Cette chronique rapporte quelques aspects de la biodiversité observée lors d’une mini-balade sur un espace naturel accessible au grand public ; il ne s’agit que d’un instantané très partiel pour une date donnée avec des informations complémentaires sur le site. Vous pouvez retrouver l’ensemble de ces chroniques-balades à la lettre Z, rubrique Zoom-balade. 

03/12/2019 13H-15. Avec cette chronique, zoom-balade entre de plein pied dans l’hiver et de belle façon avec cette balade complètement givrée (au sens propre du mot), digne des paysages de cartes postales ! Très court (à peine 1km), ce circuit permet de découvrir un site géologique et paysager des Combrailles auvergnates qui culmine à 977m d’altitude. On découvre une ancienne carrière volcanique et ses vestiges avec un point de vue remarquable sur une bonne partie de l’Auvergne depuis le sommet, le tout noyé dans un décor de bois anciens de haute qualité naturelle. Pour le naturaliste, c’est le moment de se concentrer sur de nouveaux centres d’intérêt révélés par l’hiver et le givre : même si le vivant a bien entamé sa phase de repli hivernal généralisé, il reste encore beaucoup de belles choses à voir et à savourer sans modération. 

Accès : dans le village de Sauterre entre Manzat et Pulvérières (63), à la sortie en direction de Pulvérières, prendre une piste à droite fléchée La roche Sauterre ; 200m plus loin, un parking sur la gauche permet de stationner.

Passé présent 

L’ancien bâtiment associé à la carrière avec le nouvel aménagement par dessus

Aussitôt après le parking, on aborde les restes d’un grand bâtiment, dernier vestige sur pied de l’exploitation de la carrière de basalte qui a fonctionné entre les deux grandes guerres ; il y a même eu une petite ligne de chemin de fer qui permettait d’évacuer la roche concassée jusqu’à Manzat à 7km de là. L’exploitation a cessé à cause de la trop grande dureté de la roche volcanique très particulière : une basanite. D’ailleurs en parlant de concassage, au pied d’un pan de mur, gît le « cadavre » rouillé d’un tambour de concasseuse : en s’approchant, on découvre les efflorescences de lichens qui l’ont colonisé ainsi que des plaques de mousses ; la nature a vite fait d’occulter les traces de l’homme, tout au moins de les masquer. En arrière, se dresse  un immense pan de mur fait de blocs noirs de basalte: lui aussi est colonisé par la mousse et diverses rosettes de plantes dont des inules conyzes ; au pied, une colonie de fraisier sauvage s’est étalée.

Coiffant ces pans de mur, une construction moderne étrange surplombe le site : une des « cabanes » de Bois Basalte pour des séjours en pleine nature ; d’autres occupent la pente en contrebas, bien intégrées dans le bois : un beau séjour pour les amateurs de calme et de nature vraie. Ainsi ce site connaît un renouveau tout en respectant au mieux le cadre naturel. 

Le sentier poursuit en montant ; le soleil vient juste de percer l’épaisse brume glacée qui stagne sur toutes les Combrailles en contrebas et révèle un spectacle éblouissant : une épaisse couche de givre recouvre tout au milieu de bancs de brume vaporeux en train de se déchirer. Les fougères aigles encore sur pied s’écroulent sous le poids de la couche givrée. Ambiance Seigneur des anneaux : on s’attend au réveil d’un ent, on pressent les elfes tout proches et on espère qu’il n’y a plus d’orques en embuscade ! S. Tesson dans Géographie de l’instant rapporte cette citation de A. Munthe : « On me dit qu’il est des gens qui, de leur vie, n’ont jamais vu de lutin ! J’ai réellement pitié de tels gens : beaucoup de choses leur échappent. »

Chut : ne le réveillez pas !

Accueil fagal 

A la croisée des chemins, un peu plus haut, sur la gauche, un énorme hêtre (Fagus en latin, fayard en langage populaire) trapu étend ses innombrables bras noueux surplombant son tapis de feuilles mortes roux foncé et des houx qui disparaissent sous la croûte de givre. Il semble indiquer petit sentier non balisé qui part à gauche et descend un peu (ne pas aller vers les cabanes privées). D’autres hêtres aux troncs parés des cordages de lierres nous accompagnent jusqu’à un vieux muret écroulé recouvert de mousses : autre témoignage de l’occupation passée de ces terres qui étaient vouées au pâturage et pas du tout boisées il y a encore moins d’un siècle. Une photo ancienne exposée sur un panneau pédagogique dans la carrière en atteste : on y voit un troupeau dans un décor pelé et tondu ! 

