Dracunculus vulgaris

L’énorme inflorescence de la serpentaire, typique de la famille des Aracées (les arums), se compose d’une large spathe (le « cornet ») rouge foie-de-veau qui enserre à la base une colonne (le spadice) qui porte des étages de fleurs réduites unisexuées dans une chambre florale presque close. L’ouverture supérieure de la chambre, pratiquement fermée, laisse s’échapper un long appendice stérile qui émerge parallèle à la spathe.

Au moment de la floraison qui s’étale sur deux jours, la spathe va se dérouler (« s’ouvrir ») et exposer l’appendice, lequel émet pendant quelques heures une forte odeur putride qui attire certains insectes pollinisateurs. En même temps, l’inflorescence dégage de la chaleur, processus bien connu chez de nombreuses autres aracées sous le nom de thermogénèse (production de chaleur), fait inattendu chez des végétaux et associé à des mécanismes physiologiques complexes.

Jusque dans les années 1990, on pensait que la serpentaire ne dégageait que très peu de chaleur sur la base de mesures d’élévation de température ; mais ces mesures ne prenaient pas en compte les déperditions de chaleur par évaporation. Aussi, une équipe australienne (2) a entrepris une étude détaillée en mesurant sur le terrain la consommation d’oxygène au niveau de l’appendice et dans la chambre florale close ainsi que le dégagement de chaleur et le taux d’évaporation.

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L’imposante inflorescence très voyante de la serpentaire : un spectacle inoubliable mais de brève durée !

Trois bouffées de chaleur

La floraison commence un soir, généralement à la faveur d’une période chaude propice : la spathe commence à se dérouler. A ce moment là, les températures de l’appendice et de la chambre florale sont à l’équilibre avec la température ambiante.

Dans la nuit qui suit (la « première nuit » donc), la chambre florale connaît un premier échauffement modéré du à la production de chaleur notamment par les fleurs mâles : la température de la chambre fermée augmente de presque 4°C. Au milieu de la nuit, la spathe poursuivant son ouverture, l’appendice se trouve mis à nu. Sur le matin, la chambre revient à la température ambiante.

Le lendemain, dans les premières heures de la matinée, l’appendice entre en jeu en libérant une forte quantité de chaleur bien que sa température augmente peu (+ 2,5°C) du fait des perditions de chaleur au contact de l’air : c’est la mesure de la consommation d’oxygène qui atteste de cette intense activité. Il répand alors sa forte odeur putride (voir paragraphe suivant) qui attire les coléoptères pollinisateurs qui pénètrent en masse dans la chambre. Dès l’après midi, cette production de chaleur de l’appendice baisse rapidement ainsi que les émanations odorantes.

La seconde nuit, la chambre est le siège d’une seconde vague de chaleur un peu plus intense que la première ; les fleurs mâles produisent suffisamment de chaleur pour faire monter la température de la chambre de plus de 8°C ; elles libèrent alors leur pollen sur les coléoptères qui s ‘épuisent à escalader le spadice et les parois rendues glissantes par la chaleur.

Le lendemain matin, la pointe de la spathe commence à se courber vers le bas, dégageant de plus en plus l’appendice qui ne chauffe plus. La séquence de floraison s’achève avec la sortie des coléoptères.

Dans les jours qui suivent, l’inflorescence « s’effondre » littéralement et sèche sur pied.

De la chaleur pour quoi faire ?

Chez la serpentaire, la pollinisation croisée est obligatoire, nécessitant donc l’intervention d’insectes transportant le pollen d’une autre inflorescence sur les fleurs femelles matures dès le début de la floraison.

La production de chaleur intense et brève de l’appendice semble bien associée à la libération de substances volatiles odorantes (malodorantes pour notre odorat !) attractives vis-à-vis des coléoptères nécrophages.

Par contre, la production de chaleur dans la chambre close en deux vagues espacées dans le temps ne semble pas liée avec celle de l’appendice mais servirait plutôt à conserver une ambiance chaude favorable à l’activité des coléoptères dupés pris au piège et à la maturation des fleurs mâles le second jour. Comme elle est fermée, l’élévation de température y est forte alors qu’en fait elle produit moins de chaleur que l’appendice extérieur.

Globalement, la chambre se maintient autour de 18°C ce qui reste bien inférieur aux températures observées chez des aracées tropicales où la chambre monte à 44°C !

Une odeur puissante et putride

L’odeur dégagée par l’appendice n’a pas manqué d’attirer l’attention et on trouve des descriptions imagées les plus diverses. Une équipe américaine des années 1960 (1) a fait un rapprochement avec l’odeur précise des maquereaux salés incomplètement séchés et maintenus dans de la saumure où ils fermentent, consommés dans le sud-est asiatique sous le nom de pedah-siam. Cela en dit long sur la puissance du fumet libéré !

Par contre, lors de la seconde matinée, quand la production de chaleur a complètement cessé, l’appendice revient à une odeur douce presque agréable que les mêmes auteurs cités ci-dessus comparent à celle libérée par l’odeur qui s’échappe de l’organe de défense orangé (osmeterium) sur la tête des chenilles de machaon !

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Certains observateurs comparent l’odeur dégagée par la serpentaire à celle émise par l’organe odorant des chenilles de machaon.

Faites vous votre propre idée en cultivant cette remarquable serpentaire, même si le spectacle tant odorant que visuel de sa floraison reste bien limité dans le temps !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Beetle pollination in Dracunculus and Sauromatum (Araceae). Meeuse, B. J. D. & Hatch, M. H. 1960 Coleopt. Bull. 14, 70-74.
  2. Respiration, temperature regulation and energetics of thermogenic in inflorescences of the dragon lily Dracunculus vulgaris (Araceae). Roger S. Seymour and Paul Schultze-Motel. Proc. R. Soc. Lond. B (1999) 266, 1975-1983
  3. The genera Dracunculus and Helicodiceros (Araceae).P.C. Boyce. J. Bot. ; 4 : 175-182 ; 1994

A retrouver dans nos ouvrages

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