Dracunculus vulgaris

L’inflorescence de la serpentaire, au moment de la brève floraison, dégage de la chaleur et émet de fortes odeurs qui attire des foules d’insectes. Des observations menées en Europe, aux U.S.A. (1) et en … Australie (3) (la serpentaire est largement cultivée comme ornementale) permettent de préciser quels insectes sont attirés et assurent réellement la pollinisation.

Les mouches : une fausse piste !

Divers observateurs mentionnent qu’au tout début de la floraison, quand l’inflorescence commence à répandre son odeur caractéristique, on assiste à l’arrivée de nuées de mouches, nécrophages aussi pour la plupart : des mouches à damier (Sarcophaga), des mouches vertes (Lucilia) ou des mouches bleues (Calliphora). Mais, elles se contentent de voler autour, de se poser sur la spathe et l’appendice proéminent sans entrer dans la chambre florale à la base du cornet, là où se trouvent les fleurs à polliniser. D’ailleurs, nous-mêmes avons été « bernés » par cette abondance de mouches et avons écrit à tort dans le Guide des fleurs du jardin qu’elles assuraient la pollinisation, abusés par cette présence très voyante (voir photo) . Par contre, il arrive effectivement que certaines d’entre elles pondent leurs œufs sur l’appendice croyant avoir affaire à de la chair en putréfaction.
Une autre cause de confusion quant au rôle des mouches vis-à-vis de la serpentaire tient au mode de vie d’un proche parent, l’arum mange-mouches (Helicodiceros muscivorum) , espèce présente en Corse, qui fleurit aussi avec une grosse inflorescence rouge foncé qui attire les mouches bleues, celles-ci assurant effectivement la pollinisation (3) !

serpentaire-mouches

Aux premières heures de la floraison, l’appendice central attire des mouches « de cadavres » comme ces mouches vertes.

Des scarabées nécrophages comme pollinisateurs

Des observations réalisées aux U.S.A. (donc sur des plantes cultivées) dès 1960 (1) avaient attiré l’attention sur l’attraction majeure exercée par la serpentaire sur divers coléoptères nécrophages et surtout sur le fait que ces derniers entrent effectivement dans l’inflorescence. Dès le premier jour du dégagement odorant typique, des dizaines de coléoptères nécrophages affluent : en une après-midi, les auteurs de cette étude américaine ont compté pas moins de 162 scarabées en ouvrant la base d’une inflorescence. Sur sept jours, ils ont récolté 298 scarabées appartenant à au moins 14 espèces différentes et relevant de 8 familles différentes !
Une étude plus récente en Australie menée de 1995 à 1998 signale le même afflux de scarabées nécrophages et mentionne peu ou prou les mêmes familles : Staphylinidés, Sylphidés, Histéridés, Dermestidés, ….

serpentaire-nitidulidae

Un exemple de petit scarabée susceptible d’être attiré par la floraison de la serpentaire : un Nitidulidé qui recherche les matières en décomposition.

On pourrait reprocher à ces données le fait d’avoir été conduites sur des plantes cultivées hors de leur contexte naturel. Une étude menée en 2007 et 2008, en Crète, en milieu naturel, indique comme pollinisateur principal, une grosse cétoine noirâtre (Protaetia cretica) ; les scarabées appartenant à ce genre effectuent leur développement larvaire sur des matières végétales en décomposition. On voit donc que le contexte local peut changer la nature des scarabées attirés mais on reste dans le même registre. Il est possible aussi que, selon les populations de serpentaire, les odeurs émises ne soient pas les mêmes et n’attirent donc pas les mêmes espèces. Les auteurs de cette étude mentionnent d’ailleurs le fait qu’il existe des serpentaires « odorants » et des « non-odorants » !
Toujours dans ce registre de la nature des visiteurs, notons qu’il existe une autre espèce dans le genre de la serpentaire, Dracunculus canariensis, endémique des îles Canaries (3) et qui lui ressemble superficiellement. Cette serpentaire à spathe claire et appendice jaune répand une odeur spermatique qui attire des petites mouches, des guêpes et même des petites abeilles. En plus, l’entrée du cornet vers les fleurs reste largement ouverte, si bien que les visiteurs entrent et sortent librement.