Sur la droite, une coupe récente a ouvert une vaste clairière déjà en cours de recolonisation par les genêts à balais et les rejets des souches de noisetiers et de chênes ; au fond, la silhouette arrondie très élégante d’un hêtre ferme la scène. 

Retour sur nos pas pour rejoindre la piste vers la carrière. Juste avant le grand hêtre s’étend un tapis uniforme de petite pervenche : sans doute une station unique à des kilomètres à la ronde ; sa présence témoigne elle aussi de l’occupation humaine passée : on la cultivait près des habitations comme médicinale (anti diarrhéique, astringente vulnéraire, diurétique, tonique amer, dépurative, hypoglycémiante, antiscorbutique … mais aussi toxique : bref, une panacée universelle !) et sa capacité à s’étaler de manière clonale par ses stolons lui permet de subsister très longtemps après le départ des hommes. Espérons que le retour de ces derniers ne la chassera pas car ses floraisons printanières attirent nombre de pollinisateurs. 

Avenue des bouleaux 

La piste monte vers la carrière et des deux côtés se dressent de grands bouleaux blancs (c’est leur nom officiel), devenus ultra-blancs avec le givre. Comme presque tous ont perdu leur feuillage, c’est une belle occasion de considérer leur architecture très spéciale : un tronc puissant qui s’effile en montant, une couronne lâche ovale et des branches dressées puis nettement retombantes. Ce port retombant ne vaut que chez les individus âgés d’au moins 20-30 ans comme ceux-ci et explique l’épithète latin accolé à son nom de genre : Betula pendula.

Jeune bouleau aux branches dressées

Les jeunes spécimens qui ont un port entièrement dressé servaient à fabriquer des balais, dits de « bouleau », utilisés pour le … boulot ! 

On ne peut résister à l’attrait de la belle écorce satinée des bouleaux même si sur ces vieux arbres, elle se fissure et se crevasse largement dans la moitié inférieure (voir la chronique sur l’écorce). Mais il y a surtout de somptueuses parures de lichens qui habillent toute la moitié supérieure, véritables mini-forêts épiphytes avec une grande biodiversité, témoin de l’ancienneté des arbres et de la qualité de l’air. On y trouve, sans entrer dans le détail des espèces (que je ne connais pas) des lichens plaqués, des lichens fruticuleux en forme de buissons comme des évernies, des usnées filamenteuses ou des ramalines. Certains portent des stalactites de glace (il fait à peine 0°C) et pourtant, même à cette saison, profitant de l’absence de feuillage qui délivre plus de lumière et de l’humidité ambiante, les algues symbiotiques de ces champignons sont souvent en pleine  activité photosynthétique (voir les chroniques sur la vie des lichens). Des champignons au sol, dépourvus eux de cette verte compagnie, ne survivent pas au gel ! 

Cartes géographiques 

On atteint l’esplanade au pied de la falaise créée par l’exploitation : un chaos époustouflant de blocs massifs encastrés, de formes arrondies, des réseaux de fissures, de nuances de gris, de noir et de brun ! Cet affleurement correspond à une coulée volcanique vieille de 5 Ma qui s’est épanchée sur le socle granitique des Combrailles : une mer de lave avec des vagues figées dans leur déferlement ! Elle a donné une roche basaltique très dure, riche en inclusions de péridotite avec des cristaux d’olivine verte, une roche venue des profondeurs du manteau terrestre.  Le site est connu et visité des géologues et minéralogistes et réputé au delà de l’Auvergne. 

Mais, notre regard de naturaliste se porte plutôt à la surface des gros blocs entassés à la base de l’affleurement : des mosaïques de taches blanches parsèment le paysage minéral. Ce sont des colonies de lichens crustacés, semi-incrustés dans la roche : chaque thalle (l’unité végétative d’un lichen) s’étale et, quand il entre en contact avec un voisin, il développe un bourrelet défensif sombre, un hypothalle, qui permet de contenir l’autre. Ainsi se forment de superbes cartes géographiques hautement complexes où l’esprit vagabond voit des continents, des archipels, des formes animales, … On ne comprend pas bien pourquoi tel rocher se retrouve presque entièrement couvert alors que tout autour, ses congénères n’ont rien du tout : degré d’usure en surface, subtiles variations d’exposition ? 

