pots sous serre en absence de toute visite d’insectes. A la période favorable, les pots sont emmenés dans un champ sous une bâche ; 15 pots sont disposés en cercle pour attirer pendant 5 minutes des pollinisateurs présents dans le voisinage (où il n’y a pas de ravenelle sauvage). Ensuite, on installe un pot central qui sera surveillé très étroitement. A chaque visite d’un insecte sur une fleur de ce pot, on note le genre d’insecte visiteur (identifier l’espèce est trop compliqué) et on place aussitôt un obstacle numéroté sur l’entrée de la fleur. On attend les visites sur 20 fleurs de cette plante et on recommence ainsi sur 10 autres plantes par jour ! De retour en serre, les fleurs sont taguées et on les laisse monter à graines pour dénombrer le nombre de graines produites suite à une seule visite.

Pour évaluer le succès « mâle » des fleurs, il faut pouvoir compter le nombre de grains de pollen enlevés par l’insecte en une visite : sacrée sinécure ! Une plante élevée en serre et fleurie est placée en plein champ. Après une visite (pollinisateur identifié), les anthères des étamines sont prélevées (en distinguant les courtes des longues : voir introduction) ; on prélève simultanément sur une fleur non visitée à côté des étamines qui fourniront le nombre de grains de pollen présents sans visite (ce nombre varie d’une plante à l’autre mais très peu entre fleurs d’une même plante). Ensuite, il va falloir disséquer chaque anthère et compter laborieusement les grains de pollen. Et recommencer des centaines de fois. Chercheur n’est pas un métier de tout repos !

Efficacité des pollinisateurs pour la production de graines

Sur les 15 genres observés, 14 ont une efficacité minimale : une seule espèce d’un genre de syrphe n’a « engendré » aucune graine malgré 17 visites. L’efficacité entre espèces varie d’un facteur 100 mais le point le plus important semble bien être avant tout le pourcentage de visites effectuées : 26% des pollinisateurs sont responsables de 81% des productions de graines alors que parmi elles il y en a des peu efficaces. Autrement dit, la ravenelle semble en apparence très généraliste mais en réalité elle dépend vraiment d’un lot restreint d’espèces. Néanmoins, ce cortège diversifié de visiteurs potentiels présente l’avantage d’offrir une solution de remplacement en cas de disparition temporaire ou de raréfaction parmi les espèces les plus assidues.

Comme l’étude a été conduite deux années consécutives, les chercheurs ont pu comparer la composition du cortège de visiteurs. En dépit de la grande diversité, et contrairement aux tendances fournies par d’autres études similaires, la communauté de visiteurs a ici très peu changé.

Efficacité pour enlever le pollen

Ce sont les petites abeilles solitaires et les grands syrphes qui enlèvent le plus de grains de pollen en une seule visite. Mais si l’on ramène le nombre de grains de pollen enlevés par ces espèces au nombre de graines produites au final, on constate que si elles prennent beaucoup de pollen, elles ne génèrent pourtant que peu de graines.

Le nombre de grains de pollen enlevés par visite sur les anthères des étamines courtes (donc celles le plus « au fond » de la fleur) varie très peu d’un visiteur à l’autre ; par contre, il y a de fortes variations sur le nombre de grains de pollen enlevés sur les anthères des étamines longues. Ces dernières se trouvent de fait en première ligne lors d’une visite et selon la technique employée par le pollinisateur vont être plus ou moins manipulées. On interprète ce dispositif présent dans toute la famille (ce qui est un indice d’efficacité potentielle) comme une forme de protection contre des visiteurs peu efficaces.

Qu’est ce qui détermine l’efficacité relative des pollinisateurs ?

Cela tient d’abord au comportement de l’espèce visiteuse et à sa technique de collecte. Certaines espèces récoltent très activement le pollen pour le consommer et donc elles en déposent peu sur les stigmates des fleurs visitées ensuite. Les abeilles domestiques, les bourdons, et les papillons qui enlèvent peu de pollen (mais ils recherchent surtout le nectar au fond de la fleur) s’avèrent bien plus efficaces en termes de dépôt de pollen sur le stigmate et en succès de production de graines.

L’autre facteur clé semble bien être la taille : les plus grosses espèces semblent de loin les plus efficaces (la taille variait ici pour les 15 genres recensés entre 1,4mg et 40 mg pour les bourdons, soit un facteur de plus de 20). Il y a cependant des exceptions liées justement au comportement mentionné ci-dessus. Une petite abeille solitaire du genre Ceratina s’est montrée dans cette étude la plus efficace : autant que l’abeille domestique pourtant nettement plus grosse. Elle entre entièrement (grâce à sa petite taille) dans le tube floral pour atteindre le nectar tout au fond et touche ainsi étroitement le stigmate en remontant après avoir frotté les deux séries d’anthères !

Finalement, cette étude méticuleuse montre bien combien il ne suffit pas de voir une espèce d’insecte visiter les fleurs d’une plante pour en conclure que celle-là est importante pour celle-ci. La réalité reste bien plus complexe et subtile !

BIBLIOGRAPHIE

  1. VISITATION, EFFECTIVENESS, AND EFFICIENCY OF 15 GENERA OF VISITORS TO WILD RADISH, RAPHANUS RAPHANISTRUM (BRASSICACEAE). HEATHER F. SAHLI AND JEFFREY K. CONNER American Journal of Botany 94(2): 203–209. 2007.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les parties reproductrices d'une fleur
Page(s) : 10 Guide des Fleurs du Jardin
retrouvez des exemples d'hyménoptères pollinisateurs
Page(s) : 283 à 287 Le guide de la nature en ville