Une patinoire à scarabées

Les coléoptères volent vers l’inflorescence, atterrissent lourdement sur la spathe, perdent leur équilibre et glissent ainsi vers la chambre florale en contrebas. Celle-ci étant le plus souvent semi-dressée, voire presque verticale, et que sous l’effet de la chaleur les parois et la base du spadice portant les fleurs deviennent glissants, les scarabées, souvent lourdauds de surcroît ne réussissent pas à remonter les parois ou le spadice. A chaque tentative d’escalade, ils chutent et se couvrent de pollen sur les fleurs mâles qui s’ouvrent à ce moment là. Au tout début du dégagement odorant, ce sont les fleurs femelles qui s’ouvrent et collectent éventuellement le pollen dont peuvent être porteurs les visiteurs (s’ils ont auparavant visité une autre inflorescence).
En général, au cours de la nuit qui suit le premier jour de maturation de l’inflorescence, le caractère glissant de l’intérieur s’atténue, permettant alors aux scarabées de s’échapper (donc chargés de pollen) en escaladant le spadice puis en prenant appui sur le bord de la spathe.
En fin de compte, non contents d’avoir été piégés pendant plusieurs heures et de s’être épuisés à tenter de s’échapper, les scarabées repartent le « ventre vide » et sans avoir pu pondre éventuellement leurs œufs sur un cadavre comme l’odeur semblait l’indiquer : la chambre florale ne leur offre aucune nourriture, tout juste un peu de chaleur ! On parle de pollinisation par duperie à propos d’une telle interaction.

serpentaire-spathe-entree

L’entrée très resserrée du cornet qui enserre l’appendice dressé referme le piège sur les visiteurs.

Le syndrome de la coléoptérophilie

L’étude des modes de pollinisation et des structures des fleurs et inflorescences a permis de dégager des grandes tendances selon la nature des pollinisateurs dominants : on parle de syndrome pour désigner l’ensemble des caractères floraux typiquement associés à une pollinisation par un vecteur donné.
La serpentaire présente effectivement les caractères d’une « fleur à coléoptères » : une inflorescence de grande taille avec une large zone d’atterrissage (la spathe), une grande chambre florale interne (la base du cornet), de nombreux ovaires (fleurs femelles réduites pratiquement chacune à un ovaire) et une forte production de pollen. La disposition verticale de la spathe chez la serpentaire facilite la chute « fatale » des scarabées même si certains individus (selon le milieu notamment) présentent parfois une spathe disposée presque à l’horizontale dans laquelle les scarabées réussissent à s’échapper rapidement.
La notion de syndrome a ses limites : même avec tous ces caractères réunis, rien n’exclut que d’autres insectes ne pénètrent dans ces inflorescences (voir le cas de l’arum attrape-mouches, pourtant très proche morphologiquement) ou que les scarabées n’aillent visiter d’autres fleurs ne présentant pas du tout ces caractères. Il ne faut pas faire du syndrome de pollinisation un concept déterministe, ce qui n’entre aucunement dans une vision évolutive des interactions dans des environnements différents.

serpentaire-spathe-verticale

La position très verticale (le plus souvent !) de la spathe accentue l’efficacité du piège glissant.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Beetle pollination in Dracunculus and Sauromatum (Araceae). Meeuse, B. J. D. & Hatch, M. H. 1960 Coleopt. Bull. 14, 70-74.
  2. Respiration, temperature regulation and energetics of thermogenic in inflorescences of the dragon lily Dracunculus vulgaris (Araceae). Roger S. Seymour and Paul Schultze-Motel. Proc. R. Soc. Lond. B (1999) 266, 1975-1983
  3. The genera Dracunculus and Helicodiceros (Araceae).P.C. Boyce. J. Bot. ; 4 : 175-182 ; 1994

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la serpentaire
Page(s) : 147 Guide des Fleurs du Jardin