Comme sur les bouleaux, la diversité est au rendez-vous mais avec un lot d’espèces (saxicoles au lieu de corticoles) complètement différent.

Fissures 

Capillaires

Brusquement, un grand corbeau se met à crier en haut de la falaise ; à mi-hauteur, un renard avec son manteau de fourrure toute gonflée se défile sans se presser ; il disparaît prestement derrière un pan de rocher décollé de la paroi : l’entrée de son terrier ? Son passage a attiré mon regard un peu plus haut, là où le réseau des fissures dessine des quadrillages. En les inspectant aux jumelles, on y découvre des petits jardins de rocaille suspendus avec à chaque fois une ou deux espèces à la fois, aux racines accrochées dans la mince couche de terreau qui a rempli la fissure. En s’approchant sur le côté du pied de la falaise (attention, danger), on peut presque les atteindre. L’orpin hérissé domine avec ses feuilles en forme de mini-saucisses velues, certaines teintées de roux.

Outre les classiques capillaires, on trouve une petite fougère typique des rochers montagnards, la doradille septentrionale : des touffes très denses de frondes en lanières presque toujours nichées dans des recoins, protégées par un petit surplomb. Des colonies de mousses aux nuances de vert différentes composent des gazons japonais là où des suintements entretiennent de l’humidité permanente. Les restes desséchés des inflorescences des grands orpins signalent leur présence maintenant que leurs feuilles charnues ont presque disparu. une colonie de silène penché profite d’un replat pour s’étaler ; des espèces « banales », pas spécialement adaptées à ce milieu rocheux très spécialisé, réussissent à tirer leur épingle du jeu comme des alignements d’achillée millefeuille qui partent à l’assaut de la falaise. 

Tous ces micro-jardins doivent constituer autant d’abris pour une faune de « petites bêtes » : escargots, mille-pattes, petits insectes, cloportes, …

Doradille septentrionale

Conquérants de l’impossible

Hêtre, bouleau et sureau rouge

Si les plantes herbacées ont du mal à peupler cette verticalité, que dire des arbres : quasiment impossible de développer des racines et de se nourrir dans des fissures aussi étroites avec un sol squelettique quasi inexistant. Et pourtant, certains tentent l’aventure et réussissent même de belles « percées » : tels P. Edlinger, le grimpeur aux mains nues, ils escaladent la paroi … à racines nues ou presque. On peut ici les compter sur les doigts de la main. Au  pied des éboulis, pas vraiment en escalade, il y  a quelques sureaux dénudés ; si on casse une tige, on note la moelle jaune, signature du sureau rouge ou sureau à grappes, une espèce plutôt montagnarde. Un peu plus haut, dans un recoin, c’est un groseillier alpin qui a conservé encore son feuillage jaunissant. Tous les deux ont du arriver là via des oiseaux qui avaient consommé leurs fruits charnus et ont déposé les graines dans leurs excréments. 

A mi hauteur, viennent les vol-au-vent, ceux dont les graines ont été transportées par le vent. Des bouleaux installés en fait sur des petites vires ou des replats ont réussi à grandir correctement. Des pins sylvestres (voir la chronique sur la dispersion de cette espèce) colonisent des endroits plus improbables et l’un d’eux, que je réussis à approcher en grimpant un peu, prend l’apparence d’un bonsaï tortueux : dur de croitre au milieu des rochers dans la fournaise de l’été et avec des fissures qui ne gardent pas l’eau ! 

Mais la palme d’or revient conteste à ce hêtre nanifié qui a conservé son feuillage grillé brun tabac et qui pousse suspendu dans une étroite fissure en plein milieu de la paroi. Comment fait-il  quand on sait que cette espèce exige un sol frais bien pourvu en eau ! et comment est-il arrivé là, lui dont les fruits (faînes) ne volent pas, ni ne passent intactes dans le tube digestif des oiseaux. La seule hypothèse plausible serait celle d’une mésange ou d’une sitelle qui, en automne, récoltent ces faînes pour les cacher dans des fissures (d’arbres habituellement) pour les manger plus tard en hiver ? 

Cépées et marcescence 

Vieilles cépées de noisetiers

Il faut s’arracher à la fascination envers ce milieu rocheux si particulier pour poursuivre la balade en montant par la gauche au-dessus de la falaise. La montée se fait au milieu d’un bois ancien peuplé au début de très vieilles cépées de noisetiers (voir la chronique sur cet arbuste). La taille imposante de certains troncs en dit long sur leur ancienneté ; la plupart sont en pleine décadence car chez le noisetier, chaque brin ne vit guère au delà d’un siècle et meurt lentement tandis que d’autres brins émergent de la base formant une cépée, un bouquet de troncs. On peut y observer divers champignons amateurs de bois mort incrustés sur l’écorce. Des coups de vent ont culbuté certaines cépées et les jeunes rejets repartent à la verticale.

Si la majorité des arbres et arbustes, avec les coups de butoir récents des fortes gelées (dont ce matin !) ont fini par perdre leurs feuilles, quelques individus en conservent encore un peu, jaunies, usées, tachées, au bout du rouleau … comme celles de ce noisetier ou de ce saule marsault.

Certains arbres comme les hêtres et les chênes ont la capacité, au moins pour une partie des individus, de conserver leur feuillage mort sur l’arbre jusqu’au printemps. L’éclosion au printemps suivant des bourgeons fera tomber ces feuilles rousses persistantes ; on parle de feuillage marcescent (marcus = fané). Il semble que ce soit un moyen de libérer les feuilles mortes au moment où l’arbre a le plus besoin de matières minérales : elles tombent au pied et en se décomposant nourrissent leur géniteur au moment où il en a particulièrement besoin. Un jeune hêtre en sous-bois offre ainsi aux rayons du soleil déjà bas ses feuilles momifiées toutes en transparence, parées de leur garniture de givre.

Des petits panneaux jalonnent la montée et indiquent diverses essences d’arbres. Belle occasion d’apprendre à les reconnaître à leur écorce mais aussi à leurs communautés spécifiques de lichens qui composent des mosaïques subtilement différentes. 

Apothéose 

Au loin la chaîne des Puys

On atteint rapidement la table d’orientation qui surplombe la falaise au point le plus haut du secteur et offre un superbe panorama sur les montagnes d’Auvergne : chaîne des puys, Sancy, monts du Livradois et du Forez. Effectivement, un paysage grandiose s’ouvre mais un peu bouché à l’horizon par les brumes mais d’une incroyable beauté avec ce givre. Plusieurs grands pins sylvestres au sommet, nimbés de blanc, composent une scène d’estampe japonaise. Désolé, mais même si vous retournez sur ce site, vous aurez peu de chances de revoir une telle scène avec cette lumière et cette composition !

Les grands bouleaux en contrebas ressemblent à des arbres de Noël ! En dépit de la magie de l’instant, je ne m’attarde pas car il souffle une bise de Nord à 50 km/h et j’ai fait l’erreur de ne pas mettre de gants ! 

En redescendant vers la carrière, sur le sol trempé mais complètement gelé, je m’attarde devant un phénomène fascinant : la formation de crêtes de glace dressées qui soulèvent la terre brune d’origine volcanique et très fine. Elles désorganisent la surface du sol et après leur fonte, en cas de pluie forte, le ruissellement va entraîner la pellicule superficielle du sol. Ceci explique la fragilité des sols forestiers volcaniques notamment là où le piétinement touristique renforce ce processus. 

En guise d’épilogue à cette balade qui m’a marqué par son intensité, je me suis rappelé que la veille, dans le journal télévisé du soir, on avait d’abord parlé de la COP à Madrid et de la crise climatique et de l’urgence de changer nos comportements ; puis, sans doute pour faire œuvre de pédagogie active, un dernier reportage nous a emmené aux Philippines sur une île paradisiaque, à couper le souffle, etc…, « pas encore abîmée par le tourisme » (sic !) : on nous faisait sentir que si on ne voulait pas être un « nul » il fallait à tout prix s’afficher en ce lieu (histoire de faire un selfie sans doute) à l’autre bout de la planète. Je dédie donc cette minuscule balade tout près de chez moi, riche en émotions (mais sans surf ni bronzette, certes !), aux promoteurs du tourisme des lieux très lointains à voir absolument (pour y faire quoi ?) et vite avant qu’ils ne soient détruits par … le tourisme de masse ! 

Bibliographie

Site de Bois Basalte qui gère les « cabanes » du site : https://cabanes-auvergne.fr